En passant
Pas très classique
Pas très classique
Il est à la mode de faire canaille, en musique comme en cuisine. Mais est-ce bien nouveau, et que les musiciens habitués des salles de concert jouent de la musique de brasserie ou de casino, voire pire, et où ils veulent (voire pire), n’était-il pas la norme, jusqu’à ce que les académistes pincés de l’après-guerre en décident autrement ? Ainsi le très bon violoniste Gilles Apap, de retour de Californie, enregistre avec les “Transylvanian Mountain Boys ” (alto, guitare, basse) un très joli méli-mélo où figurent pêle-mêle Stravinski, Django Reinhardt, Prokofiev, Ernest Bloch, Strauss (Johann), et des airs folkloriques roumains et tziganes. C’est remarquablement joué, très enlevé, tout à fait ce que l’on aime : un vrai plaisir (1).
Le flamenco est une de ces musiques magiques, dont on sent qu’elles vont bien au-delà de la perception que l’on en a, et que l’on n’en pénétrera jamais la réalité profonde, que l’on ne sera jamais un initié (comme le blues, par exemple, le vrai). Mais écouter suffit à nous émouvoir fortement, tant est grande la force presque paranormale de cette musique. Chano Lobato est un des plus purs parmi les interprètes vivants du Cante Jondo et il vient d’enregistrer une dizaine de chants avec Pedro Bacan, un remarquable guitariste dont les harmonies rappellent où Ravel a puisé les siennes (2). Dans la même série, une très bonne anthologie de chanteurs et guitaristes marquants, pour qui approcherait le flamenco pour la première fois (3).
Inédits
D’avoir été le contemporain de Mozart et d’avoir écrit le Chant du Départ, d’avoir été, surtout, compositeur officiel sous la Révolution, le Consulat et l’Empire, aura sans doute nui à la réputation de Méhul, qu’on révèle presque, aujourd’hui, avec son opéra Stratonice (1792) enregistré par William Christie et les Cappella et Corona Coloniensis (4). Musique vigoureuse, carrée et sans fioritures, bien construite, qu’admirèrent, paraît-il, Berlioz et Cherubini, et qui fleure toute une époque de sentiments binaires et d’événements forts.
Auguste Franchomme qui fut, lui, un musicien du second Empire, a le lyrisme plutôt tchaïkovskien. On peut découvrir une douzaine de ses compositions pour violoncelle dans un disque récent (5). C’est très lyrique, très virtuose, le romantisme français même, et on l’écoute avec plaisir, en songeant à tous ces compositeurs français du XIXe siècle dont les oeuvres dorment peut-être dans les bibliothèques des conservatoires, et qui attendent d’être redécouverts.
C’est du début de la troisième République que datent les compositions de Boëllmann, organiste assez original, qui rappelle parfois Franck, et que Jacques Kauffmann vient d’enregistrer (6) sur les grandes orgues Cavaillé-Coll de Mulhouse. Ceux qui se passionnent pour l’orgue trouveront là une musique très subtile, très travaillée, qui rappelle parfois Franck ; et qui mérite mieux que l’oubli dans lequel elle est tombée.
Romantiques
Brahms, tout d’abord, qui apparaît aujourd’hui à la fois comme le plus grand des romantiques et le premier des contemporains, Brahms qui, à la différence de Beethoven, a rompu tout lien avec le XVIIIe siècle. Deux publications coup sur coup d’enregistrements de ses oeuvres pour piano Op. 116, 117, 118, 119, l’une par Dmitri Alexeev (7) (enregistrements de 1976 et 1979, pour l’essentiel), l’autre par Andrea Bonatta (enregistrement 1997) (8). C’est là ce que Brahms a écrit de plus fort pour le piano, et qui entre si bien en résonance avec nos préoccupations (on se souvient que le film de Delvaux Rendez-vous à Bray est entièrement construit sur les pièces de l’opus 119). Deux interprétations assez proches, celle d’Alexeev plus distante, peut-être. Ce dernier joue sur les mêmes disques les Klavierstücke de l’Opus 76 et les Études Symphoniques de Schumann, superbes, parfaites.
Le Quatuor Alban Berg aura réellement marqué la fin de ce siècle, et les enregistrements de Schubert réalisés au cours des années 80 et qui ressortent maintenant à l’occasion de l’année Schubert n’échappent pas à la règle : on n’a pas fait, on ne fera sans doute jamais mieux. Il y a là les quatuors 13, 14, 15 (dont La Jeune Fille et la Mort et Rosamunde), le quintette La Truite, et le quintette pour cordes en ut majeur (9). On se rappelle que Rubinstein disait de l’Adagio qu’il aimerait l’entendre au moment de mourir. Écoutez-le par les Alban Berg et retenez vos larmes – de joie, bien sûr : vous n’êtes pas très loin du nirvana.
(1) 1 CD SONY SK 62 838.
(2) 1 cassette AUVIDIS B 3840.
(3) 1 cassette AUVIDIS B 3824.
(4) 1 CD ERATO WE 810.
(5) 1 CD Harmonia Mundi 901 610.
(6) 1 CD SKARBO SK 1967.
(7) 2 CD EMI 5 695212.
(8) 1 CD AUVIDIS E 8599.
(9) 4 CD EMI 5 66144 2.