Transports aériens et changement climatique :

Dossier : Environnement et FiscalitéMagazine N°534 Avril 1998
Par Cédric PHILIBERT

En 1995, les émis­sions de CO2 s’é­le­vaient à 550 mil­lions de tonnes, soit à peine moins que l’en­semble des émis­sions de CO2 du Royaume-Uni, qui se place en sep­tième posi­tion dans la liste des plus impor­tants émet­teurs. Une moi­tié envi­ron pro­vient du tra­fic inter­na­tio­nal, dont les émis­sions ne sont pas impu­tées à un pays par­ti­cu­lier : autant dire qu’elles échappent aux objec­tifs quan­ti­fiés par pays du pro­to­cole de Kyo­to de décembre 1997. C’est pour­quoi celui-ci a accor­dé une atten­tion spé­ciale au pro­blème dans sa liste indi­ca­tive de poli­tiques et mesures à mettre en œuvre : l’ar­ticle 2, ali­néa 2, pré­voit que les Par­ties (pays) devront s’employer à réduire les émis­sions des routes aériennes et mari­times au tra­vers de l’Or­ga­ni­sa­tion de l’a­via­tion civile inter­na­tio­nale et de l’Or­ga­ni­sa­tion mari­time internationale.

L’in­ten­si­té éner­gé­tique du trans­port aérien est de deux à vingt fois supé­rieure à celle de la route, et envi­ron cent fois supé­rieure à celle du trans­port maritime.

Dans ces condi­tions, l’exemp­tion de taxe dont béné­fi­cie aujourd’­hui le kéro­sène est pro­blé­ma­tique. On note­ra qu’aux émis­sions de CO2 du sec­teur aérien s’a­joutent celles de NOx, dont l’ef­fet radia­tif via la for­ma­tion d’o­zone tro­po­sphé­rique pour­rait être aus­si impor­tant que celui des émis­sions de CO2

Projections des émissions de CO2

Les pré­vi­sions de l’OCDE sont cen­trées autour d’un tri­ple­ment de ces émis­sions vers 2020 : l’in­ter­valle se situe entre une mul­ti­pli­ca­tion par 2,8 pour une crois­sance annuelle du tra­fic de 4,9 % atté­nuée par une pro­gres­sion annuelle de l’ef­fi­ca­ci­té éner­gé­tique de 1,1 %, et une mul­ti­pli­ca­tion par 3,2 pour une crois­sance annuelle de 7,5 % et une pro­gres­sion annuelle d’ef­fi­ca­ci­té de 2,2 % (une pro­gres­sion plus rapide rajeu­nit plus vite la moyenne du parc). Cela condui­rait le seul tra­fic aérien inter­na­tio­nal à des émis­sions de plus de 800 Mt CO2 (à com­pa­rer par exemple aux émis­sions fran­çaises actuelles d’en­vi­ron 350 Mt CO2

Taxation du carburant avion

Un Concorde d'Air FranceIl a sou­vent été pro­po­sé de taxer le car­bu­rant avion au titre de sa contri­bu­tion à l’ef­fet de serre, sui­vant deux idées a prio­ri très différentes.

La pre­mière idée est celle d’une taxa­tion des trans­ports aériens inter­na­tio­naux pour finan­cer le déve­lop­pe­ment durable des pays en déve­lop­pe­ment (Agen­da 21). Elle serait per­çue sur les kilo­mé­trages à l’é­mis­sion des billets, et dépen­sée par une ou plu­sieurs orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales (Banque mon­diale, Fonds pour l’en­vi­ron­ne­ment mon­dial, Pro­gramme des Nations unies pour l’en­vi­ron­ne­ment ou pour le déve­lop­pe­ment). Il s’a­gi­rait là d’un outil de finan­ce­ment au pro­fit des pays les plus pauvres, appuyé sur la taxa­tion d’un type de consom­ma­tion volon­tiers asso­cié à la richesse.

Une autre idée est celle d’un ins­tru­ment éco­no­mique visant à pro­mou­voir l’ef­fi­ca­ci­té éner­gé­tique du sec­teur de l’a­via­tion. En pra­tique, il s’a­gi­rait d’une taxa­tion des car­bu­rants avia­tion , per­çue par les États, har­mo­ni­sée au plan inter­na­tio­nal. Comme la taxe car­bone contre l’ef­fet de serre, dont elle est un déri­vé, cette taxe pour­rait offrir un poten­tiel de « double divi­dende » éco­no­mique par réduc­tion d’autres impôts ou charges.

Effets attendus d’une taxe

L’OCDE a étu­dié les effets pos­sibles d’une taxe sur les car­bu­rants avia­tion, de niveau 5$, 25$ et 125$ par tonne de car­bone, équi­va­lant à une aug­men­ta­tion des prix actuels des car­bu­rants avion de 2 %, 10 % et 50 % res­pec­ti­ve­ment. Une par­tie de cette aug­men­ta­tion sera sup­por­tée par les consom­ma­teurs, pro­vo­quant une petite contrac­tion de la demande (en pas­sa­gers-kilo­mètre), éva­luée ainsi :

Mon­tant de la taxe ($/tC):
5 25 125
Réduc­tion trafic (%):
0,2 à 0,6 0,9 à 2,9 4,4 à 13,3

D’autre part, l’in­tro­duc­tion d’une telle taxe sus­ci­te­ra des efforts de ges­tion du tra­fic et accé­lé­re­ra le rem­pla­ce­ment des flottes, comme le montre l’exa­men des réac­tions du sec­teur aux chocs pétro­liers. De 1974 à 1988, l’ef­fi­ca­ci­té éner­gé­tique de l’a­via­tion a crû annuel­le­ment de 4%. De 1990 à 1995, après le contre-choc, elle n’a crû que de 0,3 % par an. Uti­li­sant un com­bus­tible exempt de toute taxe, l’a­via­tion se montre extrê­me­ment sen­sible aux prix.

Les poten­tiels d’a­mé­lio­ra­tion aujourd’­hui iden­ti­fiés sont de 10–20 % par pas­sa­ger-kilo­mètre par une meilleure ges­tion, de 30 à 50 % par les tech­no­lo­gies pré-com­mer­ciales actuelles. Au total, une taxe de 35–40 $ rédui­rait les émis­sions ten­dan­cielles en 2020 de 30 % envi­ron : un dou­ble­ment des émis­sions se sub­sti­tue­rait à la ten­dance spon­ta­née au triplement.

Perspectives

L’i­dée d’une taxa­tion des car­bu­rants avion est assez étran­gère à la culture des auto­ri­tés régu­la­trices de l’a­via­tion civile dans la plu­part des pays, et l’Or­ga­ni­sa­tion inter­na­tio­nale de l’a­via­tion civile elle-même n’a ces­sé d’oeu­vrer pour déman­te­ler ou réduire la fis­ca­li­té de ce sec­teur. La plu­part des accords bila­té­raux sur le trans­port aérien pré­voient des dis­po­si­tions hos­tiles à la fis­ca­li­té sur le carburant.

Cepen­dant, l’OA­GI n’in­ter­dit pas les « charges » envi­ron­ne­men­tales, comme la taxe sur le bruit des atter­ris­sages gérée par l’Ademe.

Le pro­duit mon­dial d’une taxe de 5$ par tonne de car­bone sur le seul tra­fic inter­na­tio­nal s’é­lè­ve­rait à 375 mil­lions de $ aujourd’­hui, pou­vant atteindre 1,05 mil­liard de $ en 2020. Une taxe de 40$ pro­dui­rait 3 mil­liards de $ aujourd’­hui, pou­vant atteindre 6,3 mil­liards de $ en 20201

On peut se deman­der s’il serait pos­sible d’as­so­cier les deux idées dis­tinctes de taxa­tion du car­bu­rant avion : taxer tous les car­bu­rants avia­tion il un niveau four­nis­sant un signal-prix effi­cace, et en uti­li­ser le pro­duit pour finan­cer l’A­gen­da 21. Si on n’u­ti­lise que le pro­duit per­çu sur le tra­fic inter­na­tio­nal, alors, du fait de sa divi­sion en États membres, l’U­nion euro­péenne est péna­li­sée en com­pa­rai­son des États-Unis d’A­mé­rique (sauf à faire recon­naître le tra­fic aérien à l’in­té­rieur d’une orga­ni­sa­tion d’in­té­gra­tion éco­no­mique comme « national »).

De plus, finan­cer l’aide au déve­lop­pe­ment durable des pays en déve­lop­pe­ment avec une taxe visant par ailleurs un objec­tif de dis­sua­sion ne per­met plus d’es­pé­rer un double divi­dende par recy­clage du pro­duit de la taxe dans les bud­gets de chaque pays.

Mais quelle que soit sa forme , l’hy­po­thèse d’une taxa­tion du car­bu­rant avia­tion fait figure de favo­rite par­mi les mesures qui pour­raient être prises pour régu­ler les émis­sions de l’a­via­tion civile, étant don­né la grande sen­si­bi­li­té aux prix de l’ef­fi­ca­ci­té éner­gé­tique du sec­teur. Ce qui ne signi­fie pas pour autant qu’il sera aisé d’ob­te­nir un accord au sein de l’OA­CI : de nou­velles et rudes négo­cia­tions en perspective.

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(1) On sup­pose une mul­ti­pli­ca­tion des émis­sions par 2,8 avec une taxe de 5$, par 2,1 avec une taxe de 40$.

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