Le vin de paille, un nectar de patience
Dans les croyances populaires du Jura, le vin de paille est associé à l’idée de force, d’énergie vitale : c’est le vin des jeunes mariés et celui qu’on donne aux convalescents, on l’appelle “ vin de paille ” parce que les raisins étaient autrefois séchés sur un lit de paille avant d’être vinifiés.
On trouve des vins de paille dans le Jura et un peu sur l’appellation Hermitage, dans les Côtes-du-Rhône septentrionales. Ils font partie de la famille des vins liquoreux, que l’on obtient par trois méthodes, qui donnent des résultats très différents. Une première méthode consiste à ajouter de l’alcool au moût, avant pendant ou après la fermentation, selon les cas, c’est ainsi qu’on obtient les portos, banyuls, maury, les muscats du Roussillon et le pineau des Charentes. Les autres méthodes permettent d’obtenir des vins naturellement doux, soit par la “ pourriture noble ” qui repose sur l’action d’un champignon microscopique qui concentre le sucre dans le raisin en éliminant l’eau, soit à partir de raisins séchés au soleil ou sur claie (cas du vin de paille). Ces trois méthodes ont chacune leur vertu et produisent des résultats excellents. Dans tous les cas, les vins produits sont magnifiquement taillés pour la garde.
À la différence du vin jaune, issu du seul savagnin, le vin de paille est élaboré à partir de tous les cépages du vignoble du Jura (sauf le pinot). L’assemblage varie d’année en année, en fonction des conditions climatiques, pour combiner la puissance et l’acidité. Il y a souvent un peu de raisins rouges. On remarque d’ailleurs que le vin de paille du Jura est plus coloré que le sauternes ou que les sélections de grains nobles alsaciennes. Vendangées à la main, les grappes sont mises à sécher pendant plusieurs mois sur des claies. Après pressurage de ces baies gorgées de sucre, on obtient de 15 à 18 kilos de moût pour 100 kilos de raisin. La fermentation, très lente, en raison de la concentration en sucre, dure plusieurs mois. Après trois ans à compter du pressurage (dont un minimum de dix-huit mois en fût), le vin, qui titre alors entre 15 et 18° d’alcool, est mis dans des petites bouteilles de 37,5 cl, dont le potentiel de garde peut être estimé à au moins cinquante ans.
Seuls les vins d’appellation contrôlée “ Arbois ”, “ L’Étoile ” et “ Côtes du Jura ” peuvent présenter sur l’étiquette la mention “ vins de paille ”. Ce sont des vins agréables à boire, très doux, avec des arômes fruités (raisins de Corinthe, fruits exotiques, agrumes, fruits confits, mais aussi poires cuites et confiture de framboise) et des notes de caramel et d’épices. Le vin de paille de l’Hermitage est produit dans des conditions identiques, mais ses cépages sont très différents : essentiellement la marsanne, avec parfois un peu de roussane. On trouve souvent dans les vins de paille du Jura des évocations de vin jaune (notes de Xérès, de noyaux d’amande) qu’on ne retrouve pas dans celui de l’Hermitage, où les saveurs miellées prédominent. Les deux sont d’excellents produits, rares et recherchés.
Il faut servir le vin de paille à une température de 7 ou 8°, il sera frais mais pas trop, pour bien exprimer ses arômes complexes et subtils. On peut le boire à l’apéritif, sur un foie gras (en terrine ou cuisiné), sur des fromages bleus ou sur des desserts : l’accord avec le chocolat amer est somptueux, mais les accords avec des desserts à base d’agrumes ou d’amandes (pithiviers) ne sont pas moins intéressants.
Au Moyen Âge, on prêtait au vin de paille la faculté de “ tourner la cruauté en pitié, l’avarice en largesse, l’orgueil en humilité, la paresse en diligence, la peur en hardiesse ”. Si on donnait du vin de paille à tous ceux qui doivent transformer leurs vices en vertus, il est probable que la production actuelle n’y suffirait pas, mais rien ne vous empêche de tester subrepticement les pouvoirs du vin de paille sur les cas les plus critiques de votre entourage : vous combinerez ainsi l’utile et l’agréable.