Dans le ventre de l’École
Palaiseau : j’avais imaginé un haut lieu de la sériciculture, où les coconscrits lovés dans la soie se délecteraient de mets soigneusement sélectionnés pour satisfaire leur appétit légendaire.
Que nenni ! J’entre dans un vaste espace d’un blanc éblouissant aux allures de station de métro : c’est la « station Magnan », bâtiment 27 sur la cour Vaneau. Les lieux sont encore en chantier, en août prochain ils s’ouvriront sur trois mille affamés, apprenants et non-apprenants, comme on les appelle désormais.
Nous sommes loin des tablées militaires au menu unique, nourriture de caserne solide et bien arrosée, qui, à certaines époques, portaient le nom des professeurs qui officiaient le même jour.
Trois mille consommateurs, de tous âges et de toutes nationalités, souvent exigeants, six tonnes de vaisselle, mille canettes (et pas d’alcool) à chaque service, cinq choix d’entrées, quatre de desserts, huit laitages, six plats ne se traitent plus comme une cantine familiale.
Économie et séduction
M. Gillet, le Grand Magnantou, m’accueille très chaleureusement, fier de me présenter son projet. Chef d’une entreprise de restauration de quarante- neuf salariés, devant faire face à de multiples contraintes d’hygiène, de sécurité, de flux, d’économie mais aussi de séduction, il exerce un métier qui ne ressemble que de très loin à celui de ses prédécesseurs de la montagne Sainte-Geneviève.
Le vieux Magnan n’avait aucun effort à fournir pour rester proche des élèves, lesquels n’hésitaient pas à applaudir quand le repas leur convenait ou à le charger de malédictions quand ils n’étaient pas satisfaits. Il faut beaucoup de passion au nouveau Magnan pour faire coïncider des exigences gustatives multiples, des contraintes écologiques et pédagogiques ; comment faire comprendre à de féroces amateurs de steak-frites quotidien l’impact de leur plat favori sur la pollution et sur leur équilibre intestinal ?
La soupe maison
Aussi, tous les jours, une soupe maison est-elle proposée, et de plus en plus consommée à chaque repas, au point que les marmites ont été multipliées par quatre. Le Magnan a anticipé la mode du bar à soupe, il n’y en avait plus une goutte à mon arrivée. En adoptant le Plan national Nutrition Santé, le self a impliqué les étudiants, soucieux d’une démarche écocitoyenne, qui en viennent eux-mêmes à proposer des solutions, telles l’affichage d’une réglette d’indice carbone pour chaque plat proposé ou la suggestion d’apporter ses propres couverts pendant la période des travaux où le jetable est de rigueur.
Logique et rigueur
Par faveur extrême, et grâce à la notoriété de La Jaune et la Rouge, mon cicérone m’introduit, dûment vêtue d’une blouse blanche, dans les entrailles de cette grosse machine. Sous mes yeux ébahis, une usine se déploie : partout l’inox rutile, un parcours rigoureux s’articule de part et d’autre d’un couloir sans fin, souligné de bleu ou de rouge selon les affectations. Nous traversons des zones glacées, d’autres chargées de marchandises prêtes à être traitées, pour finir sur le quai des poubelles, sans que jamais l’enchaînement des tâches ne soit perturbé. Logique et rigueur sans concession, le chaud, le froid, le salé, le sucré, les éplucheries, les laveries, le stockage et tant d’autres, s’échelonnent pour aboutir directement des cuisines dans les assiettes de nos pipos. Cette rigueur est capitale, insiste mon hôte, trois mille repas quotidiens nécessitent fatalement des règles élémentaires d’hygiène.
Équilibre, équilibre
INFOS PRATIQUES
Pour déjeuner au self, pas besoin de réservation en deçà de dix personnes
(prix du menu : 11,50 euros).
Pour réserver une salle privée, s’adresser au chef de cabinet ou à son adjoint.
Malheureusement, je n’ai pas pu vérifier à table l’aboutissement de cet engrenage bien huilé, il ne restait plus grand-chose, juste une blanquette de veau (deux morceaux de viande par personne, pas un de plus, pas un de moins, le Magnan veille sur son équilibre financier et sur notre équilibre pondéral) accompagnée de semoule et de légumes verts. Ce dernier plat passe l’examen sans difficulté, ce qui n’est pas le cas des pâtisseries de temps de travaux.
Les moeurs ont changé, l’École est devenue un centre universitaire de renommée internationale, le Magnan s’est adapté aux nouvelles attentes de son nouveau public. Rien ne vous empêche d’aller vérifier dans les open spaces aux files d’attente bien gérées que la jeunesse polytechnicienne s’y rassemble toujours gaiement, et, si vous le souhaitez, en vous y prenant à l’avance, peut-être pourrez- vous bénéficier du Château des Demoiselles, 2008, que consommaient ce jour-là le chef de corps et ses invités.
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Palaiseau, jeudi 7 juin 2012.