Vacances
Un travailleur est généralement en congé mais un écolier est toujours en vacances. Le mot a depuis l’école une connotation si joyeuse que l’on oublierait presque qu’une vacance, c’est d’abord le vide. Si vos vacances vous ont permis de faire le vide, tout au moins dans votre esprit, essayez de les prolonger et d’écouter des musiques qui ne vous sont pas familières en faisant table rase de toute référence, comme si vous entendiez de la musique pour la première fois.
Telemann et autres baroques
Telemann n’avait pas le génie de Bach mais il s’appliqua à maîtriser de multiples instruments, dont la viole de gambe et le hautbois et son œuvre – prolifique – n’est pas exempte de pièces qui méritent l’écoute pour leur variété harmonique et mélodique, bien supérieure à celle de la musique de Vivaldi. Ainsi, Lorenz Duftschmid et son Armonico Tributo Austria ont enregistré deux Concertos et quatre Sonates pour viole de gambe1. C’est bien tourné, très varié, et si cela ne vaut pas Bach, bien sûr, cela s’écoute avec plaisir. Un autre disque met en valeur, lui, le hautbois, joué par Benoît Laurent qui dirige l’ensemble Lingua Franca2, avec une Partita de Telemann et des pièces de Johann Fischer, Fasch et Müller. Contrairement à la musique de Bach, celle-ci peut s’entendre comme musique de fond, avec un bon roman policier, dernier prolongement de vos vacances.
The Harmonious Society of Tickle- Fiddle Gentlemen s’est employée à ressusciter l’œuvre de J. C. Pepusch, compositeur anglais moins connu que Purcell et Haendel. À l’écoute des six Concertos (pour hautbois, violon, trompette, violoncelle et basson) et des deux Ouvertures dont celle de l’Opéra des Gueux, réunis sous le titre Concertos and Overtures for London3, on prend conscience de l’extraordinaire perméabilité qui existait entre les musiques des divers pays d’Europe : la musique de Pepusch, très agréable, est imprégnée de Vivaldi et Telemann, entre autres.
Deux siècles auparavant disparaissait Johannes Ockeghem, premier chapelain de la chapelle royale sous Charles VII, Louis XI et Charles VIII. Un disque réunit les hommages que lui ont consacrés cinq musiciens de son temps : Pierre de La Rue, Jacob Obrecht, Josquin Desprez, Antoine Busnoys et Johannes Lupus, chantés par l’ensemble Diabolus in Musica dirigé par Antoine Guerber4. Polyphonies très subtiles et savantes qui témoignent de l’extraordinaire vitalité de la création musicale de la Renaissance et d’où se détache le Requiem « Nymphes des Bois » du grand Josquin Desprez.
En enregistrant les Sonates pour clavecin obligé et violon de Bach avec un violon baroque, Chiara Banchini et Jörg-Andreas Bötticher5 ont rompu avec la lignée des versions précédentes dont la version historique de Menuhin. C’est un parti pris, qui agacera les tenants d’un Bach intemporel et qui intéressera les aficionados de la musique baroque d’autant que Chiara Banchini est la spécialiste inégalée du violon baroque.
Contemporains
Kafka inspire nos contemporains. Il nous a été donné d’assister à la première du Château, opéra de Karol Beffa, extraordinaire à bien des égards, mais nous attendrons son édition discographique pour en parler.
Michaël Levinas, lui, a écrit un opéra sur La Métamorphose, commande de l’Opéra de Lille, enregistré par huit solistes et l’Ensemble Ictus dirigé par Georges-Elie Octors, et précédé d’un prologue, Je, tu, il, de Valère Novarina6. Il est difficile de résumer une œuvre d’une telle ambition et d’une incroyable richesse, qui traite la langue française comme une musique et la musique comme une langue, et qui entend faire de La Métamorphose une métaphore baignée de références bibliques et annonçant la Shoah. On dira simplement qu’elle se situe, pour la musique, dans la lignée de Stockhausen et de son célèbre Stimmung, et qu’elle exige de l’auditeur un grand effort d’écoute.
On connaît la passion pour l’Amérique d’Aubert Lemeland, dont on a évoqué notamment dans ces colonnes les Songs for the Dead Soldiers, écrits à la mémoire des soldats américains tombés en Normandie, et que publie l’éditeur Skarbo, entreprise de notre camarade Jean-Pierre Férey (75). Un album rassemble plusieurs de ses œuvres, dont Omaha pour voix de femme, Élégie à la mémoire de Samuel Barber, Battle Pieces, ainsi que le texte lu de son récit Mon chien, ma musique américaine et moi7. La musique de Lemeland est très inspirée par celles de Barber et de Copland et, très élaborée, notamment en matière d’orchestration, elle aspire à l’émotion et n’est rien moins qu’intellectuelle, à cent lieues de celle de Levinas et des disciples de l’Ircam. Un compositeur français injustement méconnu, et qui mérite la découverte.
X45 : les Dixieland Seniors
Tous les premiers mercredis de chaque mois se produisent au Petit Journal Montparnasse les Dixieland Seniors, issus de la formation légendaire de la promo 45, avec les camarades François Mayer (trombone) qui la dirige et Jacques Napoly (banjo) qu’ont rejoints quatre autres excellents musiciens. Leur nouveau disque8 témoigne d’une vitalité jamais démentie et d’une musicalité dans la droite ligne des grands de la tradition Nouvelle-Orléans, Jelly Roll Morton, King Oliver et les autres, avec une douzaine de standards dont Alexander’s Ragtime Band, Savoy Blues, West End Blues, et l’ineffable traditionnel Just a closer walk with thee. Ce n’est pas de la nostalgie en boîte mais du bon jazz, optimiste, vivant et qui console de bien des musiques distinguées et prétentieuses. Vivent les vacances !
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1. 1 CD ARCANA
2. 1 CD RICERCAR.
3. 1 CD RAMEE
4. 1 CD AEON.
5. 2 CD ZIG-ZAG
6. 1 CD AEON.
7. 3 CD SKARBO
8. 1 CD DIXIE (06 09 81 86 00).