Appauvrissez-vous !
Actuellement chroniqueur économique à France Info, notre camarade de Witt s’est spécialisé depuis sa sortie de l’École dans la formation du grand public aux mystères de l’économie et de la finance. Il a été longtemps journaliste à L’Expansion puis a dirigé la rédaction de grands magazines économiques et financiers comme La Vie française (devenue Vie financière), Challenges, Mieux vivre votre argent, sans oublier, si je me souviens bien, La Jaune et la Rouge.
Sous un titre qui interpelle en prenant le contre-pied d’un impératif apocryphe attribué à un autre François (Guizot), il nous régale aujourd’hui avec un essai savoureux mais très documenté et roboratif sur le thème de la transmission du patrimoine entre générations.
Avec le rallongement de la vie humaine, de l’ordre de un an tous les quatre ans, de Witt remarque que les générations ne se succèdent plus comme avant mais coexistent de plus en plus longtemps. Il faudrait d’ailleurs modifier le deuxième couplet de la Marseillaise qui dit : “ Nous entrerons dans la carrière quand nos aînés n’y seront plus ” (et peut-être aussi le refrain guerrier, mais c’est une autre histoire…). La transmission de patrimoine, qui se fait traditionnellement au moment de la succession, intervient donc souvent à un moment où les enfants sont déjà retraités et où les petits-enfants sont même déjà entrés dans la vie active.
La thèse de Witt est que les vieillards (je n’utilise pas le mot politiquement correct de “ senior ” car je ne vois pas pourquoi on n’appellerait pas un chat un chat) n’ont pas besoin de beaucoup d’argent pour vivre et ont un taux d’épargne qui croît inutilement alors que les jeunes ont besoin d’argent pour s’installer et sont susceptibles de faire repartir par leur consommation une économie française chancelante. Il préconise donc que les vieillards organisent le transfert de leur patrimoine à leurs descendants – ou à des organismes d’utilité publique – bien avant que la mort s’en charge. L’âge de 75 ans lui paraît le plus approprié pour ce faire, les habitudes de consommation déclinant fortement à partir de cet âge.
Ce transfert doit se faire par donation immédiate et non par legs testamentaire et porter sur la pleine propriété des biens et non sur la seule nue-propriété comme cela se fait souvent. Bien entendu, le donateur doit conserver ce qu’il lui faut pour vivre, même en cas de perte d’autonomie, afin de ne pas devenir dépendant financièrement, même de ses enfants. Mais l’objectif à atteindre doit être, selon l’auteur, de vivre riche et de mourir fauché. Dans Ce qu’il faut de terre à l’homme, Léon Tolstoï avait déjà remarqué il y a quelques siècles que les morts n’ont pas besoin de grand-chose.
Le gouvernement a fort heureusement compris tout l’intérêt qu’il peut y avoir pour la Nation à ce que l’argent circule plus vite entre les générations. Il a ainsi pris depuis quelques années diverses dispositions d’ordre fiscal pour inciter à faire des donations anticipées aux enfants ou aux petits-enfants. Ces mesures ont eu un effet certain, mais de Witt montre que les sommes ainsi transférées ne représentent qu’une goutte d’eau par rapport à ce qui pourrait – et devrait – être fait.
Truffé de chiffres sérieux et d’exemples pittoresques tirés de son expérience professionnelle, le livre de François de Witt se lit très facilement et il est très convaincant. Devant bientôt fêter mon septantième anniversaire, j’ai aussitôt pris rendez-vous avec mon notaire avec mon épouse pour organiser une donation à nos enfants et petits-enfants. Je vous recommande d’en faire autant sans tarder si vous le pouvez.
Dans notre pauvre pays où le travail a cessé d’être une valeur recommandable et où un livre faisant l’éloge de la paresse fait un tabac, je souhaite que notre camarade François de Witt ne s’arrête pas en si bon chemin et applique maintenant ses talents de pédagogue à prolonger le travail de la Fontaine en écrivant un livre qui pourrait être intitulé Travaillez, prenez de la peine…