La Relativité,
Ce livre fait pénétrer son lecteur dans le monde des plus illustres mathématiciens et physiciens du début du XXe siècle. Il nous montre avec quelle fébrilité l’antériorité des découvertes était recherchée, à cette époque, par les Universités allemandes. Celles-ci étaient alors maîtres incontestés en Mathématique et Physique théorique, avec des ténors comme Planck, Klein, Kirchhoff, Hilbert… et le jeune Albert Einstein (Suisse allemand). La consécration scientifique n’était acquise à un chercheur qu’après publication de son mémoire dans les Annalen der Physik dont Planck était le rédacteur en chef.
Leveugle nous fait revivre l’atmosphère de cette pléiade de savants d’outre-Rhin qui se communiquaient l’un à l’autre les résultats de leurs derniers calculs en vue d’accélérer leur publication. En France, malgré quelques grands noms (Hermite, Borel, Hadamard…) les contacts étaient moins étroits.
C’est pourquoi Poincaré (X 1873) qui n’était même pas un universitaire (jusqu’à ce que Hermite lui obtienne une chaire à la Sorbonne) s’était tourné vers la Hollande et correspondait avec Lorentz. Cela l’amena à pénétrer dans le domaine de la physique et à tirer des travaux de Lorentz les fondements du principe de relativité qu’il appela modestement “ la nouvelle mécanique ”.
Apparemment, il ne fut pas très conscient d’avoir fait ce qu’on devait appeler plus tard la plus grande découverte du siècle ; il communiqua à son Académie des sciences une note de plusieurs pages sur ce sujet où figuraient tous ses calculs indiscutables. Selon la règle générale de l’Académie cette note fut aussitôt diffusée aux correspondants étrangers, notamment allemands.
Se perdit-elle dans les dossiers du rédacteur en chef des Annalen ? Toujours est-il que six mois plus tard (septembre 1905) parut dans cette revue, sous la signature d’Albert Einstein, un article sur le même sujet. La référence à Lorentz y était évidemment faite, mais rien sur Poincaré.
Les trompettes allemandes saluèrent la parution de cet article. Poincaré ne réagit pas et ses confrères français se désintéressèrent de la question. L’Histoire était donc désormais écrite. D’autant plus que Poincaré mourut prématurément en 1912, alors que Planck et Einstein vécurent encore plus de trente ans.
Au-delà de ces péripéties, sur lesquelles la lumière totale ne sera jamais faite, Leveugle nous apporte un éclairage plein d’enseignements sur une des grandes mutations du savoir humain, et se rallie à la maxime de Poincaré : “ La recherche de la vérité doit être le but de notre activité : c’est la seule fin qui soit digne d’elle. ”
Le livre de Jules Leveugle, nourri de nombreuses photocopies de la correspondance entre Poincaré, Planck et Einstein, constitue un document instructif et très vivant. Malgré les limites de mes souvenirs mathématiques j’y ai trouvé un grand intérêt.