Croissance, fidélisation et profitabilité : l’équation du numérique
REPÈRES
La montée en puissance de marques numériques (Google, Amazon, Apple, etc.) représente pour les acteurs traditionnels des risques majeurs : baisse progressive de la part de marché, perte de la relation client, basculement du pouvoir de négociation vers de nouveaux acteurs, et parfois perte de confiance des actionnaires et investisseurs.
Il est encore temps de réagir, à condition de ne pas se tromper de combat.
Nouvelles règles du jeu
Les taux de croissance observés sur l’ensemble des marchés numériques sont séduisants à première vue pour tout investisseur.
Confiance des marchés
Les acteurs traditionnels doivent gagner la bataille du client pour ne pas se laisser dominer par les « géants du numérique ».
Ces derniers ont des marges inférieures et des ratios de valorisation pourtant trois à quatre fois supérieurs ; ces ratios reflètent en partie la confiance des investisseurs en la capacité des géants du numérique à gagner la bataille de la relation client.
Mais les sous-jacents sont trompeurs, et il convient de poser les bonnes questions. Les barrières à l’entrée sont faibles (le nombre de sites marchands croît à un rythme de 30% par an) : comment maintenir la part de marché ? Plus de 90% des consommateurs se renseignent sur Internet avant d’aller en point de vente, et les écarts de prix peuvent atteindre 7 % à 15% : comment maintenir les marges ? Chaque année, trois millions d’internautes deviennent consommateurs en ligne et se désengagent progressivement de leurs marques de prédilection : comment garder la maîtrise de la relation client ?
Trois pistes gagnantes
Géants du numérique
Des géants du numérique émergent et la menace qu’ils représentent pour les acteurs traditionnels touche la plupart des secteurs. Dans l’hôtellerie, la capitalisation boursière de Booking.com (groupe Priceline) a atteint en quatre ans trois fois celle de Marriott et six fois celle de TUI. Dans la distribution, la capitalisation boursière d’Amazon a atteint en cinq ans trois à quatre fois celle de Carrefour, Macy’s ou PPR.
Les acteurs traditionnels peuvent reprendre la tête du peloton dans leur secteur. Nous proposons ci-dessous trois pistes pour relever ce défi, sur la base des travaux réalisés par Oliver Wyman dans des géographies ou secteurs en pointe sur le numérique.
Innover par la demande
La revue exhaustive de tout ce qui « irrite » le client permet d’identifier des trésors pour réinventer l’offre et réenchanter l’expérience client à travers les canaux numériques. C’est ce qu’a entrepris avec succès Netflix aux États-Unis (voir encadré), passant d’une activité traditionnelle de location de DVD à un service de streaming qui rassemble aujourd’hui 23 millions d’abonnés. La lecture du dernier ouvrage d’Adrian Slywotzky (Demand – Creating What People Love Before They Know They Want It) permet de comprendre ce qui a fait le succès de Netflix, d’Apple ou de Nespresso.
Netflix
Cette société a réenchanté et réinventé l’utilisation des vidéos téléchargées, grâce à des contenus exclusifs, des interfaces uniques et surtout un moteur de recommandations révolutionnaire.
Ce moteur contribue à générer plus de 60% des usages grâce à des algorithmes propriétaires. Cette stratégie a permis d’attirer plus de 23 millions de foyers américains, « irrités » par la location de DVD en magasin.
Des modèles prédictifs permettent aussi de simuler les impacts des nouvelles offres numériques sur les comportements clients. Ces simulations permettent de minimiser les phénomènes de cannibalisation et de faire croître la demande globale tous canaux confondus.
C’est ce travail qu’a entrepris la Française des Jeux sur son offre de paris sportifs en 2009 : la nouvelle offre a permis de faire croître l’activité de plus de 20 % sur l’ensemble des canaux.
Les internautes les plus aguerris sont aussi les moins fidèles à une marque
Lancer de nouvelles offres est coûteux et risqué : la prise en compte de l’ensemble des actifs de l’entreprise, visibles ou cachés, permet de limiter les investissements nécessaires au développement tout en préservant la capacité de différenciation sur le long terme.
C’est grâce à un travail de cette nature que Voyages-SNCF s’est développé rapidement sur le marché des voyages en ligne en France, et a préservé sa place de leader ces dix dernières années.
S’équiper de nouveaux savoir-faire
Les benchmarks montrent que seuls 30 % à 40 % des leviers de performance offerts par les canaux numériques sont aujourd’hui exploités, quels que soient les secteurs et les géographies. Pourtant, ces leviers permettent de minimiser le risque de cannibalisation et de créer de la valeur dans la durée.
Ingénierie de la marge
Aborder la performance numérique par un travail sur l’ingénierie de la marge et de la valeur client permet de décupler le retour sur investissement des dispositifs marketing.
Les leviers de performance sous-exploités requièrent en général une forte articulation en transverse (marketing, commercial, pilotage de gestion, DSI, fournisseurs & partenaires) et la prise en compte d’indicateurs souvent peu accessibles ou mal maîtrisés : courbes d’élasticité ; ingénierie de la marge ; calcul de la valeur client ; modèles prédictifs.
Se forcer à intégrer des indicateurs peu accessibles ou mal maîtrisés dans les outils de décision
Dans un premier temps, il est nécessaire de cadrer l’ambition financière ainsi que les efforts et investissements requis pour développer ces leviers : en recensant les meilleures pratiques observées dans d’autres secteurs et en identifiant les leviers sous-exploités, en quantifiant les impacts EBIT et en qualifiant la faisabilité.
La clé du succès consiste in fine à réinvestir une partie des fruits de la performance dans le service, la marque et les points de vente. Ces réinvestissements permettent de s’engager sur un cercle vertueux de croissance-performance, et de créer une différenciation durable vis-à-vis des géants du digital.
Des leviers de performance mal exploités
Les savoir-faire du numérique se sont particulièrement développés sur la génération d’audience (taux d’utilisation des leviers supérieur à 80 %), moins sur les autres catégories.
Étendre le périmètre des savoir-faire au-delà est complexe mais stratégique.
Engager l’ensemble de l’entreprise
Le numérique ne se restreint plus à une optimisation court-termiste des canaux de distribution.
La réussite des jeux en ligne
La Française des Jeux a mis en place une transformation numérique en 2008, à l’occasion de l’ouverture du marché des paris sportifs en ligne. Cette transformation a amené un repositionnement stratégique en accord avec les valeurs de l’entreprise (et les objectifs des actionnaires). Elle a permis une augmentation forte du chiffre d’affaires des paris sportifs sur l’ensemble des canaux, et au global de l’ensemble des jeux (+ 24% en trois ans), grâce à une politique d’innovation et de mobilisation des collaborateurs.
Autre conséquence, et non des moindres : un renforcement considérable de la ligne managériale et une capacité de recrutement accrue.
Des délais de réaction souvent courts, qui mettent sous tension les ressources internes et l’organisation
Il impose un changement profond de la stratégie d’entreprise et de ses modes de fonctionnement. Il n’est plus possible pour les entreprises impactées par le numérique de construire et « dérouler » une stratégie à moyen et long terme, compte tenu des incertitudes sur l’environnement et sur l’évolution des comportements clients. Ces incertitudes imposent des délais de réaction courts, qui mettent sous tension les ressources internes et l’organisation.
Seule une démarche de transformation peut permettre de positionner l’entreprise sur une voie de croissance rentable et durable, avec l’appui de l’ensemble des collaborateurs.
Quatre conditions de réussite
Les conditions de réussite d’une telle démarche sont :
- sélectionner un petit nombre de leviers de croissance et de performance sur lesquels l’entreprise va se focaliser ;
- les organiser selon un programme rythmé par vagues d’initiatives, sur une période allant en général de douze à vingt-quatre mois ;
- amener les collaborateurs à un mode de travail participatif, et insuffler la culture du digital ;
- enfin, sécuriser la gouvernance, le leadership et le mode de pilotage qui vont tirer l’ensemble de l’entreprise.
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