François Valentin (32), 1913–2002
François Valentin nous a quittés le 14 novembre à près de 90 ans…
Pour rappeler sa carrière militaire, je ne puis que reprendre les termes de l’article que lui a consacré le colonel Legrand dans l’Objectif de janvier 2003, le bulletin de la Fédération nationale de l’artillerie.
Mais, avant d’en donner le texte, je voudrais rappeler que François Valentin, à l’École de la rue Descartes, a contribué à animer les » représentations artistiques » de la promo 32, qu’il était connu de tous, et qu’il a été un cavalier émérite qui a pratiqué l’équitation longtemps après la fin de son service actif.
Ayant accédé au plus haut niveau militaire, il a continué, à sa retraite, à se passionner pour les problèmes de Défense et s’est rendu maintes fois à Palaiseau pour parler des questions militaires aux élèves de l’École, lorsqu’il présidait le groupe X‑Défense.
Ce fut aussi un ami très fidèle qui nous manquera.
Et maintenant pour rappeler sa si belle carrière dans l’armée, voici ce qu’en dit le colonel Legrand dans l’Objectif :
Le général Valentin nous a quittés. C’est une grande figure de l’artillerie que nous perdons avec lui. La brillante carrière qu’il a suivie est bien illustrée par les termes d’une de ses citations : « Officier de classe, alliant à une intelligence remarquable la plus grande bravoure. »
Il fait la campagne de 1940 avec le 17e RA et il est cité. Fait prisonnier, il s’évade du camp d’Ebersheim et est affecté au 2e RA. Rayé des cadres de l’armée active, il sera réintégré dans les cadres sans interruption de service par la suite. En 1943, capitaine, il s’évade de France par l’Espagne et gagne le Maroc où il sera affecté au 63ème RAA. « Cherchant toujours à se porter aux endroits les plus dangereux », comme le dit la citation accompagnant sa croix de la Légion d’honneur, il fait les campagnes d’Italie, de France et d’Allemagne où il se distingue particulièrement à San Pietro, au Majo et à Bourbach-le-Bas.
Il sert successivement en 1945 et 1946 à l’état-major général de la Défense nationale et à l’état-major particulier du Haut-Commissaire de la République en Indochine à Saïgon avant de prendre, en 1947, comme chef d’escadron, le commandement du 2ème groupe du RACM et de l’artillerie du secteur de Haiphong, puis du sous-secteur de Haï-Duong. Sa participation à la prise de Sept Pagodes, de Phu-Lang-Tuong, puis à la conquête du secteur de Dong Trieu, sa conduite à Ha Loan, à Chy Khe et à Haï-Duong ainsi que lors du nettoyage des zones rebelles de Maï Suu et de Ho Gia au Tonkin lui valent trois nouvelles citations, dont deux à l’ordre de l’armée.
Rentré en métropole, il est affecté au Secrétariat général permanent de la Défense nationale avant de suivre les cours de la 64e promotion de l’École de guerre, d’où il sort au 3e bureau de l’état-major du commandement en chef des forces terrestres alliées Centre Europe.
Lieutenant-colonel, il est nommé chef du Secrétariat permanent de la Défense nationale à la Résidence générale de France à Tunis, devenu Haut-Commissariat de France en Tunisie, puis ambassade extraordinaire de France en Tunisie. En 1957 il est conseiller militaire et de Défense nationale à l’ambassade extraordinaire de France à Tunis, puis prend le commandement de l’artillerie de la 2e division d’infanterie et le secteur d’Oran en Algérie. Il y obtiendra une citation pour ses résultats brillants dans l’œuvre de pacification.
En 1958, il prend comme colonel le commandement de l’artillerie de la 1re division blindée de Trèves, puis devient sous-chef d’état-major opérations du commandement en chef des Forces françaises en Allemagne. En 1962, il est nommé chef d’état-major du commandement supérieur des forces armées françaises en Algérie.
Général de brigade en 1962, il commande l’École d’application de l’artillerie à Châlons-sur-Marne. En 1967, général de division, il est adjoint au général commandant en chef les Forces françaises en Allemagne, puis adjoint au chef d’état-major des armées, il passe général de corps d’armée et devient, en 1970, gouverneur militaire de Metz, commandant de la 6e région militaire.
Général d’armée en 1971, il est nommé en 1972 commandant de la 1re armée et gouverneur militaire de Strasbourg. Il achève ses activités militaires dans ce poste le 14 juillet 1974 en entrant dans sa soixante-deuxième année.
Mais il ne cesse pas pour autant à se livrer à de nombreuses occupations : conférences, colloques, rédaction de maints articles pour diverses publications, jusqu’à ces excellents Regards sur la politique de défense de la France de 1958 à nos jours, qu’il publie en 1995, à la veille de la professionnalisation de l’armée et qui restent un puissant outil de réflexion sur notre avenir militaire.
Le général Valentin était grand officier de la Légion d’honneur, grand-croix de l’ordre national du Mérite, commandeur du Nicham Iftikhar, commandeur de l’ordre du Million d’Éléphants et du Parasol blanc, commandeur de l’Ordre national de la Côte-d’Ivoire. Médaille des Évadés, il était titulaire de 9 citations dont 3 à l’ordre de l’armée.
Il reste pour nous un exemple et un modèle. »
Yves VIOTTE (32),
général de corps d’armée (2s)
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S’il était un général d’armée, ancien commandant de la première armée et signataire de l’accord franco-allemand éponyme, le général Valentin n’était pas que général. Le hasard de quelques engagements associatifs m’a permis de découvrir d’autres facettes de sa personnalité, de ses engagements et de ses compétences.
Qui l’eût cru ? C’était un fin connaisseur de la littérature du XVIIe siècle : j’efface, à cet égard, mon jugement derrière celui de mon épouse, professeur à la Sorbonne, précisément dans cette discipline et pour ce siècle. Le général Valentin a fini par céder à la tentation d’écrire ce qu’il avait à dire sur le drame racinien, dans un petit livre que les préjugés de notre époque ont desservi, car les éditeurs et les étudiants n’imaginent pas qu’un officier puisse avoir compris la littérature classique autrement qu’en potache.
Il était aussi un véritable passionné de l’École polytechnique, attaché à son statut et à son rayonnement, dépensant son temps sans compter pour attirer des jeunes à la vocation militaire, c’est-à-dire, non pas tant à l’uniforme, qu’au service très direct des intérêts essentiels du pays.
Il promettait aux élèves la découverte rapide de responsabilités humaines comme on en a peu, vers 25 ans, dans les entreprises d’informatique, et un pouvoir sur le monde, à 50, au-delà de celui des présidents de multinationales. Sa capacité à ne pas se décourager quelquefois devant un amphi presque vide où il avait amené une personnalité de premier plan, à communiquer son enthousiasme et à dire la réalité de l’École telle qu’elle est forçait l’admiration. Toute manifestation du groupe X‑Défense associait de jeunes camarades et leur permettait de toucher du doigt les grandes questions du moment.
L’intérêt de l’État ne pouvait aller sans sa traduction politique, tant il est vrai que ce champ peut gâcher les meilleures aptitudes d’un pays. Évitant les actions polémiques, aux côtés du général Michel Fourquet (33), il a consacré beaucoup de temps à mettre en perspective l’essentiel des considérations stratégiques à une époque où les bouleversements politiques risquaient de faire oublier les fondamentaux de défense et où les stratégies individuelles portaient la plupart des acteurs à la courtisanerie plus qu’à la formulation de l’exigence de l’intérêt national.
Nul doute que la pérennité de la doctrine française de dissuasion ne lui doive beaucoup.
Michel FERRIER (62),
ingénieur général des Mines