Le Vent des peupliers

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°584 Avril 2003Par : Gérald Sibleyras, dans une mise en scène de Jean-Luc TardieuRédacteur : Philippe OBLIN (46)

Avant d’al­ler voir jouer Le Vent des peu­pliers au Théâtre Mont­par­nasse – qui ne s’appelle plus Mont­par­nasse – Gas­ton Baty, on se demande pour­quoi – j’en avais lu le texte. Quand l’ouïe baisse, mon cas, et que l’on a la bro­chure sous la main, c’est la pru­dence même. Cette lec­ture ne fit pas lever en moi un enthou­siasme grand. J’y subo­do­rai comme un arrière-goût de sur­réa­lisme à ten­dance méta­phy­sique qui m’inquiéta un peu. N’est pas Beckett ou Iones­co qui veut, me disais-je.

Molière écrit quelque part que, sauf à être du métier, on ne sau­rait juger de la qua­li­té d’une pièce en la lisant, mais seule­ment aux chan­delles, c’est-à-dire sur scène. N’étant pas pré­ci­sé­ment “ du métier ”, j’ai pu mesu­rer la jus­tesse de cette obser­va­tion et consta­ter que, au contraire de mes sottes réserves, le texte de l’auteur, M. Gérald Sibley­ras, fai­sait mer­veille sous les herses. Or M. Sibley­ras est du métier, lui. Il est comé­dien, et il s’agit d’ailleurs là de sa pre­mière écri­ture dra­ma­tique. Voi­là qui nous pro­met de bonnes heures de théâtre, s’il pour­suit dans cette voie.

Sans pour autant rien ôter à son mérite, il convient pour­tant d’ajouter que son texte est ser­vi par trois grands, très grands. M. Georges Wil­son ne vien­drait pas chaque soir de sa loin­taine forêt de Ram­bouillet, où il abrite ses quatre-vingt-un ans, s’il n’avait pas jugé d’emblée que le jeu en valait la chan­delle, au sens propre du terme. Le jeu ? Celui d’un vieil offi­cier bien né, atter­ri dans une mai­son de retraite pour anciens com­bat­tants, nar­quois, entê­té et bou­gon, mal dans sa peau à l’idée qu’il perd ses che­veux et qui, de sur­croît, doit, lui un ancien héros de la guerre de 14, ava­ler des potages tièdes sous la hou­lette d’une bonne sœur rele­vant de l’espèce gen­darme à la cha­ri­té auto­ri­taire. Il tue le temps comme il peut en d’interminables bavar­dages, pour le spec­ta­teur d’une hila­rante vacui­té, avec deux autres éclo­pés de la Pre­mière Guerre mondiale.

Éclo­pés pour leur part joués par deux autres grands. Le cher Jacques Sereys, en l’occurrence un colo­nel les­té d’un éclat d’obus dans le crâne, qui le rend sujet à de fré­quentes syn­copes aux consé­quences par­fois sau­gre­nues ; par le mali­cieux Mau­rice Che­vit, moins gra­dé mais pétri de bon sens et prompt à l’enthousiasme mal­gré une patte folle qui le han­di­cape dans ses courtes pro­me­nades autour de l’hospice, en l’empêchant de suivre comme il l’aimerait les ébats cham­pêtres des petites filles du pen­sion­nat voi­sin, et de leur jeune institutrice.

Alors pour­quoi ce titre ? Au contraire de La Can­ta­trice chauve par exemple, cet inti­tu­lé d’apparence sibyl­line pos­sède un sens. Au loin mais visible de la mai­son de retraite, sur la crête d’une haute col­line, s’étire une ran­gée de peu­pliers qu’agite sans cesse le vent léger d’août. Ils bougent, et dans l’univers clos où nos trois mal­heu­reux retrai­tés tournent en rond, c’est même la seule chose qui bouge.

Aus­si rêvent-ils de s’évader un jour, de gra­vir la col­line et d’aller jusqu’aux peu­pliers. Ils savent bien qu’avec leurs mul­tiples han­di­caps, ce ne sera guère facile. S’ensuit une pré­pa­ra­tion d’une par­faite drô­le­rie qu’en bons mili­taires rodés aux coups de main et sou­cieux de ne rien lais­ser au hasard, ils mènent avec méti­cu­lo­si­té. Et de scru­ter l’horizon à la jumelle, d’étudier la carte d’état-major, de ras­sem­bler des cou­ver­tures, d’apprendre à s’encorder.

Autour de ces riens, et de bien d’autres, M. Sibley­ras a bâti une trame de déso­pi­lants dia­logues, ponc­tués de trou­vailles inat­ten­dues, nim­bant cepen­dant les vieux sol­dats déca­tis d’une bien­veillante iro­nie, mêlée de cette pointe de ten­dresse sans quoi il n’est point de grand théâtre. Alors qu’il eût été facile, avec de tels per­son­nages, de ver­ser dans un anti­mi­li­ta­risme d’intellectuel imbi­bé de conscience uni­ver­selle, l’auteur ne com­met pas cette faute de goût et demeure tou­jours d’une réserve de bon aloi à cet égard.

Cet enchan­te­ment cocasse et léger, encore que pas si léger que cela à y bien son­ger, fut mis en scène par Jean-Luc Tar­dieu, venu au théâtre après la mise en scène d’opéras, dif­fi­cile école à coup sûr car, pour une Cal­las, que de ter­ri­fiantes don­dons à diri­ger, frin­guées comme des cais­sières de cirque et sachant mieux pla­cer leurs voix d’or que leurs bras. Bonne école en tout cas : on ne per­çoit pas le moindre “effort de recherche” et tout coule de source sur le plateau

Aux amis lecteurs qui auraient manqué Doit-on le dire ?

Qu’ils sachent que J.-L. Cochet et son équipe la reprennent dès le mois de mars au Théâtre Tris­tan Ber­nard, 64 , rue du Rocher, 75008 Paris, tél. : 01.45.22.08.40, qu’ils la joue­ront au Fes­ti­val de Pau le 7 juillet, puis du 9 sep­tembre au 22 octobre à Lyon, au Théâtre Tête d’Or, 60, rue du Maré­chal de Saxe, tél. : 04.78.62.96.73.

Ils la pré­sen­te­ront ensuite en tour­née, jusqu’à la fin de l’année 2003.

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