La Locandiera de Goldoni et Amphitryon de Molière,
Cette année le Festival d’Anjou avait, entre autres, inscrit à son programme La Locandiera, de Goldoni, et Amphitryon, de Molière. Comme il en est souvent des classiques, genre dont quoi Goldoni relève sans contredit, il y a bien des manières de les interpréter. Nous ignorons d’ailleurs comment Goldoni se faisait jouer, sinon qu’il ne voulait pas entendre parler des masques de la Commedia dell’Arte, les tenant pour un cache-médiocrité.
Quoi qu’il en soit de ce point de vue, La Locandiera de cet été, mise en scène par Jean-Claude Brialy, constituait un bon exemple de cette diversité de conceptions dramatiques, sans que l’on puisse pour autant évoquer une plus ou moins grande fidélité au texte. On connaît le sujet : La Locandiera tient, comme son nom l’indique, une manière d’hôtel meublé. Elle fut promise par son père au valet de l’hôtel. Tant par coquetterie que pour demeurer libre, elle n’est cependant pas pressée de conclure. Pour la félicité du valet, elle est ravissante, mais cela entraîne des conséquences.
Deux des clients de l’établissement lui font la cour. Un jeune noble riche et vaniteux, et le marquis de Forlipopoli, gravement désavantagé dans la compétition par sa situation financière plus que précaire, qu’il tente de masquer en faisant l’avantageux. Elle se paye plus ou moins leur figure à tous deux.
En revanche, elle s’applique par jeu à séduire un certain chevalier, ami des deux autres, qui s’est vanté devant elle de mépriser les femmes. Elle réussit assez vite dans son entreprise, ce qui lui donne le plaisir d’éconduire à son tour ce troisième prétendant. Pour la plus grande satisfaction du valet, qui commençait à se tourmenter.
Le thème, on le voit, n’a rien de farcesque et les dialogues sont ce qu’ils sont toujours chez Goldoni : des merveilles de vivacité et de réalisme, chacun des personnages s’exprimant dans la langue, et surtout dans l’esprit, propres à sa condition.
Voici pas mal d’années, dans une Locandiera bien enlevée donnée au Théâtre Français, le cher Jacques Sereys nous avait composé un marquis de Forlipopoli vieux beau prétentieux, roublard et fauché, parfaitement grotesque. On s’amusait fort. Cette fois, le marquis était distribué différemment. Sensiblement plus jeune, ses difficultés financières le rendaient presque poignant dans ses maladroits efforts pour les camoufler. Du très bon théâtre aussi, mais moins… cocasse.
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Amphitryon décidément n’a pas de chance cette année. Je vous ai parlé en son temps de celui de la salle Richelieu. Malgré de réjouissants aspects, celui du Festival d’Anjou m’a tout de même un peu laissé sur ma faim. Réjouissants aspects d’abord parce que Sosie était joué par Francis Perrin et qu’avec lui, on ne risque point de s’ennuyer. Également parce que Perrin était entouré d’excellents partenaires, parfaitement à l’aise dans les vers de Molière : Virginie Pradal, Raymond Acquaviva, Philippe Rondest, et d’autres…
La mise en scène était de Simon Eine : il nous a habitués à plus de sûreté dans sa vision de Molière qu’on en trouvait ce soir-là. Certaines de ses idées m’ont quelque peu chiffonné les sentiments. Quand Molière fait dire à Mercure se faisant passer pour Sosie qu’il est marié à “Cléanthis la prude”, on se représente aussitôt une bobonne sur le retour, vertueuse et ronchon jusque dans le déduit. Ce qui donne toute sa saveur aux propos de Mercure l’envoyant au diable en lui suggérant de prendre un amant.
Or la voici, dans la conception de M. Eine, devenue une luronne déchaînée, n’ayant de cesse, sitôt qu’elle voit Sosie, ou Mercure en Sosie, de se précipiter sur lui pour le lutiner. Au besoin en l’entraînant sur une table, jupe retroussée et jambes en l’air. Certes, le public rit. Molière optait pour d’autres moyens de faire rire.
Dans la scène si drôle où Sosie, soucieux de son identité, se fait narrer par Mercure comment il s’est allé, en cachette et sans témoins, régaler d’un jambon au moment qu’on livrait bataille, je me suis demandé pourquoi M. Eine, ne respectant pas le texte, mettait le récit dans la bouche de Sosie, Mercure se contentant d’approuver du geste.
Quant aux costumes, ils surprenaient. Rien à dire sur les somptueux manteaux rouges portés par Jupiter et Amphitryon, ni sur la noble élégance avec laquelle ils se gantaient et se dégantaient. Mais ils étaient coiffés d’étonnants serre-tête en cuir munis de lunettes à la Blériot dont on se demandait ce qu’elles venaient faire là. Peut-être n’était-ce pas d’un goût très fin d’avoir nippé ce couard de Sosie – et Mercure le farceur – comme des poilus bleu horizon de la Guerre de 14–18, ceux dont on lit les noms sur les monuments aux morts de nos villages. Pour les officiers thébains, on avait choisi des tenues rappelant celles de l’armée rouge. Pourquoi pas ? Cela ne les empêchait au moins pas de tirer, pour notre félicité, d’amusants partis de leurs rôles, au demeurant plutôt ingrats.
Amphitryon n’est sans doute pas une des meilleures comédies de Molière : l’action s’y traîne parfois un peu et les subtilités amoureuses de Jupiter ont pour nous, en ce début de XXIe siècle, un arrière-goût de Carte de Tendre que nous n’apprécions plus. Ce n’est pas une raison pour saupoudrer la scène d’infidélités et d’étrangetés, qui ne pallient d’ailleurs en rien ses longueurs.