La gouvernance des politiques de l’habitat
REPÈRES
REPÈRES
Longtemps conduites sous la responsabilité quasi exclusive de l’État, les politiques du logement ont été profondément modifiées par les lois de décentralisation du début des années 1980. Le transfert aux communes des compétences d’urbanisme (droit des sols, octroi des permis de construire) et le transfert aux départements de l’action sociale ont entraîné un éclatement du paysage. L’État choisissait en effet de garder sa « compétence » en matière de logement, à la fois pour des raisons économiques (le logement est un levier essentiel de régulation) et pour des raisons plus politiques tenant au rôle du logement dans la cohésion sociale et la solidarité nationale.
Responsabilités diluées
Les collectivités locales sont devenues un acteur décisif
En matière de politique de l’habitat, le paysage donne l’impression d’être de plus en plus enchevêtré avec l’émergence de nouveaux acteurs comme les intercommunalités et les régions. Alors qu’elles n’ont pas de compétence obligatoire pour le financement du logement social, les collectivités locales, tous échelons confondus, en sont devenues un acteur décisif : les subventions qu’elles versent pour un logement social moyen ont triplé en dix ans et représentent 11 000€, soit 8 % du coût du logement.
On constate ainsi une dilution de la responsabilité publique sur le territoire : chaque échelon détient une part de responsabilité, mais personne n’est vraiment responsable.
Le « socle républicain » de la politique du logement
Mixité sociale
La loi Solidarité et renouvellement urbains (SRU), pour concilier mixité et droit au logement, a fixé un objectif de 20% de logements sociaux dans les communes urbanisées, à atteindre en une vingtaine d’années ; la loi leur a imposé une obligation de résultat : comme le dit l’ancien ministre du Logement Louis Besson, nos 36 000 communes ne sont pas des petites républiques mais des parcelles de la République.
Trois grands objectifs sociétaux réunissent un large consensus : le droit à un vrai logement, condition de l’exercice de la plupart des droits ; le droit à un parcours résidentiel, la liberté de choix de son logement et de son statut d’occupation, afin que chacun ait à la fois l’envie de rester dans son logement et la possibilité d’en changer, évitant ainsi le sentiment d’assignation à résidence et la frustration ; et enfin la mixité sociale.
L’État a légiféré pour mettre en œuvre ces objectifs. Le droit au logement a fait une percée décisive avec la loi du 5 mars 2007 qui a institué le droit au logement opposable (DALO) : on est passé d’une obligation de moyens à une obligation de résultat, qui incombe à l’État seul.
L’objectif de mixité sociale a été concrétisé par la loi SRU. La rénovation urbaine a cherché à restaurer l’attractivité des quartiers populaires en difficulté, parfois devenus des quartiers de relégation, à redonner l’envie d’y rester ou d’y venir.
Contradictions croissantes
Mais la réalisation sur le terrain de ces objectifs nationaux se heurte à des contradictions qui ont tendance à s’aggraver.
Risque de relégation
La volonté d’éradiquer les logements indignes, qui constituent souvent un espace d’accueil ou de maintien des populations les plus pauvres dans des territoires qui sans cela ne leur seraient pas accessibles, peut se traduire par leur départ vers des quartiers de relégation, au détriment là encore de la mixité sociale.
En témoigne la nécessité de trouver une offre immédiate aux demandeurs de logement DALO qui risque d’aboutir à concentrer un peu plus les ménages concernés dans le parc HLM à bas loyers, souvent le seul disponible à très court terme, au détriment de la mixité sociale, et à dédouaner totalement de toute obligation d’accueil les « communes SRU » où il n’y a que peu de logements sociaux. Autre exemple : dans les opérations de rénovation urbaine, nécessaires à la mixité sociale, la démolition de logements sociaux peut venir en contradiction avec le droit au logement.
Ces contradictions d’objectifs se jouent concrètement au niveau du bassin d’habitat. Comme l’indiquait en 2011 le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, la clé est ailleurs : le déficit de gouvernance s’oppose aussi bien à la mixité qu’au droit au logement.
Un mouvement de territorialisation
Engagé dès 1983, ce mouvement s’est développé à l’initiative des intercommunalités. En 2004, la loi « Libertés et responsabilités locales » leur a conféré le droit de demander la délégation de la gestion des aides à la pierre (programmation des logements sociaux et subventions à l’habitat privé) par voie de convention avec l’État. Plus de la moitié des crédits de l’État sont dorénavant attribués par les délégataires (EPCI et, subsidiairement, départements). Cette réforme a eu un effet d’entraînement certain.
Pourtant, alors que les intercommunalités sont censées dépasser les « égoïsmes communaux » et être responsables de « l’équilibre social de l’habitat sur leur territoire », ce sont les maires qui conservent la maîtrise du sol, et un pouvoir de blocage certain.
Allers retours
L’État oscille entre décentralisation, parfois défausse, et recentralisation. La délégation des aides à la pierre s’est effectuée en même temps que le « plan de cohésion sociale » de Jean-Louis Borloo, qui a remarquablement relancé la production de logements sociaux, mais selon une méthode « descendante », déclinant successivement sur le territoire les objectifs nationaux ; la politique de rénovation urbaine menée par l’Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU) a d’abord laissé de côté les intercommunalités au profit d’une relation directe avec les maires ; le droit au logement opposable s’est logiquement accompagné d’une reprise en main de l’État garant de ce droit ; enfin, les carences de la gouvernance de l’Île-de-France ont permis le mouvement de recentralisation esquissé dans le cadre de la loi Grand Paris.
Clarifier les rôles
Une clarification des rôles doit s’opérer entre l’État et de véritables « autorités organisatrices » décentralisées.
Le déficit de gouvernance s’oppose aussi bien à la mixité qu’au droit au logement
Les intercommunalités urbaines vont voir leur légitimité démocratique renforcée avec l’élection au suffrage universel des délégués communautaires. Elles ont vocation à devenir autorités organisatrices, ce rôle pouvant être assuré par les départements sur le reste de leur territoire.
Les Régions, au titre de leur compétence d’aménagement du territoire, ont certainement aussi un rôle pivot à jouer, entre l’État et les autorités organisatrices, pour une planification décentralisée des objectifs nationaux comme la production de 150 000 logements sociaux par an ou la rénovation énergétique des logements.
Le « spectre » du droit au logement opposable
Craintes des élus locaux
Avant de se résoudre à prendre la responsabilité du droit au logement opposable en 2007, l’État avait interrogé des maires ou des présidents d’intercommunalité, pour leur demander s’ils ne pourraient pas exercer cette responsabilité : tous ont refusé, à juste titre, craignant une défausse de l’État.
L’obligation de résultat qui incombe dorénavant à l’État n’est pas un vain mot. Certes, le dispositif instauré par la loi fait ressembler à un parcours du combattant celui du demandeur qui cherche à faire valoir son droit : recours auprès d’une commission de médiation qui désigne les demandeurs qu’elle reconnaît prioritaires pour l’attribution d’un logement, saisine, dans la négative, de la juridiction administrative qui peut ordonner le relogement sous astreinte. L’État se verse l’astreinte, modeste, à lui-même, et le demandeur attend toujours.
Mais cette carence est constitutive de fautes de nature à engager la responsabilité de l’État, et le demandeur peut réclamer une indemnisation à ce titre.
En septembre 2012, un premier jugement en appel, à Paris, a fixé à 4 000 € la somme à verser à un demandeur. Une pression supplémentaire s’exerce ainsi sur l’État. Elle est susceptible d’accroître encore la réticence des élus locaux à la perspective de prendre la responsabilité du DALO, mais elle accentuera en contrepartie les tentations de recentraliser, même si l’État n’en a plus vraiment les moyens, ou au moins la tentation de ne pas décentraliser davantage.
Pour les partisans d’un acte III de la décentralisation dans le domaine du logement, la perspective d’un transfert de la responsabilité du DALO ne doit donc plus être taboue, à condition que ceux qui auraient à prendre cette responsabilité disposent des moyens nécessaires.
Des ressources propres pour les autorités organisatrices
Le « bloc communal » doit voir son autonomie fiscale préservée
Malgré la suppression de la taxe professionnelle, le « bloc communal » (communes et EPCI) a vu son autonomie fiscale préservée, même si ses recettes proviennent de plus en plus exclusivement des bases foncières. Pour maintenir cette autonomie dans un acte III de la décentralisation, plusieurs voies méritent d’être explorées.
Tout d’abord, une réforme de l’imposition des revenus fonciers (2,8 millions d’euros en 2008), la déconnectant de l’impôt sur le revenu national pour en faire une recette de l’autorité organisatrice : l’intérêt d’une telle recette est qu’elle serait d’autant plus abondante que le marché serait tendu.
Mais une telle réforme serait en contradiction avec les principes d’équité qui ont guidé l’élaboration du budget 2013 et qui ont conduit à imposer les revenus financiers au même taux que les revenus du travail, comme le sont déjà les revenus fonciers.
Solidarité urbaine
Une contribution de solidarité urbaine répondrait aux deux objectifs de solidarité territoriale et de régulation du marché.
Bien commun
Le patrimoine locatif social, constitué sur trois générations grâce à l’effort des contribuables, des salariés avec le 1% logement, des locataires dont les loyers ont permis de rembourser les prêts, constitue un véritable « bien commun », dont les bailleurs sociaux sont les dépositaires et les gestionnaires. Le logement social, qui implique plafonds de ressources et de loyers, est reconnu comme « service d’intérêt économique général » par l’Union européenne.
Elle pourrait comprendre une contribution additionnelle sur les droits de mutation à titre onéreux, payée par le vendeur et qui toucherait les transactions les plus chères, dépassant un certain prix au mètre carré. Elle pourrait également comprendre une contribution additionnelle, fondée sur le même principe, sur les loyers dépassant un certain prix au mètre carré, qui élargirait la taxe instaurée par Benoist Apparu sur les « microsurfaces » louées à des prix prohibitifs.
Enfin, on pourrait envisager une contribution additionnelle à la taxe foncière, potentiellement ciblée sur les logements les plus chers d’un bassin d’habitat, mais tenant compte également des revenus des occupants.
L’idée est de taxer « l’entre-soi », c’est-à-dire l’agrégation, dans des quartiers valorisés, des ménages les plus aisés, sans pénaliser le propriétaire occupant modeste qui y résidait avant leur valorisation.
Des outils de régulation du logement social
Les autorités organisatrices devraient prendre le relais de l’État
Des conventions d’utilité sociale, conclues avec l’État, formalisent les obligations des bailleurs, un « cahier des charges de gestion sociale » y récapitule celles relatives aux conditions d’occupation et de peuplement. De futures autorités organisatrices devraient nécessairement prendre le relais de l’État et signer les conventions d’utilité sociale relatives au patrimoine social situé sur leur territoire. Elles devraient également prendre la responsabilité de leurs politiques de « peuplement » du logement social en rendant plus objectifs les critères présidant au choix des candidats, par exemple par la mise en place, après concertation, d’un dispositif de cotation des demandes.
Des outils de régulation du parc privé
Parce qu’elles seraient en mesure d’en peser les avantages et les risques, ce sont les autorités organisatrices locales qui devraient avoir la responsabilité de l’encadrement des loyers sur tout ou partie de leur territoire. Responsables du droit au logement, elles devraient aussi se voir ouvrir la faculté d’encadrer la transformation de résidences principales en résidences secondaires et de déterminer les conditions de taxation des logements vacants.
Là où l’offre de logements sociaux est insuffisante et le restera à court terme, l’autorité organisatrice doit avoir les moyens de développer un secteur privé conventionné complémentaire, en lui accordant des avantages fiscaux ou des subventions, modulés en fonction de la contrepartie sociale acceptée par le bailleur.
Des garanties de la part de l’État
Instaurer un droit de priorité ?
Pour faire face à l’urgence, les autorités devraient pouvoir instaurer un droit de priorité sur les logements remis en location afin qu’ils puissent être utilisés (par l’intermédiaire d’associations et aux frais de la collectivité, sans léser le bailleur) pour la réponse aux bénéficiaires du droit au logement opposable.
Des outils de financement essentiels à la politique du logement ne peuvent être décentralisés : le circuit de financement privilégié du logement social adossé au livret A, la TVA à taux réduit pour le logement social, les aides personnelles au logement. Il n’est pas imaginable de confier la responsabilité du droit au logement à des autorités locales sans leur donner des garanties évitant toute défausse.
Changer la Constitution ?
C’est probablement en faisant entrer expressément le droit au logement dans la Constitution que de telles garanties pourront être obtenues. Des transitions seront nécessaires car l’implication actuelle des intercommunalités est inégale. Mais la question du droit au logement opposable est bien la clé de voûte du processus de décentralisation dans le domaine de l’habitat. Tant qu’elle n’est pas traitée, l’édifice restera fragile.