L’échec scolaire vu de l’intérieur
L’échec scolaire fait l’objet de statistiques, de discours de spécialistes de l’éducation, de recommandations, voire d’exhortations. Il fait rarement la matière d’un récit personnel, à la première personne, pour la simple raison que ceux qui le subissent ne sont pas en mesure de s’adresser à ceux qui ont eu la chance de faire de « bonnes études ». Linda a heureusement suivi les conseils de son « tuteur ». Elle a écrit, d’abord avec difficulté, confesse-t-elle, puis elle y a pris goût.
Un parcours en dents de scie
De souche algérienne, Linda a été élevée par sa mère, après la séparation puis le divorce de ses parents.
Un voyage en Afrique
Linda raconte de façon très vivante son voyage en Afrique : un retour aux sources, avec son appareil photo et le peu d’argent qu’elle a glané dans des petits boulots.
Trois mois, le Sénégal, le Mali, la Mauritanie. Un vrai reportage, le regard d’une jeune Française d’origine immigrée sur l’Afrique, avec ses paysages, ses personnages et ses péripéties.
En primaire, elle change six fois d’école. Elle prend d’emblée deux ans de retard en redoublant son CP puis son CE1.
Elle en garde le souvenir d’avoir appris l’importance de la discipline et de la rigueur, et de quelques moments agréables (voyages, ski de fond, visites).
Fondamentale, aussi, la découverte de l’autre, et surtout d’un corps enseignant entièrement dévoué à ses élèves. Formidable primaire !
Sur son cursus dans le secondaire, l’auteur est très dure. Séduite par l’emploi du temps, par les différentes salles de classe, par la variété des professeurs, elle dit avoir été frappée par la mixité des origines, qu’elle n’avait pas remarquée au primaire, mais aussi par son plongeon « dans un univers de paraître et de faire paraître », où le passage dans la classe supérieure est vécu comme une affaire de vie ou de mort.
Elle s’insurge violemment contre la ségrégation qui crée deux groupes : la minorité, pour laquelle tous les rêves sont permis, et la majorité, dont elle fait partie, vouée à l’échec et condamnée à l’indifférence ou au dégoût d’elle-même.
« Mes lacunes persistaient comme des sangsues dont je n’arrivais pas à me débarrasser »
Quelques bonnes relations avec tel ou tel professeur, mais, écrit-elle : « J’hallucine aujourd’hui encore comme à cette époque, que l’on ait pu déjà m’annoncer mon échec. »
Elle arrive en quatrième « comme par magie. Mes lacunes persistaient comme des sangsues dont je n’arrivais pas à me débarrasser et les professeurs assistaient, passifs, à ce drame.
Mais, pour eux, il était plus important et aussi plus simple de finir le programme que de faire avancer tous les élèves. »
L’apprentissage d’un métier
Linda déroule ensuite son histoire, son parcours dans un lycée professionnel de photographie et son échec, une fois encore, puis sa tentative de passer un CAP en alternance – qui lui apporte une lueur d’espoir, avec notamment la découverte de l’entreprise, mais aussi les brimades, avec des réflexions comme « tu es bien sûre que tu as été scolarisée, toi ? ». À vingt ans, elle échoue au CAP.
Après son voyage en Afrique, Linda entre à « l’École de la deuxième chance ». « Après une scolarité qui avait duré quatorze ans […] il a fallu attendre que j’aie vraiment échoué pour que l’on me parle d’une deuxième chance. »
Sans succès, car ceux qui se présentent au nom de cette école sont marqués du sceau de l’échec, ce que Linda ne peut supporter. Alors elle s’inscrit pour passer le Diplôme d’accès aux études universitaires et, miracle, elle est admise, ce qui lui permet de réaliser son rêve d’entrer à l’université.
Une élève qui aimait l’école
Dans le dernier chapitre, Jacques Denantes interroge l’auteur sur son itinéraire. Linda se situe dans sa vie d’école, et elle situe l’école avec une justesse étonnante. Comme l’écrit le préfacier, elle a vécu son échec comme « une espérance qui se dérobe ».
« Il a fallu attendre que j’aie vraiment échoué pour que l’on me parle d’une deuxième chance »
Elle a des accents passionnés pour décrire son amour de l’école : « École, école de mes rêves, comment aurais-je pu faire sans vous ? […] Aucun diplôme, c’est un fait. Je n’ai eu aucune reconnaissance […]
Pourquoi m’avoir laissée tomber en cours de route, pourquoi m’avoir condamnée si vite ? Pourquoi ? […]
Quand je suis arrivée en France, j’ai d’emblée cru en vous […] Mais vous m’avez dupée et vous en avez dupé d’autres. » Et elle ajoute : « Quant à moi, je retourne à l’école parce que je ne peux rien envisager d’intéressant sans le recours à l’Éducation nationale. Elle est notre mère éducative et il nous faut composer avec ses défauts. »
Un livre pour espérer
« J’ai aimé écrire ce livre, conclut Linda, même s’il a été difficile d’évoquer certains moments de ma vie. Au début je ne voulais pas avouer mon échec, mais il fait partie de ma vie et j’ai refusé la fausse apparence, celle que cherchait le héros de ce film qui se prétendait italien alors qu’il était arabe.
J’ai choisi de tout mettre sur la table, et maintenant je retourne à l’école. Fini le désarroi et place aux projets, sans trop se demander s’ils sont réalistes !
Après tout, c’est en agissant qu’on fait bouger les choses ! Faites donc des projets, n’ayez pas peur ! Quant à moi, je retourne à l’école […] Je lui fais un seul reproche, c’est de m’avoir condamnée quand j’avais douze ans, en fermant la possibilité de récupérer mon retard et d’accéder aux études supérieures. »
Comme Jacques Denantes, j’ai eu la chance de ne pas connaître l’échec scolaire. Sans renier l’intérêt des études savantes sur ce fléau qui touche tant de jeunes, il peut être bon, voire indispensable, d’aller voir de l’autre côté du miroir, pour découvrir et tenter de ressentir la façon dont les « appelés mais non élus » vivent en leur chair cette espérance qui se dérobe.
_______________________________________
Linda Tezrarin, Comment survivre à l’échec scolaire ? Bienvenue de l’autre côté du miroir. Préface de Jacques Denantes. L’Harmattan, 2012.
Commentaire
Ajouter un commentaire
L’échec scolaire
Ce sujet me semble être capital ; l’échec scolaire est à l’origine d’une bonne partie des fléaux environnants (chômage, dépression, addiction, délinquance)touchant une population jeune, qui au lieu d’être la force à venir, s’inscrit déjà comme « boulet » .