La paix calomniée ou les conséquences économiques de M. Keynes
Ce livre est la très opportune réédition d’un ouvrage écrit en dix-huit mois à Princeton, modifié en Angleterre (que l’auteur avait gagnée en 1943), ouvrage publié seulement en 1946 après sa mort survenue sur une route de Bavière en 1945, c’est-à-dire quelques jours avant la capitulation du IIIe Reich.
Étienne Mantoux, comme le rappellent la note de son père en tête de la première édition et l’avant-propos “Un historien contre les tyrannies”, contribution de Vincent Duclert à cette réédition, s’est illustré par de hauts faits militaires pendant la Seconde Guerre. S’il s’est, pendant une telle période, livré néanmoins à ce long et profond travail de réflexion sur la paix de Versailles au lendemain de la Première Guerre – et s’il l’appelle “ La paix calomniée ” –, c’est parce que sa passion patriotique, loin de l’aveugler, le persuadait que seul un regard attentif porté sur le passé pouvait guider les hommes de bonne volonté vers une conception durablement pacifique de l’Europe et du monde.
Je ne peux personnellement m’empêcher de croire qu’Étienne, dans cette démarche, a subi l’influence bénéfique de son père, Paul, qui, il faut le rappeler, a été, pendant l’élaboration de la paix de Versailles, l’officier interprète du Conseil des Quatre (Wilson, Clemenceau, Lloyd George, Orlando) – dont les notes Les délibérations du Conseil des Quatre (CNRS, 2 vol., 1955) restent un document historique irremplaçable.
On sait que bien des opinions ont été exprimées sur cette paix de Versailles. Les plus extrêmes l’ont été par Maynard Keynes, Les conséquences économiques de la paix d’une part, et par Jacques Bainville, Les conséquences politiques de la paix, d’autre part – livres dont la réédition en un seul volume vient d’ailleurs d’être faite par Gallimard (collection Tel).
Le livre très riche d’Étienne Mantoux mérite mieux qu’un résumé – que je ne tenterai pas de faire – ; il mérite d’être lu avec le recul de plus d’un demi-siècle et la sérénité voulue.
Il ne s’agit pas, au terme de la lecture, de trancher entre les analyses de Keynes et de Bainville. Certes Keynes avait raison de déplorer le manque de réalisme économique des négociateurs du traité. Certes la vision politique d’un Bainville était la plus ample et la plus pénétrante : sa lucidité était à plus long terme. Toutefois, soupeser aujourd’hui les avantages et inconvénients respectifs des mesures qu’auraient souhaitées tel ou tel auteur n’est pas pertinent.
L’essentiel c’est de trouver dans le livre d’Étienne Mantoux un moyen d’enrichir la réflexion sur l’état actuel du monde et singulièrement sur l’importance vitale d’une vision à long terme pour peser sur l’évolution prochaine de l’Union européenne