Regards chinois sur l’industrie
Depuis son ouverture économique dans les années 1980, la Chine collabore avec l’étranger selon un modèle adapté et évolutif, répondant simultanément aux intérêts du pays et aux objectifs de ses contreparties. Dans un premier temps, le pays a besoin pour son développement en priorité de technologies et de financements. L’option proposée est la joint-venture (JV), formule qui convient aux entreprises occidentales désireuses d’accéder au marché chinois, comme à la Chine qui peut ainsi obtenir technologies et financement.
REPÈRES
Depuis son ouverture, la Chine a intensifié ses échanges avec l’étranger sous différentes formes et a construit un des États les plus puissants au monde. Les approches qui ont pu contribuer au succès de l’industrie chinoise sont très diverses et originales.
Elles constituent une bonne illustration de la façon dont les Chinois appréhendent le développement de leurs entreprises.
Un modèle évolutif
Par exemple, dans le secteur automobile, les JV prolifèrent à Canton, à Shanghai et dans d’autres villes. Au fur et à mesure que la Chine gagne en capacités financières, elle permet progressivement l’implantation de filiales à 100 % de groupes étrangers, les WFOE (Wholly Foreign-Owned Enterprises), qui confèrent l’autonomie de gestion à chacun des partenaires.
La Chine devient « l’usine du monde »
À partir de l’accession du pays à l’OMC en 2001, la Chine devient « l’usine du monde » et son fournisseur en biens en tout genre. Les Chinois acquièrent des savoir-faire en répondant aux cahiers des charges des clients étrangers, qui, eux, y trouvent leur compte avec des prix compétitifs.
Grâce au modèle du sourcing, le pays bâtit des positions dominantes dans certains secteurs de l’économie (jouet, textile, etc.).
Des industries dynamiques
L’industrie chinoise est en général reconnue pour son dynamisme et sa position concurrentielle. La maturation rapide de certains secteurs a permis au pays de constituer des champions internationaux en moins d’une génération, comme dans le cas des équipementiers de télécommunications.
Des voies alternatives
Aujourd’hui, afin de développer leurs compétences (techniques ou de management), les Chinois proposent aux étrangers nombre de voies alternatives. Celles-ci peuvent s’adresser à des contreparties individuelles (chasse de têtes, invitation à des think-tanks, etc.) ou collectives (acquisition d’entreprises défaillantes, achat de prestations intellectuelles, incitation à l’implantation de centres de R&D, etc.).
Typiquement, lorsqu’un premier entrant investit avec succès dans un secteur, de nombreux concurrents surgissent très vite, parfois dans la même région, par « clonage » via d’anciens employés.
Lors d’une phase ultérieure de maturation, des normes et réglementations, souvent inspirées des standards internationaux (qualité, sécurité, environnement, etc.), sont mises en place, et un processus de sélection s’effectue : les quelques concurrents (locaux ou étrangers) capables d’atteindre ces normes établissent leur leadership sur les marchés premium, même si parfois des créneaux subsistent sur les marchés informels.
Réagir vite
Les entreprises chinoises réagissent souvent très vite face au changement. Il est vrai que les industries peuvent parfois brûler des étapes en modulant des savoir-faire existants, et gagner des courbes d’apprentissage courtes par effet d’échelle.
Un fournisseur de biens en tout genre.
© REUTERS
Comme chacun ressent la pression sociale pour réussir et que la hiérarchie est respectée, les projets se mettent en place rapidement sur le terrain.
Sur le plan de la méthode, un entrepreneur chinois aura une approche plus volontiers empirique que conceptuelle. Ainsi, il préférera mettre très vite un produit sur le marché et l’améliorer par la suite en fonction du contexte, plutôt que de chercher à lancer d’emblée un produit « parfait » issu d’une conception complète, mais longue.
Dans le contexte chinois, investir dans un site industriel puis lancer un produit sur un marché test peut se révéler moins coûteux et plus rapide que de passer par des phases de design complexes.
Des critères différents
Du fait de leur actionnariat, de leur mode de diversification et de l’approche nationale, les décisions des entreprises chinoises peuvent reposer sur des critères différents de ceux qu’adoptent leurs homologues occidentales. Certaines holdings chinoises semblent se diversifier de façon très hétéroclite par juxtaposition d’activités, sans a priori répondre à une logique de core competence.
Chacun ressent la pression sociale pour réussir
Ainsi, quand un leader du phosphore investit dans la production d’électricité puis de PVC, une connaissance de la culture locale permet de mieux appréhender les fondements sous-jacents (paramètres territoriaux, réseaux, etc.) de sa stratégie. Dans notre exemple, l’électricité étant indispensable pour le traitement du phosphore, l’entreprise construit sa propre centrale électrique, qui permet de produire par ailleurs de la soude et du chlore, puis du PVC à partir du chlore. Ce sont les distances géographiques et le manque de capacités de production locale qui l’ont conduite à prendre de telles orientations.
Défendre un intérêt global
Des stratégies globales
La Chine se montre réactive pour saisir des opportunités d’acquisition d’actifs délaissés par des entités occidentales soucieuses d’optimiser leur performance. L’esprit entrepreneurial qui anime les investisseurs chinois permet aussi d’adopter des stratégies parfois plus globales et à long terme.
En effet, un actionnariat majoritaire souvent familial ou étatique (SOE, State Owned Enterprise) permet d’avoir une moindre pression à court terme (contrairement aux entreprises occidentales cotées en Bourse) et de vraies stratégies à long terme.
Le pays se distingue par sa capacité à défendre un intérêt global, au-delà de l’intérêt individuel de chaque entité. À titre d’illustration, un investissement marginal à moindre coût dans les marchés déjà surcapacitaires du fret maritime peut faire s’effondrer les prix, l’entité qui investit est perdante, mais l’économie du pays reste globalement gagnante.
Ou encore, la Chine peut avoir une approche holistique dans laquelle elle peut apporter à des pays émergents simultanément des infrastructures, des produits de grande consommation, et les moyens d’exploiter des ressources naturelles.