Le Chemin de Charles
Voici un livre étonnant, surprenant comme une tourmente. Le titre n’a l’air de rien, il est sage comme un cahier d’écolier, Le Chemin de Charles, et le prélude nous intrigue : est-ce le rêve de l’auteur lorsque, en tablier gris, il jouait à la guerre à l’ombre du donjon de Vincennes ?
Mais voilà que le spectacle s’anime, le théâtre d’ombres passe au premier plan et nous nous retrouvons au premier rang, mêlés aux acteurs d’une épopée invraisemblable, où les coups de théâtre alternent avec les coups bas : 1940, Charles de Gaulle.
Plus moyen de faire arrière, nous sommes embarqués, par l’ampleur du style et la vigueur des mots, dans un voyage à la fois historique et intérieur à la recherche du “héros ”. Celui du livre, c’est Charles de Gaulle. Mais en vérité, le seul héros qui fascine François Delivré c’est le héros intérieur qui sommeille au coeur de tout être humain, si banale soit apparemment sa vie.
L’auteur nous emmène aux sombres heures de maijuin 1940, lorsque la France écrasée par l’armée allemande cherchait à comprendre, à se reprendre, et chancelait chaque jour davantage. S’appuyant sur une solide recherche historique, mais en la magnifiant de son intuition et de son lyrisme, il nous fait voyager avec le même talent entre les événements intimes et les grandes fresques nationales. Observant en secret les grands de ce monde, nous lisons leurs pensées secrètes et sommes témoins de leur générosité et de leurs lâchetés. Leurs paroles sonnent comme des imprécations ou des murmures.
Par quel stratagème l’auteur a‑t-il pu reconstruire les paroles échangées, comme s’il les avait lui-même notées comme un secrétaire consciencieux ? Comment a‑t-il pu retrouver les ricanements du Führer, les bougonnements de Churchill, les impatiences de Charles de Gaulle ?
Comment peut-il nous faire ressentir la peur qui tenaille les soldats de Dunkerque et le désarroi des civils sur la route de l’exode, lui qui n’était pas encore de ce monde ? Comment lui sont venues ces scènes oniriques où les fantômes rencontrent les vivants ? Comment a‑t-il pu évoquer la toute-puissance de Dieu, spectateur de la folie des hommes, et lui donner la parole dans cette invraisemblable et pourtant réelle cérémonie des vaincus à Notre- Dame, le 20 mai 1940 ?
Quarante-deux tableaux se succèdent, d’où émerge avec de plus en plus de vigueur la stature de Charles de Gaulle, symbole de ceux qui savent s’emparer de leur destin quand celui-ci passe à portée de main.
Le Chemin de Charles n’est pas le énième livre hagiographique sur le Chef de la France libre, mais la description, de l’intérieur, de ce qu’est une démarche héroïque. Et nous sentons dans les quelques intermèdes extraits des mémoires de guerre du capitaine Delivré, son père, toute la tendresse respectueuse pour un héros de l’ombre emporté dans une guerre qui l’emporte.
Le talent de François Delivré, c’est de nous convaincre par cette lecture éclatante que nous sommes tous des héros en puissance, héros de l’ombre ou de lumière selon notre destinée, mais tous capables de prendre si nécessaire notre propre chemin d’héroïsme.
Le Chemin de Charles étonne, mais si vous acceptez de vous laisser déconcerter, vous n’oublierez certainement pas cette Chanson de geste des Temps modernes.