Deux X et quelques autres

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°548 Octobre 1999Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Lionel Stoléru, chef d’orchestre

Lionel Stoléru, chef d’orchestre

L’économie et la poli­tique mènent à tout, à condi­tion d’en sor­tir. Lio­nel Sto­lé­ru reste un éco­no­miste très actif, mais il a quit­té – semble-t-il – la poli­tique et réa­lise le rêve de nombre d’entre nous : enta­mer une car­rière de musi­cien pro­fes­sion­nel, en l’occurrence de chef d’orchestre. Il diri­geait depuis plu­sieurs années des concerts en Ukraine, en Rou­ma­nie, en France – récem­ment encore à Paris – et voi­ci son pre­mier disque, sous le titre Une soi­rée roman­tique1 : la Sym­pho­nie Tra­gique de Schu­bert, l’ouverture de l’Ita­lienne à Alger, de Ros­si­ni, et le Concer­to pour pia­no de Schu­mann, avec Agnès Ber­du­go, pia­niste, et l’Orchestre de l’île Saint-Louis.

L’orchestre a d’excellents pupitres de cordes, et notre cama­rade Sto­lé­ru dirige ces œuvres qui ne sont pas toutes faciles – le Concer­to de Schu­mann est au moins aus­si acro­ba­tique pour l’orchestre que pour le pia­no – avec un art qui force l’admiration.

On l’attend main­te­nant dans des œuvres plus rares : pour­quoi ne s’intéresserait-il pas aux com­po­si­teurs fran­çais peu joués de la fin du XIXe siècle, comme Lekeu, Magnard, et bien d’autres ?

Jean-Pierre Ferey, pianiste et producteur

On se sou­vient d’un très beau concert au Théâtre des Champs-Ély­sées, dans le cadre des fêtes du Bicen­te­naire de l’X, où Jean- Pierre Ferey avait joué le dif­fi­cile Quin­tette pour pia­no de Koe­chlin, et – super­be­ment – le superbe Concert de Chaus­son. Tou­jours épris de l’inhabituel et de l’insolite, il vient d’enregistrer des œuvres pour pia­no de Jean Cras, com­po­si­teur fran­çais hors école du début du siècle (en même temps que marin, comme Rim­ski-Kor­sa­kov) : Pay­sages, Danze et Deux Impromp­tus2.

Cras n’est pas un de ces com­po­si­teurs très jus­te­ment oubliés que l’on res­sort des fonds de biblio­thèque des conser­va­toires mais un auteur vrai­ment ori­gi­nal, que l’on ne peut rap­pro­cher d’aucun autre, sauf, à la rigueur, de Cha­brier. Une musique tonale aux har­mo­nies sub­tiles, que Jean-Pierre Ferey joue avec beau­coup de recherche, et notam­ment un tou­cher très fin, très coloré.

Ferey est aus­si édi­teur de disques (sous la marque Skar­bo) et direc­teur artis­tique. Il édite volon­tiers la musique d’Aubert Leme­land, dont il a publié il y a peu un opé­ra, Laure ou La Lettre au Cachet Rouge (livret d’après Vigny), avec la Staat­sor­ches­ter Rhei­nische Phil­har­mo­nie3. Leme­land est un des com­po­si­teurs les plus mar­quants de la nou­velle vague contemporaine.

Après la der­nière guerre, la musique fran­çaise s’était enli­sée dans des miè­vre­ries qui, par réac­tion, ont ouvert la voie à une école sérielle pure et dure. Mais celle-ci a rapi­de­ment fait régner un véri­table ter­ro­risme de type inté­griste sur le monde de la musique en France. Il aura fal­lu plu­sieurs décen­nies pour que la musique tonale reprenne droit de cité. Leme­land s’inscrit dans une tra­di­tion mi-Debus­sy mi-Bar­tok, avec un art de la cou­leur orches­trale très ache­vé, et sa musique ne demande pas d’initiation préa­lable. Laure s’écoute avec d’autant plus d’intérêt que ce genre d’œuvre est rare en France (ailleurs, il y a eu Britten).

Deux orchestres

L’ensemble de chambre Wien-Ber­lin (cinq vents et sept cordes) vient d’enregistrer cinq œuvres fran­çaises dont l’Intro­duc­tion et alle­gro pour harpe, qua­tuor à cordes, flûte et cla­ri­nette, de Ravel, et la Sonate pour flûte, alto et harpe, de Debus­sy4. C’est la quin­tes­sence de la musique fran­çaise, élé­gante, sen­suelle, faite pour la jouis­sance immé­diate. Le disque est aus­si l’occasion de redé­cou­vrir André Joli­vet, avec Chant de Linos, musique plus aus­tère. En revanche, Jacques Ibert et Jean Fran­çaix ne passent plus guère la rampe (tout le monde n’est pas Pou­lenc). Mais quels musi­ciens fabu­leux que ces solistes alle­mands et autrichiens !

À l’opposé, aux anti­podes de cette musique, la 3e Sym­pho­nie de Bee­tho­ven, dans la ver­sion de Bern­stein avec le New York Phil­har­mo­nic5, plus forte que la plu­part des ver­sions aux­quelles vous êtes habi­tués. Mais ce qui ajoute à la valeur de ce disque, c’est l’explication de texte que donne Bern­stein de l’œuvre (en anglais) en illus­trant ses pro­pos au pia­no. Il est rare que les musi­ciens com­mu­niquent aus­si bien par le verbe que par la musique ; avec Menu­hin, Bern­stein était de ceux-là.

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1. 1 CD Pierre Vera­ny PV 730101.
2. 1 CD SKARBO SK 1986.
3. 1 CD SKARBO SK 5981.
4. 1 CD SONY SK 62666.
5. 1 CD SONY SMK 60692.

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