Histoire industrielle de l’Italie
Qui aurait pensé en France, il y a trente ans, à publier un livre sur l’histoire industrielle de l’Italie ?
Le public ne connaissait de l’Italie que sa très décevante histoire politique et militaire, et son incapacité, avant-guerre, à nourrir sa population, l’obligeant à s’expatrier massivement. Les géographes disaient en outre que ce pays était déficitaire en énergie et en minerais. Et Max Weber l’avait classé parmi les territoires de culture religieuse et ecclésiale impropre à l’activité marchande.
Or en 1996 la production industrielle italienne s’est trouvée au même niveau que la production française et tout près de la dépasser.
L’ouvrage de Florence Vidal montre que ce rattrapage » miraculeux » se préparait depuis un siècle, porté par un esprit d’entreprise qui ne s’est jamais relâché malgré de graves vicissitudes.
Florence Vidal a identifié six phases historiques de 1876 à 1992, dans lesquelles se sont illustrées une centaine de grands patrons hardis, et ont travaillé dans l’ombre des millions de petits entrepreneurs ingénieux.
Malgré la préoccupation permanente de son lecteur français, Florence Vidal, qui écrit une histoire italienne, se garde bien de faire des parallèles avec la situation française et plus encore d’en tirer des leçons pour son pays. Mais cela ne nous est pas interdit. Par exemple :
- la mascotte des enfants italiens, depuis les années 1900, ce n’est pas Tintin mais Pinocchio, un petit personnage réaliste et intrépide dont les maîtres mots sont andare (aller), vedere (voir) et porché ? (pourquoi?);
- comme en France, » on a tout essayé » en Italie : depuis le régime des partis le plus chaotique jusqu’à la dictature la plus autoritaire, depuis la constellation de micro-entreprises jusqu’au consortium étatique englobant près de la moitié de l’industrie (IRI + ENI) ;
- mais finalement c’est la multitude des pôles d’initiatives et l’autonomie des entrepreneurs qui ont généré l’expansion généralisée. Fédération de provinces à forte identité, elles-mêmes découpées en communes dont les maires n’ont pas le droit de s’évader (pas de cumul de mandats), l’Italie est la somme de nombreuses petites patries qui affirment toutes leur vouloir vivre ;
- le Sud lui-méme, aidé par les commandes de sous-traitance du Nord, et ensemencé par quelques entrepreneurs attirés par le soleil, est en train de sortir, avec son style propre, de la mendicité à l’égard de l’État (le cas de la région de Sybaris, évoqué dans la conclusion, est savoureux);
- dans chacune des régions et chacune des professions où l’industrie italienne s’est affirmée, on retrouve les trois mêmes moteurs : acharnement professionnel, ouverture sur l’étranger, coopération locale intensive. Ainsi sont nés 70 districts industriels irrigués par des réseaux de relations indéchiffrables. Ceci n’a pas empêché, dans les grands Centres industriels, des affrontements sociaux d’une extrême violence et des scandales financiers retentissants. Mais assez vite, des négociations constructives ont permis d’en sortir ;
- quant à l’État, à côté de multiples interventions incohérentes, il a fait l’essentiel de son métier : un superbe réseau de voies de communication, une manipulation habile de la monnaie, la promotion d’une formation de l’homme complet, n’excluant ni le religieux, ni l’art, ni le contact avec la matière. Il a soutenu le sens inné du design qui caractérise le concepteur italien.
L’avenir nous dira si cette construction encore fragile saura faire face aux mutations culturelles et économiques du XXIe siècle, et si elle saura surmonter l’effondrement démographique actuel de l’Italie. Mais le cheminement des cinquante dernières années est encourageant.
Florence Vidal reste historienne, attentive à la précision des faits et à la qualité des sources, mais son style est extrêmement vivant, sans pour autant utiliser les » trucs » journalistiques dont nous sommes aujourd’hui rassasiés.
La typographie de son livre distingue d’une part le récit enchaîné des événements significatifs, d’autre part les biographies particulières des personnages mis en scène ainsi que les aventures propres à chaque branche professionnelle ou chaque collectivité locale.
On s’y distrait tout en apprenant beaucoup de choses utiles et stimulantes.