Bonheurs d’été
Bach, Perahia : les Suites anglaises
Écouter Bach rend intelligent et heureux : si Bach avait vécu à l’époque de la société de grande consommation, c’est le slogan publicitaire qu’auraient pu utiliser son “ agent ” et ses “ sponsors ”. Dieu merci – c’est le cas de le dire pour Bach – il n’avait pas d’agent et ses sponsors étaient austères.
Mais il n’en est pas moins vrai que l’écoute de Bach est le bonheur total et donne l’impression d’accéder, par quelque magique transcendance, à la connaissance et à la compréhension du monde. Du moins faut-il que les interprètes soient de parfaits intercesseurs, des prêtres à la fois exigeants et purs.
L’enregistrement de trois des six Suites anglaises par Murray Perahia1 est un de ces disques très rares, comme il n’en paraît pas dix par an. Les Suites anglaises sont moins connues et moins jouées que les suites allemandes (les Partitas), mais elles sont du même niveau, cachant sous le prétexte futile de suites de danses une extrême subtilité contrapuntique en même temps qu’une fluidité mélodique qui ravit l’âme.
Perahia les joue au piano – ce qui est infiniment plus riche qu’une interprétation au clavecin – en conservant quelques ornements – point trop n’en faut – et avec une intelligence que seul possédait Richter. Mais ce qui fait la valeur de cet enregistrement défie l’analyse : c’est ce “ je ne sais quoi ”, cher à Jankélévitch, qui fait que l’on se retrouve, dès les premières mesures, au nirvana et que l’on n’en redescend plus jusqu’à la fin du disque.
Mozart léger, Vivaldi génial
Les Missae Breves de Mozart sont aux grandes messes classiques ce qu’une opérette est à un opéra de Wagner : elles sont légères, joyeuses, peu formelles, comme l’était apparemment la religion dans le Salzbourg des années 1770 ; et juvéniles comme Mozart lui-même, qui les a écrites entre 12 et 19 ans. Et l’on aime cette légèreté-là, telle que Nikolaus Harnoncourt l’interprète fidèlement dans un enregistrement des quatre messes brèves à la tête du Concentus Musicus et du Chœur Arnold Schoenberg, avec des solistes parmi lesquels se détache la soprano Angela Maria Blasi2.
Vivaldi, redécouvert dans les années 50, agace souvent par ses répétitions, ses “ficelles”, son foisonnement même, et même les Quatre Saisons finissent par exaspérer l’auditeur. Eh bien, avant de “ tirer à la ligne ”, il a été hypercréatif, et Bach ne s’est pas fait faute de le saluer et de le copier, en transcrivant six des douze concertos de l’Estro armonico, que l’Europa Galante vient d’enregistrer3.
L’Estro armonico, l’opus 3 de Vivaldi, est foisonnant d’idées révolutionnaires, et ne fait rien de moins que briser les formes traditionnelles et créer celle du Concerto romantique et moderne. Par la suite, en producteur avisé, Vivaldi a souvent exploité jusqu’à la corde ses trouvailles antérieures ; mais qui, en ces temps où la rentabilité est le maître mot, y compris dans le domaine de la culture et des arts, pourrait le lui reprocher ?
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1. 1 CD SONY SK 60 276.
2. 1 CD TELDEC 3984 21818 2.
2. 2 CD VIRGIN 5 45315 2.