L’étonnant parcours du Républicain J. H. Hassenfratz (1755−1827)
Août 1792, La Fayette, défait, se rend aux Autrichiens et trahit. Le 20 septembre, le général Dumouriez, vainqueur de Valmy, devient le sauveur de la patrie en danger. Le lendemain, la Convention proclame la République. Peu après, Jean Nicolas Pache, celui-là même qui fera graver sur les monuments publics la devise de la République “ Liberté, Égalité, Fraternité ”, est nommé ministre de la Guerre.
Dans l’entourage de Pache on trouve, dira Dumouriez, “un Jacobin ridicule autant que dangereux par sa coquinerie nommé Hassenfratz”. Jean- Henri Hassenfratz a notamment accusé Dumouriez d’avoir volé douze cent mille livres sur les marchés de la Belgique. Lorsque Dumouriez vient à Paris pour la dernière fois, en janvier 1793, il découvre dans les bureaux du ministère de la Guerre une “caverne indécente ”. “ Ici, on se tutoie ” lit-on sur la porte du conseiller Hassenfratz, “ un chimiste à l’esprit confus, devenu sans-culotte par amour de la saleté et du débraillé ”.
Pourtant, le haut-le-coeur de Dumouriez ne cadre pas avec ce que l’on sait par ailleurs de cet Alsacien, né au faubourg Montmartre en 1755, auteur d’un best-seller : Catéchisme militaire, où il détaille les divers temps de la manoeuvre à pied ou du maniement du fusil. Hassenfratz a attaqué de front Dumouriez parce qu’il lui reproche d’être noble. Il faut cesser “de faire commander les armées de la République par des hommes sortis des castes privilégiées.
Le succès de nos armes ne sera certain que quand nous aurons à notre tête des généraux plébéiens (…). Nous avons cinq millions d’hommes en état de commander l’armée.” Pache et Hassenfratz seront renvoyés par la Convention. Dumouriez, victime de son ego, sera battu par les Autrichiens et ne trouvera, lui aussi, de salut que dans la trahison. La tâche de Hassenfratz dans la haute administration militaire était certes, en ces moments critiques, au-dessus de ses capacités. Mais dorénavant il signera “ Le Républicain J.H. Hassenfratz ”.
Au travers du parcours d’un homme dont le nom ne m’était connu que parce qu’il occupe la première place sur la liste des professeurs de physique de l’X, Emmanuel Grison nous convie dans L’étonnant parcours du Républicain J.H. Hassenfratz à une merveilleuse Odyssée dans les chemins intriqués de l’Histoire. Histoire des hommes, histoire de la science, histoire de la République, le mot central est là, naissance de l’École polytechnique, du corps des Mines. Tel Elpénor de Giraudoux, ce compagnon imaginaire d’Ulysse, toujours présent pour chanter l’aventure mais toujours insaisissable, Hassenfratz semble avoir été inventé par Emmanuel Grison pour nous conter de l’intérieur ces pages que nous pensions connaître.
On se prend à ne plus savoir si le héros est réel ou s’il n’est, comme Elpénor, que la création de l’auteur. Lorsque, à la fin du livre, Emmanuel Grison plaque le portrait de Hassenfratz, dont au long du récit on avait construit une image, il ne cadre pas avec ce que l’on croyait savoir de lui. On voit un homme simple, ni banal ni arrogant, à la rigueur un bon orateur du café du Commerce.
Le livre tient à la fois du roman d’aventures et de l’oeuvre minutieuse d’un historien. Le faubourg Montmartre ; un père marchand de vin, venu de Reichshoffen. À treize ans l’embarquement pour la Martinique. L’école buissonnière ; une première pratique de la chimie par la teinture ; cinq années de charpenterie avec Nicolas Fourneau, son premier maître avant Monge et Lavoisier, puis des études de géographe avec Dabancourt et Prony. Jean-Henri reçoit, en 1782, son brevet d’élève des Mines, “ conclusion d’une éducation à tous vents ”.
Avec les premiers pas de Hassenfratz dans le corps des Mines, on découvre l’éclosion de la chimie, les enjeux, les questions telles qu’elles se posaient. Hassenfratz et Stoutz sont envoyés en Styrie et en Carinthie pour y observer la fabrication de l’acier d’Allemagne, de grande qualité pour l’armement, et que l’on ne sait produire en France. De l’espionnage industriel, en somme.
De passage à Vienne, à son retour, il rencontre Johannes Ingen-Housz à qui l’on doit l’idée de la photosynthèse. Nouvel accès d’enthousiasme de Hassenfratz, qui opposera à Ingen-Housz sa théorie de l’humus, autrement dit de l’origine organique du carbone végétal. Plus tard, sous-directeur de Prony au bureau du Cadastre, Hassenfratz classera la fertilité des sols, en vue de l’établissement d’un barème fiscal juste. Hassenfratz se trompait souvent. Son enthousiasme ne déclinait jamais.
Peu avant son passage au ministère de la Guerre, Hassenfratz écrit un Mémoire sur l’Éducation où il rappelle l’importance de l’éducation et son rôle économique pour augmenter “la quantité de travail de chaque individu”. Il s’est posé le problème de savoir comment en faire profiter des individus dont les facultés ne sont pas les mêmes, “ notamment ceux qui ne sont pas propres à concevoir et à combiner des idées abstraites ” et sont réfractaires à l’enseignement des mathématiques, seul moyen de “ perfectionner la faculté du raisonnement ” qui est la plus importante “ des facultés de l’esprit ”. Comment les faire néanmoins bénéficier d’une éducation utile à la société ?
Hassenfratz est devenu le premier professeur de physique à l’École polytechnique, lui qui était précisément “ incapable de mathématiser, de présenter ces belles théories qui donnent si facilement l’illusion à l’élève d’avoir tout compris des lois de la nature au point que l’expérimentation lui semblera une vérification superfétatoire ” simplement parce que Monge avait confiance en lui pour enseigner cette science, secondaire à l’époque.
Je n’ai pas résisté, ci-dessus, à reproduire in extenso une phrase où tous ceux qui ont approché Emmanuel Grison reconnaîtront son érudition, la profondeur et la clarté de sa pensée, et son élégance.