Mort d’un commis voyageur
Les Nord-Américains sont des gens pénétrés d’efficacité. Comme tels, ils prennent la vie au sérieux et leur culture est tout imprégnée de cette optique. Leur création littéraire s’en ressent : elle est plus sensible aux duretés de la condition humaine qu’à ses cocasseries. Si cette création peut être comique – Mark Twain, Woody Allen, encore que l’humour de ce dernier soit plus goûté en Europe qu’outre- Atlantique – elle explose rarement dans la jubilation.
On n’y rencontre ni de Molière ni de Pagnol et Panurge, Sancho Pança ou Falstaff n’ont pas de petit frère yankee, du moins à ma connaissance.
Les Américains pourtant savent, ou plutôt ont su, déclencher le rire : Buster Keaton, Laurel et Hardy… Il ne s’agit cependant pas alors de littérature, c’est-à-dire d’un texte, mais de mime. L’art du mime peut émouvoir autant que celui d’agencer des mots, mais ce n’est pas le même.
La création dramatique relève des deux : elle combine texte et gestuelle, ce que l’on entend et ce que l’on voit.
La mise en scène appartient à ce dernier ordre. Et c’est là qu’après ces considérations spéculatives je veux en venir. Une tournée donnait un soir de juillet breton Mort d’un commis voyageur, d’Arthur Miller (1949), dans une mise en scène de Régis Santon.
Arthur Miller – l’époux de Marylin Monroe, à ne pas confondre avec le pornographe Henry Miller – y raconte l’histoire d’un représentant de commerce en chômage qui se suicide pour procurer, par le montant de son assurance décès, la seule valeur qui lui reste à ses propres yeux, des ressources à sa femme et ses deux fils, l’un généreux mais velléitaire, l’autre paresseux et cynique.
Pour corser ce sujet de soi peu folichon, l’auteur pratique de façon abondante le retour en arrière, moyen cinématographique s’il en est, mais d’un maniement difficile au théâtre. On n’y connaît pas le fondu enchaîné ou tel autre de ces procédés aptes à marquer les sauts dans le temps, les passages de la réalité du présent à l’embellissement du souvenir.
Il convient alors que la mise en scène, par exemple par des jeux de lumière, souligne les instants où l’on pénètre dans le domaine onirique du “ c’était le bon temps ”. Faute de quoi un spectateur à l’esprit lent – tout à fait mon genre – éprouve quelque peine à suivre l’action. Ce fut le cas. Avis aux metteurs en scène, mais il en est sans doute peu qui lisent La Jaune et la Rouge.