Petits contresens sans importance
La célèbre épigraphe apposée par Beethoven sur la partition de son 16e quatuor : Muss es sein ? Es muss sein (Le faut-il ? Il le faut) a donné lieu à de multiples exégèses : pour les uns, il s’agirait d’une interrogation – affirmation sur son œuvre au soir de sa vie. Pour d’autres, Beethoven aurait ainsi notifié à son ami Ignaz Dembscher qu’il devait absolument lui rembourser les 50 florins qu’il lui devait.
Il semblerait, en définitive, qu’il se soit agi d’un échange périodique avec sa femme de ménage qui lui réclamait chaque samedi ses gages que le compositeur répugnait à lui payer. Est-ce bien important et n’est-il pas sage que chacun trouve dans le décryptage de ces mots au fond dérisoires l’idée qu’il se fait du grand Ludwig ?
Baroques
L’engouement de certains pour la musique baroque procéderait ainsi d’un contresens. Ainsi, par exemple, le caractère apparemment mélancolique de nombre des pièces de l’époque baroque est évidemment dû au filtre de notre culture moderne, qui attache ce sentiment au mode mineur surtout s’il s’agit d’un tempo lent (une sarabande par exemple).
En fait, les pièces baroques sont, dans leur majorité, issues de commandes liturgiques ou mondaines, et les états d’âme du compositeur y tiennent bien peu de place.
Les Concerti Grossi d’Arcangelo Corelli dont la violoniste Amandine Beyer vient d’enregistrer l’intégrale à la tête de son ensemble Gli Incogniti1 constituent le monument de la musique baroque orchestrale de l’époque. Concertos de chambre (da camera), d’église (da chiesa), ce sont des œuvres d’un compositeur bien en cour auprès de tel ou tel prince de l’Église, destinées soit à des fêtes liturgiques, soit à des académies privées. Surtout, c’est une floraison d’inventions harmoniques, modèle sur lequel s’appuiera Haendel quelques années plus tard pour composer ses propres concerti grossi.
Au même moment, Vivaldi fait imprimer un recueil de ses meilleurs concertos sous le titre général de L’Estro Armonico. Mais à la différence de Corelli, il s’agit non de concerti grossi mais de concertos pour instrument soliste – violon(s), violoncelle(s) – et orchestre. Et bien que destinées aux jeunes pensionnaires de la Pietà, jeunes filles douées sur lesquelles règne Vivaldi, ce sont des œuvres profanes qui visent d’abord le plaisir de l’auditeur, et qui rencontreront un extraordinaire succès.
L’excellent ensemble Café Zimmermann2 joue avec brio ces pièces aux mille audaces rythmiques et mélodiques, musique vénitienne qu’aimera Bach et qu’il utilisera pour ses propres concertos.
De Bach, précisément, Christine Busch interprète sur violon baroque l’intégrale des Sonates et Partitas pour violon seul3. En règle générale, nous préférerons entendre ces pièces majeures jouées sur violon moderne, avec comme enregistrement de référence celui de Nathan Milstein.
Eh bien, nous avouons avoir été transportés par l’exceptionnelle clarté de cette interprétation. Christine Busch fait corps avec ces pièces difficiles que l’on entend rarement jouées aussi rigoureusement et avec une telle sérénité et une telle élévation.
Le vibrato du violon moderne apparaîtrait du coup incongru. Un moment magique, une divine surprise.
Citons enfin un coffret qui regroupe, sous le nom Italiane Baroque, des enregistrements de sonates et concertos de Valentini, Geminiani, Porpora, Fiorenza, Albinoni et Vivaldi, dont les 4 Saisons, les uns par Chiara Banchini et son Ensemble 415, les autres par Amandine Beyer et Gli Incogniti (voir plus haut), la crème de la musique baroque italienne4 par la crème des baroqueux.
Debussy au piano
Certains voient Debussy comme un impressionniste, peut-être parce qu’il fut leur contemporain. Contresens ? En réalité, les impressionnistes ont eu bien des manières et si c’est de l’un d’entre eux qu’il faudrait rapprocher l’art de Debussy, ce serait sûrement de la précision de Caillebotte plutôt que du flou de Monet.
L’interprétation par Nelson Goerner de L’Isle joyeuse, du 1er Livre des Images, du 2e Livre des Études et des Estampes5 sort du lot des interprètes habituels : c’est celle d’un coloriste précis et raffiné, qui donne la primeur au toucher et donc à la couleur tout en restant d’une absolue rigueur dans le maniement de la pédale forte : pas de flou !
Jardins sous la pluie est à cet égard exemplaire et nous ferait presque oublier les enregistrements légendaires de Samson François et Robert Casadesus. Écoutez ce Debussy-là, fermez les yeux et… rêvez en couleurs.
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1. 2 CD ZIGZAG.
2. 1 CD ALPHA.
3. 2 CD PHI.
4. 7 CD ZIGZAG.
5. 1 CD ZIGZAG.