La Suède face au défi du transport
En Suède, d’ici 2020, la consommation d’énergie finale devra diminuer de 20 % par rapport à 2008. La crise économique a été la principale responsable de la baisse de 7% déjà obtenue, mais les réglementations devront être améliorées afin d’atteindre cet objectif.
REPÈRES
La consommation énergétique suédoise par habitant est impressionnante et atteint presque 50 % de plus qu’en France. Ce niveau n’a pourtant pas changé depuis trente ans. La Suède ne s’est pas arrêtée à la mise en application des différentes directives européennes relatives à l’efficacité énergétique, à l’ecodesign et à l’affichage environnemental. Elle a favorisé la rénovation énergétique des bâtiments, éligible à un crédit d’impôt, l’efficacité énergétique dans les entreprises intensives et surtout, l’instauration d’une taxe carbone qui permet à tout le système énergétique de s’adapter de lui-même aux nouvelles règles du jeu où le carbone énergétique devient de plus en plus cher. Elle est aussi très active sur le marché de la compensation carbone.
Un mix énergétique en constante mutation
Après l’assèchement de ses mines de charbon au début du XXe siècle et sans aucune autre ressource fossile sur son territoire, la Suède a décidé d’utiliser encore plus le potentiel immense de ses forêts boréales et de ses fleuves, puis de se doter de technologies avancées (notamment nucléaire dans les années 70–80) et d’incitations économiques innovantes, dont la taxe carbone, afin d’allier indépendance énergétique et faible impact environnemental.
La Suède a décidé d’utiliser le potentiel de ses forêts boréales
La production électrique et de chaleur ainsi que l’énergie utilisée dans l’industrie sont à présent quasi libérées des énergies fossiles. Le gaz naturel, introduit dans les années 80, et le charbon, pourtant responsable de 50% de l’approvisionnement primaire en 1950, ne sont donc plus utilisés que marginalement ou pour des usages spécifiques.
Le secteur des transports, encore dépendant du pétrole à plus de 90 %, reste donc le principal défi à relever pour se libérer de la dépendance aux énergies fossiles.
À présent, l’approvisionnement suédois repose donc principalement sur trois piliers, chacun responsable d’environ 30% de l’usage final d’énergie : l’électricité (moitié nucléaire et moitié hydraulique), la biomasse (bois et déchets) et le pétrole.
La taxe carbone suédoise
Dans les années 1990, la Suède a été durement touchée par une crise bancaire puis budgétaire. Les coupes dans les dépenses publiques ont été sévères et l’ensemble de la fiscalité a été renégocié. La fiscalité écologique est alors apparue, avec notamment la création d’une taxe carbone pour les ménages et certaines industries, alors que les impôts sur le travail et la taxe sur l’énergie étaient diminués. La « taxe dioxyde de carbone » atteint aujourd’hui 125 euros par tonne, contre moins de 5 euros par tonne pour le marché européen de quotas de CO2. Elle génère ainsi près de 3 milliards d’euros de recettes annuelles, sans redistribution pour les ménages.
Les entreprises ont cependant un taux réduit à 30%, mais celui-ci sera alourdi, à partir de 2015, à 60 %. Cette taxe a été le principal levier de développement des réseaux de chaleur au bois, et un des outils pour l’essor des pompes à chaleur, des biocarburants ainsi que des centrales de cogénération à biomasse. Les Suédois, qui ont une conscience environnementale forte et perçoivent l’impôt comme un mal nécessaire pour pouvoir jouir des avantages des services de l’État, accueillent soit avec indifférence soit avec une compréhension bienveillante cette taxe déjà bien ancrée dans le système fiscal national.
L’électricité hydroélectrique, nucléaire et renouvelable
La Suède produit 150 TWh d’électricité par an, soit 15 MWh par personne, presque deux fois plus qu’en France. Celle-ci provient principalement de centrales nucléaires (40%) et hydroélectriques (45 %). Le contenu en carbone de l’électricité est donc très faible et similaire à celui de la France. La cogénération à la biomasse (7 %) et l’éolien (4 %) ne représentent encore qu’une part marginale de la production électrique, mais la volonté suédoise est d’obtenir à terme un troisième pilier « renouvelable » dans le mix de production électrique.
Un marché de certificats, destiné à piloter la montée en puissance de la production d’origine renouvelable, a été créé en 2003, et la Norvège l’a rejoint en 2012.
La Suède est une grande puissance du nucléaire civil. Ici, la centrale de Forsmark.
© VATTENFALL
Deux objectifs majeurs
La Suède doit se doter d’ici 2020 d’un mix d’énergie finale provenant à 50% de sources renouvelables. Elle doit réduire de 40% les émissions de CO2 nationales par rapport à 1990, hors marché des quotas. En 2012, le premier objectif était déjà quasi rempli et les émissions de CO2 avaient diminué de 25%.
Une grande puissance du nucléaire civil
La Suède est une grande nation du nucléaire civil. Elle possède dix réacteurs, ce qui fait de ce pays le plus gros utilisateur de puissance et d’énergie nucléaire par personne au monde, devant la France. Les dix réacteurs nucléaires, aujourd’hui en activité sur trois sites (Ringhals, Oskarshamn et Forsmark), ont été construits entre 1972 et 1985.
Le débat sur le nucléaire s’achemine vers un prolongement de la durée de vie des centrales
Pourtant, en 1980 et après l’accident de Three Mile Island aux États- Unis en 1979, la Suède avait décidé, par référendum, de sortir du nucléaire à une échelle de temps « raisonnable », en s’interdisant de fait toute nouvelle construction. La date de cette sortie a par la suite été fixée à 2010. Depuis lors, le débat environnemental s’est partiellement détourné de la question nucléaire pour se concentrer sur la contrainte carbone.
Ainsi, bien que deux réacteurs aient été démantelés en 1999 et 2005 à Barsebäck – sous la pression du gouvernement danois et de la ville de Copenhague voisine – le Parlement a décidé en 2009 d’autoriser le remplacement des dix réacteurs actuels. Puis, en 2010, la décision de sortie du nucléaire a été définitivement abandonnée par le Parlement.
Le débat national sur le nucléaire semble donc s’acheminer vers un prolongement de la durée de vie des centrales (jusqu’à 60 ans pour certains réacteurs), puis à un éventuel renouvellement en fonction de la viabilité économique des nouveaux projets, celle-ci n’étant pas assurée.
Le charbon blanc
Un marché commun de l’électricité
Afin d’assurer des prix stables dans la région durant les hivers rigoureux et de moins dépendre des variations saisonnières de pluviométrie ou de la production éolienne intermittente danoise, l’ensemble des pays scandinaves, la Finlande et les pays baltes se sont regroupés progressivement à partir de 1996 autour d’un marché commun de l’électricité : Nordpool. La Suède n’a donc quasi plus recours à ses centrales à pétrole pour faire face à la demande de pointe en hiver puisque celle-ci est satisfaite par une production moins chère dans les autres pays.
Les fleuves suédois ont été exploités dès la fin du XIXe siècle pour fournir de l’électricité à bas prix, notamment pour extraire et transporter efficacement le minerai de fer depuis les mines du Grand Nord vers les sites industriels du sud de la Suède.
Ce « charbon blanc » a pris une nouvelle dimension dans les années 1930 avec le lancement de grands chantiers de construction de barrages dans le nord de la Suède, ce qui a demandé aussi de grands efforts technologiques innovants pour transporter l’électricité sur de longues distances et dans des conditions climatiques parfois extrêmes.
En 1965, la quasi-totalité de l’électricité suédoise était d’origine hydroélectrique. À présent, l’ensemble des 1 800 barrages fournit environ 65 TWh, soit 45 % de l’électricité suédoise. Le potentiel « technico-économique » est encore estimé à 24 TWh, mais le gouvernement ne compte pas l’exploiter pour des raisons environnementales.
Le bois, essentiel pour l’industrie et le chauffage
Les forêts suédoises sont immenses : elles représentent environ 55 % du territoire, soit 20% des forêts européennes et près de deux fois les forêts françaises.
90% des nouvelles maisons individuelles sont équipées de pompes à chaleur
Elles forment à présent une base essentielle pour la société suédoise pour au moins trois raisons : 80% des produits finaux de la foresterie et de la papeterie sont exportés ; les produits secondaires sont réutilisés comme combustibles pour le chauffage urbain, la production électrique et l’industrie lourde ; le reboisement permet le stockage chaque année de 50% des 6,5 tonnes de CO2 émises par personne.
L’industrie suédoise, pourtant très consommatrice d’énergie (l’industrie forestière et papetière absorbe notamment à elle seule 20% des besoins énergétiques nationaux), utilise donc pour plus d’un tiers de ses besoins énergétiques les ressources locales en biomasse, à des coûts lui permettant de rester compétitive à l’international tout en ayant un impact réduit sur l’environnement.
Un tiers de l’énergie utilisée par l’industrie est aussi d’origine électrique tandis que le reste provient toujours des énergies fossiles.
Un leader de la valorisation des déchets et des pompes à chaleur
Des réseaux de chaleur
La Suède a de grands besoins en chauffage. La température moyenne à Stockholm, par exemple, est d’environ 8 degrés. Mais elle compte les maisons les mieux isolées d’Europe et s’est libérée en l’espace de vingt ans des énergies fossiles, essentiellement grâce à l’introduction de la taxe carbone.
Les deux tiers de l’énergie de chauffage proviennent à présent des réseaux de chaleur présents dans 270 de ses 290 communes, et 85 % de l’usage du bois, des déchets ou des pompes à chaleur.
L’utilisation des déchets a beaucoup augmenté ces dernières années, surtout depuis que la loi interdit la décharge de déchets combustibles (2002) et de déchets organiques (2005). De façon un peu cocasse, la Suède importe un million de tonnes de déchets par an de la Norvège pour les valoriser énergétiquement.
La Suède est également devenue un leader mondial dans le domaine des pompes à chaleur : elle possède en particulier 50% du marché européen. Ces pompes à chaleur sont surtout utilisées pour les maisons individuelles, souvent trop éloignées des réseaux de chauffage central, et 90 % des nouvelles maisons individuelles en sont ainsi équipées.
S’affranchir du pétrole pour les transports
La Suède est un pays tout en longueur (2 000 kilomètres du nord au sud, soit l’équivalent d’un aller retour Paris-Berlin) et très peu densément peuplé (20 habitants par kilomètre carré, soit cinq fois moins qu’en France). C’est pourquoi le transport des marchandises et des personnes est très consommateur d’énergie. Ce secteur est par ailleurs le seul où la demande énergétique a augmenté : + 75% depuis 1970.
Réduire la demande
Les moyens affichés par Trafikverket (l’agence de maîtrise des transports) sont principalement tournés vers la réduction de la demande et l’efficacité énergétique : « Si nous réduisons la demande énergétique de 60% d’ici 2030, annonce-t-elle, un doublement de la production en biocarburants permettrait de réduire de 80% l’utilisation de carburants fossiles, et se placer en bonne voie pour devenir neutre en carbone en 2050. »
La tendance est toujours à la hausse, poussée par l’attrait de la voiture individuelle. Pourtant, l’intégralité du pétrole utilisé est importée, ce qui fait que la facture pétrolière s’élève à présent à environ 8% du PIB, principalement au profit de la Russie, de la Norvège et du Danemark.
Sachant que les prix du pétrole ont bondi de 300 % depuis 2004, l’indépendance nationale dans le secteur des transports est devenue le principal défi suédois de la transition énergétique. L’objectif principal annoncé dans ce domaine est cependant encore assez bancal : il s’agit d’obtenir une flotte de transport « indépendante des énergies fossiles » d’ici 2030.
Certains, comme Preem, premier distributeur de carburants en Suède, affirment ainsi que, puisqu’ils sont en capacité de fournir des carburants alternatifs à l’essence et au diesel, cet objectif serait déjà atteint. Une investigation est en cours pour clarifier cet objectif.
De nombreux projets
Le comportement individuel sera crucial pour que le secteur des transports engage une réelle mutation
L’enjeu principal est donc là : stopper la montée quasi inéluctable de la demande énergétique dans les transports, et ce le plus tôt possible. Pour avancer dans ce domaine, la moitié des fonds de recherche de l’Agence suédoise de l’énergie sont affectés au secteur du transport et de nombreux projets pilotes sont déjà prometteurs. Le modèle de planification « à la suédoise » – à gouvernance élargie – est aussi un bon moyen de prévoir à l’avance la gestion des transports pendant la construction de nouveaux quartiers.
Dans l’écocité d’Hammarby Sjöstad, la pression des habitants a cependant conduit la municipalité à revenir sur ses plans de réduction de places de parking. La Suède a aussi été une des premières à expérimenter, pour lutter contre les embouteillages, une taxe de congestion à Stockholm dès 2006, après référendum local obtenu par une très faible majorité : 52,5% contre 47,5%. La dimension comportementale sera cruciale à l’avenir pour que le secteur des transports engage une réelle mutation.
Carburants alternatifs
L’écoquartier d’Hammarby Sjöstad.
En ce qui concerne la fourniture de carburants alternatifs, la Suède est en avance en Europe : 7,5 % de l’énergie des transports proviennent déjà de biocarburants, ce qui lui permet d’avoir, dès 2012, atteint son objectif de fournir 12 % de l’approvisionnement des transports à partir de combustibles contenant des énergies renouvelables – le bioéthanol par exemple étant mélangé à hauteur de 5 % à l’essence pour fournir de l’E5.
Après une période de transition où la Suède s’est retrouvée premier importateur mondial de bioéthanol brésilien – remplaçant ainsi une dépendance au pétrole par une autre –, on assiste désormais à une montée en puissance de la production d’éthanol local et autres carburants à base de résidus forestiers.
Des objectifs raisonnables
La vision de long terme affichée par le gouvernement est de « fournir une production durable et efficace en ressources avec aucune émission nette de gaz à effet de serre dans l’atmosphère » d’ici 2050.
Pas de grande vitesse ferroviaire
Venant du pays du TGV, on ne peut que s’étonner que la Suède limite la vitesse maximale sur les chemins de fer à 200 km/h et que les plans de Trafikverket prévoient très peu de construction de lignes à grande vitesse. Il en va de même pour le trafic maritime, où la part du trafic intérieur a diminué d’un tiers ces trente dernières années.
Cet objectif est cependant moins impressionnant qu’il n’en a l’air : les émissions territoriales sont d’environ 65MtCO2 eq, dont environ 50 % est déjà stocké ou compensé. L’objectif ne correspond donc en fait qu’à une réduction d’un facteur 2 des émissions territoriales, contre un objectif de facteur 4 affiché en France par exemple. Les émissions importées, par l’échange de biens et services, sont de plus ignorées.
Les différents objectifs de 2020 et 2030 forment un cadre perfectible – notamment dans le domaine crucial des transports – mais ambitieux et très opérationnel. Ils sont suivis annuellement par des feuilles de route détaillées, et les recommandations économiques et réglementaires sont ensuite passées sous l’oeil critique de la rationalité économique avant d’être appliqués.
Le modèle suédois est donc un mélange de prise en compte du long terme, de pluridisciplinarité et de pragmatisme économique, ce qui laisse présager des surprises dans le domaine des transports dans les années à venir.
2 Commentaires
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Un laboratoire géant !
Encore une fois, nos amis nordiques expérimentent le futur avant nous. La Suède est une superbe exemple, déjà en termes de modèle économique, avec ses déficits publics qui laissent rêveurs dans un modèle social performant.
Sur le plan de la transition énergétique, l’immense forêt suédoise et ses fleuves comparés à sa faible population aident beaucoup.
Néanmoins, il y a énormément d’exemples à retenir chez nous : – Utilisation massive de la biomasse (notamment via la méthanisation des déchets) – Isolation importante des logement. – Forte prise de conscience de la population. Bravo pour l’article. Quentin
Job Application
hello I am from Algeria I have experience in leadership from 2004, and I want to work in Sweden