Former les manageurs de la transition

Dossier : La transition énergétiqueMagazine N°689 Novembre 2013
Par Dominique BUREAU (74)

Pour contri­buer avec le maxi­mum de valeur ajou­tée à la tran­si­tion éner­gé­tique, les « mana­geurs de demain » doivent consi­dé­rer les trois piliers com­plé­men­taires qui se dégagent des tra­vaux de réflexion pros­pec­tive et de modé­li­sa­tion sur la tran­si­tion énergétique.

Trois piliers

Le pre­mier se situe du côté de l’offre. Il concerne le déploie­ment de tech­no­lo­gies nou­velles plus propres, c’est-à-dire éco­nomes en res­sources rares et en émis­sions de gaz à effet de serre : éner­gies renou­ve­lables et nucléaire, pro­cé­dés indus­triels moins éner­gi­vores, mais aus­si tech­no­lo­gies de récu­pé­ra­tion et de sto­ckage, du CO2 par exemple.

REPÈRES
Réflé­chir sur l’enseignement de la tran­si­tion éner­gé­tique a comme préa­lable une réflexion pros­pec­tive sur les trans­for­ma­tions à anti­ci­per. Cette réflexion est aujourd’hui très active. Mais elle demeure mar­quée par beau­coup de contro­verses et incer­ti­tudes. Un élé­ment qui émerge tou­te­fois est le rôle clef de l’innovation tech­no­lo­gique, source de solu­tions, mais dont le déploie­ment néces­site aus­si une atten­tion par­ti­cu­lière aux impacts éven­tuels sur l’environnement et à l’acceptabilité éco­no­mique et sociale de ces muta­tions. Néan­moins com­mence à se consti­tuer une offre d’enseignements nou­velle, qui cherche à répondre à ces enjeux.

Le second vise le côté de la demande, notam­ment la consom­ma­tion des ménages. En effet, le poten­tiel d’économies d’énergie envi­sa­geables grâce à une meilleure effi­ca­ci­té au niveau des usages de l’énergie est très impor­tant. Cepen­dant, au-delà de gas­pillages évi­dents qu’il convient de sup­pri­mer, four­nir les mêmes ser­vices de chauf­fage, ou de trans­port, tout en rédui­sant les besoins d’énergie pri­maire, notam­ment de com­bus­tibles fos­siles, néces­site des modi­fi­ca­tions de com­por­te­ment sub­stan­tielles, et pour cela de nou­veaux inves­tis­se­ments d’équipements et d’infrastructures, de loge­ments, d’infrastructures urbaines, de maté­riels et réseaux de transport.

Enfin, le troi­sième pilier met l’accent sur la coor­di­na­tion des choix, au niveau des filières indus­trielles (rôle du recy­clage, pers­pec­tive d’une éco­no­mie « cir­cu­laire »), des réseaux d’infrastructures et d’électricité (smart grids), et bien sûr, des régu­la­tions publiques ou du rôle des prix et de la fiscalité.

Une clef de la transition

L’innovation tech­no­lo­gique appa­raît comme un élé­ment clef de la tran­si­tion énergétique

Ain­si l’innovation tech­no­lo­gique appa­raît comme un élé­ment clef de la tran­si­tion éner­gé­tique. De plus, elle néces­site de mobi­li­ser des dis­ci­plines extrê­me­ment diverses, et des inno­va­tions dont la matu­ri­té demeure très variable. La for­ma­tion des ingé­nieurs et scien­ti­fiques doit viser à four­nir les com­pé­tences pour rele­ver ces défis, ce qui implique de déve­lop­per par­ti­cu­liè­re­ment les capa­ci­tés au dia­logue entre disciplines.

Mais la tran­si­tion éner­gé­tique ne se résume pas à un pro­jet tech­no­lo­gique. Le pilo­tage de pro­jets de tran­si­tion éner­gé­tique néces­site des « mana­geurs » aptes à en appré­hen­der les dimen­sions éco­no­miques, indus­trielles, socié­tales, et environnementales.

L’évaluation des impacts des inno­va­tions tech­no­lo­giques doit inté­grer très en amont ces dimen­sions, sous peine de se heur­ter à des pro­blèmes d’acceptabilité insurmontables.

Deux par­cours de troi­sième année, à l’École poly­tech­nique, sont direc­te­ment concernés.

Énergies du XXIe siècle

Ce pro­gramme est conçu pour four­nir les bases scien­ti­fiques pour le déve­lop­pe­ment d’énergies non émet­trices de gaz à effet de serre, comme les éner­gies renou­ve­lables et les éner­gies « non fos­siles » comme le nucléaire. C’est un pro­gramme mul­ti­dis­ci­pli­naire qui com­bine des ensei­gne­ments de phy­sique, de méca­nique, de mathé­ma­tiques appli­quées, et d’économie et sciences sociales. Il aborde les tech­niques modernes et futures de pro­duc­tion d’énergie, de son trans­port, de sa ges­tion, et de leurs consé­quences sur notre société.

Ce pro­gramme, lan­cé il y a quelques années avec le sou­tien d’EDF et du CEA, a eu tout de suite beau­coup de suc­cès auprès des élèves.

Sciences pour les défis de l’environnement

De nou­veaux par­cours d’enseignement
La créa­tion, à l’É­cole poly­tech­nique, de l’Ins­ti­tut Corio­lis, pour l’éner­gie et l’en­vi­ron­ne­ment, qu’a­nime Claude Bas­de­vant, reflète ces enjeux, puis­qu’il s’a­git de plei­ne­ment valo­ri­ser le poten­tiel de l’ƒ­cole poly­tech­nique en ces domaines, en déve­lop­pant les syner­gies entre l’en­sei­gne­ment et la recherche, et en favo­ri­sant l’in­ter­dis­ci­pli­na­ri­té autour de ces enjeux. Dès à pré­sent, ces orien­ta­tions se mani­festent concrè­te­ment, dans l’é­vo­lu­tion des ensei­gne­ments de troi­sième année (au niveau Mas­ter M1), et dans l’offre de qua­trième année (Mas­ter M2).

Ce pro­gramme est plus orien­té sur les impacts envi­ron­ne­men­taux et la modé­li­sa­tion des sys­tèmes com­plexes que consti­tuent notre envi­ron­ne­ment phy­sique ou bio­lo­gique, la ges­tion des popu­la­tions, les sys­tèmes éner­gé­tiques, etc. La com­pré­hen­sion et la pré­vi­sion des muta­tions de notre envi­ron­ne­ment, qu’elles soient à petite ou grande échelle, néces­sitent un solide bagage scien­ti­fique interdisciplinaire.

Il en est ain­si, par exemple, pour com­prendre, pré­voir et anti­ci­per les liens entre pres­sion anthro­pique (modi­fi­ca­tion des sols, chan­ge­ments cli­ma­tiques, pol­lu­tions, sur­ex­ploi­ta­tions), bio­di­ver­si­té et fonc­tion­ne­ment des éco­sys­tèmes (cycles bio­lo­giques, de matière et d’énergie).

Le pro­gramme est orga­ni­sé autour de trois pôles en inter­ac­tion : éco­lo­gie et bio­di­ver­si­té ; envi­ron­ne­ment géo­phy­sique ; éco­no­mie et ges­tion de l’environnement, les élèves étant invi­tés à abor­der toutes les facettes des pro­blèmes envi­ron­ne­men­taux tout en se spé­cia­li­sant dans un des domaines.

Des parcours variés

La tran­si­tion éner­gé­tique est par ailleurs for­te­ment pré­sente au sein du pro­gramme Inno­va­tion tech­no­lo­gique, qui a l’ambition d’initier les élèves aux outils et méthodes de l’entreprenariat tout en leur fai­sant acqué­rir une spé­cia­li­té scien­ti­fique et technique.

La com­pé­tence tech­nique ne peut se construire sans com­pré­hen­sion des défis scientifiques

Les par­cours de qua­trième année, qui, à côté des écoles d’application ou en lien avec elles, pro­longent cette offre d’enseignement sur la tran­si­tion éner­gé­tique, sont natu­rel­le­ment plus focalisés.

Ces mas­ters M2 s’inscrivent tou­jours dans des par­te­na­riats et un rayon­ne­ment à l’international : REST (Rene­wable Ener­gy Science and Tech­no­lo­gy) ; Nuclear Ener­gy ; WAPE (Water, Air, Pol­lu­tion and Ener­gy at local and regio­nal scales, qui consti­tue le par­cours inter­na­tio­nal du Mas­ter Océan, Atmo­sphère, Cli­mat et Obser­va­tion spa­tiale) ; EDDEE (Éco­no­mie du déve­lop­pe­ment durable de l’énergie et de l’environnement), ou encore PIC (Pro­jet inno­va­tion conception).

Répondre aux défis de la transition énergétique

De ce bref recen­se­ment res­sortent quelques orien­ta­tions fortes et carac­té­ris­tiques signi­fi­ca­tives. Tout d’abord, un diag­nos­tic com­mun sur le besoin de for­mer de nou­velles géné­ra­tions de cher­cheurs et d’ingénieurs pour anti­ci­per et gérer les sys­tèmes éner­gé­tiques de demain et leurs impacts dans le contexte d’un chan­ge­ment cli­ma­tique et d’une exi­gence accrue de sécu­ri­té. Cela néces­site des for­ma­tions construites sur des par­cours solides sur le plan scien­ti­fique et tech­nique, plu­ri­dis­ci­pli­naires, et for­te­ment connec­tés à la recherche.

Ce lien entre ensei­gne­ment et recherche est faci­li­té par l’importance des thé­ma­tiques liées à l’énergie dans les axes de recherche des labo­ra­toires du Centre de recherche de l’École, notam­ment celui de Méca­nique des solides (LMS), d’Utilisation des lasers intenses (LULI) et d’Économétrie (ECO).

Des liens avec l’entreprise

Un pro­jet emblématique
Plus emblé­ma­tique encore est l’implication de l’École dans l’Institut pho­to­vol­taïque d’Île-de-France (IPVF). Ce pro­jet, sélec­tion­né au titre des Ins­ti­tuts d’excellence en éner­gie décar­bo­née, est por­té par EDF, Total, le CNRS et l’École poly­tech­nique (avec le PICM, Phy­sique des inter­faces et des couches minces), asso­ciés à l’Air Liquide, Hori­ba, Jobin Yvon et Riber. Il vise à consti­tuer un des cinq plus grands centres mon­diaux sur les dis­po­si­tifs pho­to­vol­taïques de nou­velle génération.

Par ailleurs, en réponse aux besoins émer­gents du monde socioé­co­no­mique, l’École s’attache à éta­blir des liens durables et étroits avec le monde de l’entreprise par le biais des chaires d’enseignement et de recherche : treize sont actives actuel­le­ment, en par­te­na­riat avec une cen­taine d’entreprises, fon­da­tions ou par­te­naires académiques.

Elles font une large place aux thé­ma­tiques liées à la tran­si­tion éner­gé­tique. Alliant recherche de pointe et ensei­gne­ment d’excellence, et s’inscrivant dans une pers­pec­tive d’ouverture inter­na­tio­nale, ces chaires offrent aux entre­prises un contact pri­vi­lé­gié avec la recherche et des étu­diants for­més dans des domaines concrets.

Conduire des projets innovants

Les for­ma­tions qui se mettent en place accordent en effet une place impor­tante à la for­ma­tion à la conduite des pro­jets inno­vants, ain­si qu’aux aspects éco­no­miques et sociaux asso­ciés à la tran­si­tion éner­gé­tique. La com­pé­tence tech­nique en ce domaine ne peut en effet se construire sans com­pré­hen­sion des défis que repré­sente l’existence de contro­verses scien­ti­fiques, ou les poten­tiels de crises liées aux défaillances des grands sys­tèmes techniques.

L’objet de la Chaire DDX-EDF, créée dès 2003 sous l’impulsion de Claude Hen­ry et à voca­tion inter­dis­ci­pli­naire, se situe en ce domaine : éla­bo­ra­tion de repré­sen­ta­tions et d’approches de la déci­sion adap­tées à ce contexte ; recherche de nou­velles formes de mar­ché et de gouvernance.

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