ParisTech : une ambition revisitée
Des hauts et des bas
La marque ParisTech fut une véritable trouvaille pour consacrer en 1999 la coopération informelle initiée en 1991 entre neuf grandes écoles d’ingénieurs parisiennes. Cette puissance évocatrice de la marque à l’international a soutenu le développement de ParisTech, malgré des hauts et des bas :
- un « pic historique » en 2006–2007, lorsqu’il a été reconnu par le ministère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur comme Pôle de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) ;
- un « creux historique » en février 2012 lorsque l’État français a définitivement consacré une organisation de l’enseignement supérieur autour de campus géographiques.
En 1991, c’est grâce à l’initiative de Jacques Lévy, directeur de « l’École des Mines de Paris » de l’époque et à l’enthousiasme de Pierre-Gilles de Gennes, alors directeur de l’ESPCI, que huit grandes écoles d’ingénieurs se rassemblent au sein du « Groupe des écoles d’ingénieurs de Paris » pour « collaborer dans les domaines d’intérêt commun et acquérir, grâce à une taille suffisante, une reconnaissance internationale ».
Un développement international
En 1999, l’association prend le nom de « ParisTech », plus à même d’accompagner son développement international. Ce nom, qui évoque celui de grandes universités technologiques américaines, correspondait bien à l’ambition de devenir un établissement de « stature comparable aux grandes universités scientifiques et techniques au niveau mondial ».
Construire l’habitude de l’action commune et de la concertation
Dans cette période, l’association met sur pied des groupes de travail, construit l’habitude de l’action commune et de la concertation, antérieurement fort rare : les directeurs d’établissement prennent par exemple l’habitude de se réunir en Conseil d’administration tous les trois mois.
C’est le groupe « formation » qui obtient les résultats les plus concrets, avec la création des semaines européennes, devenues par la suite semaines Athens.
Une université de technologie à Paris
Peu de temps avant le terme de ma présidence de ParisTech, j’ai fait procéder, avec l’aide d’un jeune polytechnicien stagiaire, à un sondage trottoir dans le Quartier latin sur la notoriété et la puissance évocatrice de ParisTech, auprès de jeunes étrangers fréquentant Paris au mois d’août : seuls 5 sur 40 savaient ce qu’était ParisTech, mais pour plus de la moitié des autres ce nom évoquait une université de technologie à Paris.
Un MIT à la française ?
En 2006, le Parlement vote la « loi de programme pour la recherche », à la fois loi de programmation et loi d’orientation, créant notamment les Pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES).
Parmi les vingt-sept pôles, Paris- Tech trouve, dès la première vague en 2007, la reconnaissance, à la fois de ses réalisations et de son caractère structurant de l’enseignement supérieur français.
Une entité non localisée et sans université
Pendant quatre ans, les dix écoles de ParisTech (ENSAE ParisTech et l’X avaient rejoint les fondatrices en 2007), puis les douze (avec l’arrivée en 2009 d’HEC Paris et d’IOGS), multiplient les chantiers visant à construire le « futur MIT à la française » : chantiers opérationnels, avec de nombreux projets en matière de formation initiale et continue, de recherche, d’innovation, de relations internationales, de communication, de relations avec les entreprises ; chantiers institutionnels, avec des travaux au niveau des directeurs pour imaginer les transferts de compétences et le meilleur statut pour un ensemble plus intégré.
Des initiatives concrètes
Si, au plan institutionnel, les avancées se sont révélées laborieuses, le bilan des initiatives concrètes a été très important, grâce à une intense activité collective, où toutes les écoles, sans exception, ont joué le jeu de la coopération.
Près de 300 étudiants étrangers sont ainsi recrutés chaque année dans les écoles. L’Institut sino-européen sur les énergies propres et renouvelables (ICARE), en coopération avec l’université HUST en Chine, a été créé et est soutenu financièrement par l’Union européenne.
Des programmes coopératifs en enseignement et recherche sont menés avec de grandes entreprises françaises pour les aider à relever leurs principaux défis industriels.
Avec des partenaires universitaires, ParisTech a créé à la rentrée 2013 l’Institut Villebon Georges Charpak, labellisé « formation innovante » au titre des investissements d’avenir et soutenu financièrement dans ce cadre.
Inauguration ParisTech-Shanghai Jiao Tong par le Président François Hollande. © PARISTECH, JACQUES BRINGUEZ
Une école franco-chinoise à Shanghai
Pour dépasser le cadre d’accords de mobilités étudiantes et de doubles diplômes entre la France et la Chine, ParisTech avait, dès 2005, imaginé le projet d’une école franco-chinoise d’ingénieurs à Shanghai, en partenariat avec les trois principales universités de la capitale économique du pays (Fudan, Tongji et Jiao Tong).
Ce projet s’est révélé trop complexe en raison du nombre de protagonistes, mais les relations de confiance liées avec Shanghai Jiao Tong University (SJTU, l’université du fameux classement de Shanghai ), ont conduit dans un délai record à la création, sur le modèle français, d’une école franco-chinoise d’ingénieurs dans les domaines de l’énergie, de la mécanique-matériaux et des technologies de l’information.
ParisTech (l’ENSTA ParisTech étant chef de file, avec l’École polytechnique, Mines ParisTech et Télécom ParisTech) a mené à bien ce projet et l’École a ouvert ses portes avec 62 élèves chinois à la rentrée 2012. Elle a été inaugurée par le Président Hollande le 26 avril 2013 et vient de faire sa deuxième rentrée scolaire avec 90 étudiants. Elle offre un cursus en six ans.
Deux obstacles majeurs
L’État avait souhaité, dès 2006, engager des réformes visant à mettre fin au morcellement de l’enseignement supérieur et de la recherche français. ParisTech s’inscrivait dans cette perspective, même si, en ne comprenant que des grandes écoles, sa forme était fort originale.
Cinquante Chinois
L’opération la plus spectaculaire a été la mise en place du programme « 50 étudiants chinois », recrutement coordonné d’élèves ingénieurs au sein des meilleures universités chinoises.
Ce programme a diplômé plus de 600 ingénieurs depuis l’origine. Fin 2012, 55 % travaillaient soit dans une entreprise en France (pour les deux tiers), soit dans une entreprise française implantée en Chine (pour un tiers).
Ces résultats confirment l’impact économique de ce programme, conçu pour le développement international des entreprises françaises.
Le « plan campus », puis le lancement du « programme pour les investissements d’avenir » permirent à l’État de mettre en œuvre sa politique en matière d’enseignement supérieur et de recherche.
Parmi les opérations lancées, deux vont directement concerner ParisTech : l’appel d’offres « initiatives d’excellence », ou IDEX, visant à doter de moyens financiers complémentaires une dizaine de regroupements d’établissements académiques pouvant prétendre être visibles mondialement ; l’affectation d’un milliard d’euros à « l’opération Paris-Saclay », pour contribuer au bouclage financier d’une opération, visant à faire de ce campus cluster l’un des dix premiers mondiaux.
ParisTech, tenté d’être candidat à l’appel d’offres IDEX, en a été dissuadé, au double motif qu’il n’était pas localisé sur un seul campus, et qu’il ne comprenait aucune université en son sein.
La fin des ambitions en tant qu’université technologique
En deux vagues, l’appel à projets IDEX consacra les projets présentés par PSL (Paris Sciences et Lettres), qui concernaient deux, puis trois écoles de ParisTech implantées intra-muros, puis par Paris-Saclay, qui concernaient sept écoles.
Un collectif de très grandes écoles d’ingénieurs
Ces succès avaient un revers : ils marquaient implicitement la fin des ambitions de ParisTech en termes de visibilité dans les grands classements mondiaux.
En février 2012, à l’annonce du succès de l’IDEX Paris-Saclay, Paris- Tech décide donc d’engager un repositionnement stratégique, sur un espace d’action non concurrent, mais complémentaire des IDEX et autres PRES franciliens. Ce repositionnement stratégique s’est effectué sur l’année scolaire 2012–2013, durant mon intérim à la présidence de ParisTech, et s’est conclu symboliquement, en septembre dernier, par le recrutement d’un nouveau président sur des bases clarifiées et avec une voilure réduite par rapport aux moyens et ambitions de la période précédente.
Un repositionnement
Tournoi sportif ParisTech 2013. © PARISTECH, JACQUES BRINGUEZ
Sur l’année écoulée, plusieurs concertations, internes à ParisTech, mais également externes, ministérielles et territoriales, ont permis d’aboutir à l’expression d’un nouveau projet clair pour ParisTech pour les cinq ans à venir, en tant que « collectif de très grandes écoles d’ingénieurs et de management français en île-de-France au service du développement économique du pays ».
Dans ce projet, son statut juridique devra évoluer avant cinq ans, conformément à la nouvelle loi, mais ParisTech continuera à investir dans les domaines qui font sa force et sa valeur ajoutée : la promotion de la formation grande école à la française en France (pour plus de diversité) et à l’étranger (en soutien à l’internationalisation des entreprises) ; le développement de programmes interdisciplinaires au service des besoins des entreprises françaises, en réponse à de grands enjeux industriels et sociétaux ; le développement de nouvelles pédagogies et de nouveaux enseignements.
L’absence d’université
L’obligation pour ParisTech de renoncer à l’ambition d’être le MIT à la française a bien sûr été la conséquence des politiques publiques, qui ont tranché, difficilement et par touches successives, contre la construction d’un institut de sciences, technologies et management. C’était évidemment leur droit en tant « qu’actionnaire majoritaire » de ces écoles, toutes publiques et, sauf rare exception, largement financées par l’impôt.
L’absence d’université au sein de ParisTech et son éclatement francilien ont été deux bonnes raisons pour nous faire renoncer à notre ambition. Le soutien industriel, réel, mais modeste n’a pas permis de proposer un modèle alternatif.
Tournoi sportif ParisTech 2013. © PARISTECH, JACQUES BRINGUEZ
Travailler à douze
Mais notre échec relatif relève également de causes internes à notre collectif de douze très grandes écoles. Multiséculaires pour un grand nombre d’entre elles, ces très grandes écoles n’ont pas su accepter de perdre une parcelle d’autonomie ou de visibilité afin d’aller vers une intégration, même limitée, seule de nature à permettre à l’ensemble d’être reconnu internationalement comme une université.
Seules les écoles moins anciennes et moins prestigieuses, moins grandes en somme, s’étaient rapidement convaincues que Paris- Tech pouvait leur permettre d’accéder à une visibilité mondiale, qu’isolées, elles n’obtiendront jamais.
Enfin, le fait de devoir travailler à douze a singulièrement compliqué le management de cette transformation.
Fédérer l’ingénierie en Île-de-France ?
ParisTech a vocation à coopérer avec les futurs collèges d’ingénierie des communautés d’universités et d’établissements d’île-de-France. Pour relever certains des plus grands défis économiques et sociaux du pays, les douze écoles de ParisTech peuvent unir leurs efforts, chacune apportant le meilleur de son expérience.
Pourquoi ParisTech ne jouerait-il pas le rôle fédérateur entre toutes les écoles dont l’ingénierie constitue le cœur de métier ? Sur le terrain de l’innovation et du soutien à la création d’entreprise, ParisTech dispose d’une compétence exceptionnelle.
Tournoi sportif ParisTech 2013. Le nouveau président de ParisTech, Jean-Philippe VANOT © PARISTECH, JACQUES BRINGUEZ
Les rites et les mythes
Ancien président de ParisTech, et après six années d’un travail acharné pour construire « ParisTech-MIT », puis pour sauver ce qui devait l’être dans l’intérêt supérieur du pays, je me suis senti autorisé à livrer ma vision de ce que pourra être ParisTech dans les années à venir.
En tant que directeur de Télécom ParisTech, futur Collège de l’innovation par le numérique de Paris- Saclay, je crois à la vertu fondamentale de ce rapprochement entre grandes écoles pour des raisons d’efficacité collective et de puissance d’action à l’étranger. De plus, le numérique étant universel, je perçois avec acuité les bénéfices à tirer du rapprochement d’écoles souhaitant développer travaux de recherches et formations interdisciplinaires.
Construire une identité collective, reconnue comme telle à l’extérieur
C’est mû par cette conviction que j’ai accepté d’être le président intérimaire de ParisTech pendant une période difficile de son existence.
Je tiens enfin à rendre hommage à Jacques Lévy, décédé il y a un peu plus d’un an. N’écrivait-il pas, de façon prophétique :
Il est impressionnant de constater à quel point des établissements comme les écoles d’ingénieurs si proches à l’origine, puisant leurs élèves dans un « vivier » très homogène, ont pu se construire, au cours de l’histoire, autour de « rites » et même de « mythes » aussi différents d’une institution à l’autre : ce n’est pas en quelques années que ces différences pourront s’atténuer, si tant est que cela soit souhaitable.
Mais il devrait être possible, avec le temps, de construire une identité collective, reconnue comme telle à l’extérieur, en particulier à l’étranger, et source d’une efficacité accrue.
Cela reste l’ambition de ParisTech.
2 Commentaires
Ajouter un commentaire
comment dit-on en francais ?
bullshit ?
portnawak ?
Jacques Levy
Jacques Levy, l’initiateur de ParisTech, je ne le savais pas.
Je voudrais moi aussi lui rendre hommage ici en racontant notre dernière rencontre, sur le trottoir devant l’Ecole des Mines, en 2009 ou 2010, je ne sais plus. Il sortait d’une opération lourde consécutive à la maladie qui devait hélas l’emporter peu de temps après et était visiblement heureux de re-vivre. Presque hilare, il me demandait à brûle-pourpoint si je connaissais le syndrome français. Non, bien sûr, je ne le connaissais pas. Alors il m’expliquait en quoi cela consistait.
En gros : « Quels que soient le sujet et le lieu d’un colloque, il y a toujours, à un moment donné, un Français qui se lève, prend la parole, fait un discours éblouissant et s’engage sur des résultats si on lui donne le feu vert pour mettre en oeuvre ce qu’il propose de faire.
Se lève alors un autre Français pour dire, de manière aussi éblouissante, que ce que l’on vient d’entendre n’a aucun sens et qui propose tout autre chose si on lui donne le feu vert, à lui ».
La morale de l’histoire selon Jacques Levy ? C’est que, « que le feu vert ait été donné au premier ou au second Français, six mois plus tard, il ne s’est toujours rien passé car aucun des deux Français ne s’est encore manifesté » !
Hilarité et humour probablement liés à une joie de vivre retrouvée, pas pour bien longtemps, hélas, puisque Jacques Levy devait être emporté par la maladie en mars 2012