Le Bêta
Le Bêta est une activité mystérieuse pour laquelle nous avons consulté un ami de l’X, ami aussi de Rouletabille dont il aime le sens de l’observation et le goût du raisonnement.
« Qu’est-ce que le bêta ? »
Pour vous présenter mes conclusion, il va falloir, chers amis, que je présente à votre esprit juridique tous les « Considérant » et tous les « Attendu » qui les ont guidées.
C’est ainsi que nous allons nous promener en ces lieux où les Anciens avaient coutume de jouer les monte-en-l’air de la liberté.
Dans la brume du temps et les nuage des souvenirs. vous reconnaissez les lieux et de deux cents ans votre âme rajeunit. D’ailleurs reportez-vous au Krobar1 et revivez l’aventure …
Écoutez l’Ancien qui expliqua, j’en ai la preuve. au Conscouère2 admiratif, que le Bêta est ce procédé utilisé pour sortir ou pour rentrer, par celui qui redoute par dessus tout de déranger les officiers pour la signature d’un vulgaire L.P. (Laissez-Passer) et veut éviter ainsi d’odieuses paperasseries.
On m’a dit avoir vu ainsi dans la nuit, sous la lune vague, un Carva escalader le mur de la Honte, face Nord, avec un pauvre taupin qui voulait reposer dans ce Panthéon moderne, et le guider au matin. en sens inverse. à travers les fusains du square Langevin.
On a cru aussi voir, sur la petite place Descartes, un fier individu, tangente au côté, bicorne sur la tête, dans un mouvement sombre de sa cape envelopper le doux chamô en robe de bal auquel il faisait franchir les hallebardes de la grille.
Il parait que certains soirs, enfin, un mur s’élevait lentement, sourdement construit par la Mili, et puis était l’objet de brillantes attaques, elles aussi vespérales. On a même pu dire que certaines clés avaient le pouvoir magique d’ouvrir les portes de l’aventure et de la nuit à des ombres astucieuses. Tout cela n’est-il pas incroyable ?
Ni vous ni moi, certainement, n’accordons le moindre crédit à ces inventions. Je ne vois autour de moi qu’innocence. Qui pourrait-on accuser ?
Dans la tragédie grecque. la foule. qui participait déjà, avait coutume de reporter sa haine sur un bouc – devenu émissaire – aussi , ai-je eu l’intention, dans ma colère, d’interroger cette tête antique qui se cache dans le mur de la terrasse des Bernardins. Elle m’a assuré n’être en rien complice de fugues nocturnes dont elle n’eut qu’à souffrir. tant le poids d’un carva-sauteur, – fût-il en espadrilles d’escrime – est peu propre à favoriser les rêves les plus doux.
Le bélier
D’ailleurs, par une habile immobilité des cornes, par l’élévation de ses pensées et la hauteur de son front, cette superbe tête ne pouvait, fût-ce à regret, simplifier ces nocturnes escapades.
J’appris alors que, non loin de là, de louches silhouettes se livraient à d’étonnantes activités. Le Styx. soupirail borgne amputé de sa grille, était là, dormant dans les profondeurs de l’École, son œil unique fixé sur les ombrages du Square Langevin. Je vis bien une corde suspecte qui pouvait permettre une évasion en douceur. Mais si le lieu avait bien le nom qu’on lui prêtait. ses sept cercles devaient soit retenir les noires silhouettes. soit les rendre invincibles, et ma recherche perdait son objet ou son efficacité.
J’allais de déception en déception. Je guettai avec le Bazoff de Ser3. des nuits durant, les ombres franchissant les grilles vengeresses. Rien. Nos opinions étaient identiques : tout se passait bien, c’est-à-dire que rien ne se passait, ni personne d’ailleurs. Et ne dites pas qu’il n’est de pire sourd que celui qui ne veut entendre : il est trop évident que ces bruits sourds que nous entend ions étaient dus à quelques oiseaux maladroits, dérangés par la nocturne agitation du quartier.
Quant à ce lampadaire que l’on trouve un peu plus haut dans la rue Descartes, les services du Gaz et de l’Electricité m’ont assuré. après consultation de leurs archives et pour les périodes de leurs concessions respectives du prestigieux service de l’éclairage public, que » on pouvait être certain de son parfait fonctionnement : Les coupables éventuels n’ayant aucun intérêt, sauf cas de mégalomanie, désir de provocation ou goût du risque inconsidéré, à une publicité par trop inutile, cette solution restait sans intérêt.
Quant à ce fameux mur de la Honte, je vous prends à témoin, vous qui n’êtes pourtant pas détective professionnel. comment expliquer étant donnée la constante fraîcheur de son ciment, prouvant son excellente fabrication et son ingénieuse conception, qu’il ait pu être l’objet d’aucun débocardage4, d’aucun outrage diraient certains ?
C’est là où le métier, la culture et la perspicacité interviennent : si fuites il y avait, elles ne pouvaient avoir lieu, comme le reconnaîtrait mon ami Rouletabille, que par en dessous ou par dessus » puisque le niveau vulgaire était impénétrable.
J’ai pu ainsi découvrir enfin qu’une simple carte des égouts de la ville de Paris permet à tout Carva d’aller voir Giselle à l’Opéra, sans avoir à rencontrer la gent humaine, et qu’il suffit d’une corde de 48 mètres pour s’évader des lieux, par la Tour Umb.
Cette deuxième possibilité ne peut cependant s’exercer qu”« en rappel », ce qui indique bien son caractère aléatoire et incertain, même en grand uniforme, un soir de bal de l’X.
Un Polytechnicien choisit la liberté.
Pourtant la preuve était alors bien faite que ceux que d’aucuns appellent « nos chères têtes blondes » et qu’en l’absence de statistiques fiables et pour respecter la continuité du propos je nommerai les Carvas, exerçaient périodiquement leur bravoure. Comment l’expliquer sinon par un penchant naturel, par soif d’aventure ? J’ai, en effet, pu m’assurer qu’il existait un certain nombre de clés, strictement prohibées, permettant des évasions particulièrement tranquilles et que, de jour, il suffisait tout simplement, lorsque les sorties n’étaient pas autorisées, de courir plus vite que le basoff de service au P 5.
Le bêta était donc bien l’un des plus sains exercices de bravoure qui soit. L’un de ceux qu’il convient de faire régulièrement, même si l’on n’a strictement aucune raison de sortir.
Consultation adressée à
Louis (23) et Philippe (69) Naigeon
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1. C’est-à-dire au croquis
2. Par opposition ô Ancien.
3. sous-officier de service.
4. La mili bocarde. c’est-à-dire reconstruit, la khomiss et les élèves débocardent : d’où l’éternelle jeunesse de ce mur, Et cette punition : 15 JAR « a participé à la réouverture d’une issue clandestine »
Les « PASSE », le « petit oméga ».
Abréviation bien connue de passe-partout. Lévy et Pinet notent en 1894 que les caissiers vendent les passe au prix de trois francs. En 1974, le prix était cent fois plus élevé. Entre temps, en 1923 par exemple, c’était le « pitaine clé » un missaire choisi pour son adresse manuelle, en ce qui concerne les travaux à l’établi, qui fournissait moyennant une petite somme, tous les élèves qui désiraient un « petit oméga ». C’était alors le nom du passe.
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Les β varient sans cesse. En effet, dès qu’ils ont été décelés, pitaines et basoffs y tendent de dangereuses embuscades. L’ingéniosité des élèves s’emploie à les renouveler.
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Lorsque la sortie de l’École était strictement réglementée, l’Astra utilisait, pour lutter contre le β, la cruelle méthode du contre-appel nocturne, les basoffs armés d’une lampe de poche, passant dans les caserts pour vérifier si tous les élèves étaient bien dans leur lit. Ceux-ci, pour se défendre contre cette inquisition, utilisaient les méthodes du « cocon gigonnaire » et du « cocon synthétique ».
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