La Kès et ses campagnes
L’histoire de la Kès se confond, à très peu de chose près, avec celle de l’X où, dès les premiers jours de son existence un sentiment fraternel d’union s’est manifesté entre les élèves.
On peut faire remonter à l’année 1800 environ1 l’origine de la Caisse et des Caissiers : à cette époque où les guerres napoléonniennes absorbaient une part excessive des ressources de la Nation, le Trésor était exsangue et les Administrations souvent privées des fonds qui leur étaient attribués. C’est ainsi que l’École endettée de 40 000 F., fit appel aux membres de son personnel qui acceptèrent l’amputation d’une partie de leur traitement : cet exemple ne semble pas s’être perpétué dans la fonction publique. .
Parallèlement, plusieurs élèves firent le sacrifice de leur solde en faveur de leurs camarades nécessiteux : en effet, le traitement des premiers élèves ne dépassait pas 1 200 livres payées en assignats2, somme qui couvrait très difficilement le logement, la nourriture et le vêtement.
Lorsque Bonaparte eut militarisé et caserné tout ce joli monde (décret du 27 Messidor An XI1-16 Juillet 1804) il exigea le paiement d’une pension de 800 F., apparemment supérieure au traitement, ce qui montre bien que tout guerrier peut se doubler d’un homme d’affaires avisé ; de nombreux élèves, faute de bourses3, se virent en état de cessation de paiement et menacés d’avoir à quitter l’École.
C’est alors que deux élèves furent choisis dans chaque division pour recevoir les confidences des nécessiteux et chercher les moyens de leur venir en aide ; sans avoir de compte à rendre à personne, ils imposèrent tous leurs condisciples de la somme voulue, y compris les nécessiteux auxquels l’avance correspondante était faite secrètement, afin que les donateurs restent dans l’ignorance des donataires : personne n’a jamais rien su et c’est bien.
Sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, les choses s’aggravent plutôt : l’ordonnance du 4 Septembre 1816 éleva à 2 000 F. l’ensemble pension + trousseau ; le nombre de bourses fut ramené à 25 et, à partir de 1825, elles n’étaient plus accordées que pour un an.
Il fallut attendre le décret du 16 Novembre 1848 qui porta le nombre de bourses à 50 et surtout les lois du 26 Janvier, 3 Mai et 5 Juin 1850 pour qu’une décision vraiment démocratique soit prise : tous les jeunes gens qui feraient constater l’insuffisance de leur fortune par une délibération du Conseil municipal pouvaient désormais postuler pour l’obtention d’une bourse.
Le nombre des bourses n’étant désormais plus limité, l’activité des Caissiers commença à évoluer : certes, on continuait à secourir quelques éléves gênés, voire d’anciens polytechniciens4 tombés dans le dénuement mais très vite, dés 1860, la Kés absorba les activités du Bureau de bienfaisance5 créé dès l’origine par les élèves pour soulager les misères matérielles du quartier populeux et pauvre de la Montagne Ste Geneviève.
C’est vers cette année 1860 qu’il faut faire remonter l’organisation qui est restée en place pendant un bon siècle : simplement deux Caissiers : « la Grosse » et « la Petite » – celle-là se « couvrant6 », celle-ci se « boccardant6 » – élus chaque année, généralement en Février, pour et par la promotion des conscrits.
Il faudra attendre 1968, millésime qui s’est illustré par ailleurs, pour voir le nombre de Caissiers porté à 4 voire 6 ou 7 : nul doute que celle inflation ne corresponde aux activités multiples que la Kés a développées au fil des promotions.
Dès 1848, la Caisse assura l’organisation et les frais des fêtes traditionnelles – bahutages, séance des Cotes, séance des Ombres, Point Gamma7, Concert du Géné – et là encore, pendant plus d’un siècle, ces festivités se succédérent, la Kés veillant jalousement au maintien des traditions, parfois à leur évolution, à l’orthodoxie du bahutage – viril mais sans méchanceté – et d’une façon générale au respect du Code X.
Ces manifestations se succédèrent en se sophistiquant, chaque promotion ayant à cœur de réaliser dans le grandiose ou le sensationnel mieux que ses Anciens. C’est ainsi qu’au point Gamma les sommes engagées étant devenues un peu excessives et les recettes escomptées ayant fait défaut, l’équilibre budgétaire s’est trouvé parfois compromis tandis que certaines promotions réalisaient, au contraire, des prouesses fimancières.
Avant la guerre 1914–1918,la mise sur orbite des jeunes gens qui intégraient l’X ne posait guère de problèmes : en grande majorité ils se dirigeaient vers l’Armée, à l’exception de quelques élus apprentis mandarins et, dans les deux cas, leur carrière apparaissait toute tracée, de l’École d’Application jusqu’à la retraite : le rôle des Caissiers se limitait donc aux relations avec l’Administration de l’École, qu’il s’agisse de la Direction des Études ou de l’Administration militaire proprement dite : même avec le privilège savoureux de pouvoir court-circuiter la voie hiérarchique, ce n’était pas toujours une sinécure de trouver une solution tempérée entre des camarades totalement décontractés et un Général outré ou un Directeur des Études viscéralement peu enclin à l’indulgence.
Dans la période dite d’entre les deux guerres un certain modernisme se dessine : la Kés provoque des offres de stages, durant les vacances, stages plus ou moins payés, à la S.N.C.F., à la C.G.T.8 dans l’industrie ou à l’étranger ; par exemple, en 1938, trois élèves firent un stage d’études aux U.S.A., en liaison avec l’École Militaire de West-Point : cela paraissait assez fabuleux, tout comme la Panhard panoramique, volant au milieu du siège, 3 places à l’avant, que possédait un Caissier de ces années là : c’était d’ailleurs la seule voiture de la promo ! il est vrai qu’à cette époque les élèves ne touchaient de l’État qu’une ration d’abominables cigarettes de troupe et le « prêt du soldat », soit 0,25 F/jour qui était abandonné à la Kés depuis 1925 ; en 1936, le prêt fut porté à 0,50 F. et les ressources se trouvèrent doublées, non sans protestations véhémentes, la Kés étant accusée de disposer de moyens excessifs : le vote qui eut lieu à cette occasion fut très serré et certains bulletins durent être interprétés pour fournir une majorité suffisante.
La Kés 1934 avait habilement placé ses économies – quelque cent mille francs en dollars or – mais ce petit magot, qui s’est transmis avec respect pendant plusieurs années, a disparu dans la tourmente de la guerre : ce qui montre bien. s’il en était besoin. le côté aléatoire et futile des placements en métal jaune.
On conçoit que les activités multiples de la Kès entraînaient une relative liberté pour les Caissiers : ils pouvaient sortir sans autorisation dans Paris tous les jours, quitte à émarger à la sortie comme à l’entrée, disposaient d’un local séparé9 avec téléphone – le Binet Kès – et bénéficiaient d’une certaine indulgence, voire d’une indulgence certaine de la part de la majorité des examinateurs10 ou colleurs : leurs compositions écrites étaient souvent assurées par certains crotales et une légende exacte a rapporté le cas de ce Caissier qui avait eu une bien meilleure note que son Major : en effet, ce dernier avait d’abord remis sa propre copie puis, opérant pour la Kés, il avait trouvé une solution hautement originale au charme de laquelle il n’avait pu résister.
L’honorable souci de réduire les inégalités étant aussi passé par là, les choses ont (heureusement) pas mal changé aujourd’hui …
De tout temps, la sagacité des Caissiers a été également mise à contribution chaque fois qu’une affaire délicate, pécuniaire ou autre pouvait mettre en difficulté tel camarade. Cela était rare, mais se produisait parfois : la discrétion obligée en la matière se trouve facilitée par le fait que la Kès, aux qualités d’ordre pourtant légendaires, a réussi à toujours égarer ses archives : la guerre, l’exil à Lyon et le retour à Paris ont fait disparaître tout ce qui était conservé depuis 1870 ; le transfert à Palaiseau qui valait bien une guerre et a failli d’ailleurs en déclencher une, a fait le reste : pratiquement la page blanche de l’Histoire, avec son vertige, ne s’ouvre pour la Kés qu’en 1972.
L’esprit de corps propre aux Caissiers, au demeurant modeste, a commencé à se manifester dès avant 1900 ; comme l’a rapporté Muntz (1901) les Caissiers présents à Fontainebleau invitaient alors à déjeuner, une fois l’an, les Caissiers présents à l’École.
En 1900, pour fêter dignement le siècle, on festoya, avec tous les anciens Caissiers, sur les boulevards, chez Marguery, pour la somme de 12 F.: une tradition était née et chaque année un repas réunira désormais tous les Caissiers passés et présents qui, en 1903, sur la proposition du Général Chapel (1869) adoptèrent fort logiquement, pour leur lignée, le signe des Y.
Après la guerre 1939⁄45 apparaissent à ces repas les « délégués de promotion » qui, au fil de la vie, se sont trouvés suppléer avec beaucoup de dévouement et d’efficacité, certains Caissiers décédés ou simplement éloignés de Paris par leurs occupations ; mais le Caissier reste marqué, sa vie durant et,au fer rouge, par l’amitié de ses camarades : « tu es sacerdos in aelernum », en quelque sorte.
Distribution des secours aux pauvres du quartier
Depuis la dernière guerre, la Kés a encore évolué. La désaffection croissante, et aujourd’hui presque totale, du métier des Armes a ajouté encore aux activités des Caissiers qui animent, avec l’aide de leur bureau, un certain nombre d’activités des plus diverses, ce sont les Binets.
Par ailleurs, puisque la filière militaire n’a plus aucun succès, les Caissiers centralisent les demandes d’emploi de leurs camarades et préparent les « Pantoufle » de l’industrie privée qui échappent encore à cette Administration multiple et imaginative que l’univers entier nous envie, bien sûr, tant elle apparaît capable de se créer de toutes pièce des vocations nouvelles et inattendues. génératrices, elles aussi, à perte de vue, de services, règlements et contrôles.
Mais ce sont là les Kès de l’après 1972, année où le transfert à Palaiseau a été décidé : un assez profond changement s’est alors opéré dans les esprits et, plutôt que de risquer d’en mal exprimer l’essence, il paraît préférable de passer la plume aux intéressés qui sauront, sans nul doute, mieux dire comment ils ont évolué.
Avec le transfert à Palaiseau, il s’est produit une coupure totale entre la Promotion 74 et les précédentes d’une part, entre la 75 et les suivantes de l’autre.
Sitôt élus, généralement en février, « la Grosse » et « la Petite » devenaient inséparables…
Cependant, depuis la promotion 68, une évolution certaine s’était déjà manifestée avec l’extension considérable du domaine d’activité de la Kès, et parallèlement, une augmentation conséquente du budget. Trois dates traduisent ces faits : d’une part dès la promotion 68, on a vu le nombre des caissiers augmenter jusqu’à 5 ou 8 et, d’autre part. c’est en 1972. avec la création d’une revue incluant de larges pages publicitaires que la Kès a vu ses moyen financiers s’asseoir sur des bases « solides ». Enfin, l’École déménageant à Palaiseau en 1976, la Kès a évidemment suivi et a vu, dès son arrivée, son territoire s’agrandir géographiquement, tant et si bien qu’elle règne aujourd” hui sur un bâtiment d’environ 800 m2 (le bâtiment des activités libres) composé du bar des élèves, de la Cave-Kès, des différentes salles de binets mais surtout de la Kès proprement dite où se prennent toutes les grandes décisions, où débutent tous les complots, où s’élaborent toutes les stratégies, bref, où se fait la vie des promotions.
Étant donné que la gestion de cet ensemble est exclusivement laissée à la discrétion de la Kès, on comprend aisément que les besoins financiers se soient considérablement accrus : les recettes assurant l’équilibre sont essentiellement issues de la publicité.
Les affiches VTP, BTC el DTF qui parsèment ce texte ont illustré la campagne de Kès 1919 à l’issue de laquelle furent élus Vieillard et Clogenson.
Disposant donc d’un budget relativement confortable – environ 300 000 F. par an – la Kès a développé peu à peu ses activités dans des domaines très divers ; du windsurf à la fanfare, du go au ciné-club, du Bureau Informations Carrières au Point Gamma, elle « contrôle » maintenant un petit empire.
En fait, les tâches de la Kès actuelle se répartissent en trois groupes :
- Relations avec l’Administration Militaire (les milis !).
- Animation culturelle de l’École.
- Gestion des différents binets.
C’est l’inflation de ces différents domaines qui explique ans doute le fait que le nombre des kessiers soit aujourd’hui de 6 ou 8. Chacun sait que notre plateau est froid et venteux : il faut donc développer des prodiges d’imagination et de créativité pour réchauffer les X et les convaincre de ne pas aller se vautrer dans les lieux brûlants ou simplement douillets de la Capitale.
Bourdel et Gradis. à l’évidence,
ne disposaient pas de 800 m2
Depuis la Promotion 75, la structure de la Kès est restée stable avec deux Kessiers au sens traditionnel du terme, chargés des relations avec l’Administration et les militaires, entourés et aidés par deux trésoriers et des responsables d’animation, pour la gestion du bâtiment des activités libres et le contrôle des différents binets.
Malheureusement la structure et le rôle de la Kès au sein de l’École n’ont pas été les seuls à évoluer. La position de l’Administration vis-à-vis des Kessiers n’est plus ce qu’elle était. Nous sommes maintenant loin, en ce qui concerne les compositions, de la situation idyllique décrite par Domain dans les promotions plus anciennes ou même dans les promotions récentes où les kessiers étaient interrogés à l’oral sur le seul chapitre qui leur plaisait avec l’assurance d’avoir au moins 12.
Depuis deux ans il n’y a plus d’examens oraux d’une part, et d’autre part, les différents jurys (de passage et de sortie) font preuve, vis-à-vis des kessiers, de moins de mansuétude qu’autrefois.
Dans le même temps on a vu devenir plus prenant le travail des kessiers et plus ingrat leur rôle parce que moins reconnu par l’Administration militaire et peut-être plus méconnu par les élèves. Si l’on permet une digression , ce dernier point tient sans doute au fait que l’X à Palaiseau a une structure architecturale telle que les problèmes d’information et de communication prennent de plus en plus d’ampleur ; à Palaiseau, les distances sont plus grandes et la Kès n’est plus le centre géographique du périmètre de vie des élèves.
Ainsi , il arrive qu’un kessier mette plus de 24 h. pour trouver un de ses cocons, pour informer la totalité de la promotion. Par obligation, la Kès est devenue moins spontanée et plus administrative, moins enthousiaste mais plus laborieuse.
C’est peut-être une évolution dommageable, mais elle n’est pas inéluctable et il appartiendra à nos successeurs de réparer les erreurs possibles que les promotions suivantes voudront bien, excuser, en tenant compte du fait qu’il échoyait avant tout aux 75 et 76 un travail ardu et fondamental : recréer une structure et une âme à Palaiseau.
Par ailleurs, la vie n’y est pas si triste mais au contraire fort animée, en particulier au moment de l’élection de la Kès, le temps d’une campagne faite en bonne et due forme, durant laquelle chacun s’ingénie à mettre en valeur les trésors que recèle la nouvelle École !
A n’en plus douter. c’est un point fort du rude hiver de Palaiseau : la campagne dure une semaine en Décembre ou Janvier, et les principaux spectacles ont lieu pendant les amphis, car c’est la seule activité regroupant une majorité (?) des élèves. A cette occasion, les professeurs voient d’ailleurs leur cote de popularité remonter d’un seul coup : les amphis sont pleins au grand dam de ces mêmes professeurs qui n’ont pas toujours la même façon que les élèves de concevoir un amphi intéressant.
Nul n’est parfait, pas même Monsieur Schwartz !
En ne citant pas les gags dont l’ésotérisme empêcherait leur compré· hension par toute personne étrangère à la 75 et à la 76, on peut rappeller le numéro de French Cancan de l’équipe de rugby, une course cycliste sur l’estrade d’un amphi, l’apparition d’animaux divers, tels moutons ou poules, etc ..
Les autres faits marquants des précédentes campagnes se traduisent surtout par des effets picturaux (sur le toit de la piscine, ou sur les murs des couloirs) que les militaires ont le bon goût de laisser pour la postérité lorsqu’ils ne sont pas trop blessants à leur endroit.
Enfin, pour clore ce chapitre humoristique citons quelques sommets de ces campagnes : l’enlèvement du Magnan dans la DS du Préfet, le transfert du bureau du Colonel commandant la 75 sur l’île du lac, la transformation du bureau de division en hôtel de passe, etc ..
On peut se demander toutefois si, par moments, l’aspect trop sérieux de la Kès n’impressionne pas défavorablement quelques anciens ? Quelle erreur, on sait encore s’amuser à Palaiseau quand on a 20 ans sous le bicorne et nous sommes bien persuadés que l’École cache encore des richesses insoupçonnées : à coup sûr les promotions suivantes sauront les découvrir, les mettre en valeur et peu à peu recréer la Tradition.
Voilà donc la Kès, son histoire, son passé, son présent et, dans une certaine mesure, son avenir. Mais cet exposé serait sans doute assez incomplet si l’on n’ouvrait pas son armoire aux souvenirs sur le chapitre des campagnes de Kès, sur les hauts faits, vrais ou légendaires, qui s’y rapportent.
De tout temps une activité intense a régné à l’École, chaque année, à l’époque de l’élection ; les candidats11 font connaître leur programme, des comités de soutien s’organisent – ce sont les » électrons » – « topos » et affiches circulent et pavoisent les murs illustrés de caricatures, dessins comiques ou satiriques dont on trouvera quelques exemplaires tout au long de cet article.
Avant 1950, les élèves, sans solde, disposaient de peu de moyens et, assez paradoxalement, faisaient assez peu appel à l’extérieur ; les maigres fonds (secrets) de la campagne de Kès provenaient presque uniquement de la vente aux enchères des affiches et des recettes de quelques bars clandestins mais l’ingéniosité suppléait le manque d’argent.
Au surplus, la vie d’internat, un régime militaire qui apparaîtrait aujourd’hui bien sévère, tout contribuait à rendre assez spectaculaires ces manifestations, où l’insolite le disputait à l’exceptionnel et que la simple disposition des lieux mettait en valeur : c’était, en effet, un véritable théâtre antique que cette cour encadrée par le pavillon Joffre puis le pavillon Foch : en un instant tous les spectateurs pouvaient être aux fenêtres, avec comme toile de fond les vieux immeubles de la rue Descartes, fréquemment utilisés comme supports publicitaires par les tandems.
L’histoire et parfois la légende nous ont rapporté quelques-uns des hauts faits qui illustreront les campagnes de Kès.
En nous limitant à la période qui suivit la première guerre mondiale, signalons la visite des Élèves de l’École Militaire de West-Point, organisée par les Kessiers, le dîner offert au Maréchal Foch, le 9 juin 1920, d’innombrables raids nocturnes par les égouts à Normale Supérieure – où un Professeur retrouva sa voiture hissée au premier étage, la création du « Carva-troll » par Fillet (1914) et Clogenson (1917), avec l’évocation du célèbre directeur des Études Carvallo (1877) et le rythme du fox-troll qui commençait ses ravages, en ce début des années folles.
En 1925. André Citroën (1892) avait eu l’idée d’illuminer la Tour Eiffel avec son double chevron et son nom : la légende veut qu’au cours d’une campagne de Kès un tandem, astucieux et adéquat, ait fait le nécessaire pour que seuls apparaissent sur la Tour, le T et les initiales convenables mais, parait-il, le brouillard aidant, les témoins de cette merveilleuse pub ont été, en fin de compte, assez rares.
La promotion 1927 vit deux campagnes de Kès, Dreux et Van Den Bosche ayant cru devoir démissionner, fait unique semble-t-il, dans les annales de la Kès ; la raison en fut un Point Gamma particulièrement somptueux mais sévèrement déficitaire, où les extras embauchés pour le restaurant disparurent avec la caisse, au sens littéral du terme.
Vidal et surtout Cibié, élus en juin 1928, projetèrent en quelque sorte un éclairage nouveau sur les finances de la Kès ; celles·ci se trouvèrent rapidement renflouées par Damoy (1900), Gérant de la Maison d’alimentation du même nom. qui accepta de réduire sa créance, par une cotisation exceptionnelle de 25 F. arrachée à chaque élève et enfin, grâce à l’intervention du Maréchal Foch, par la générosité de Louis Loucheur qui venait d’être nommé Ministre de la Marine et de quelques camarades de sa promotion 1890.
En 1935, le Général Hachette s’opposa à l’entrée d’artistes à l’X pendant la campagne de Kès ; cet interdit qui mettait à mal une tradition, déjà solidement ancrée, déclenchera une grève de la faim couronnée de succès.
La promotion 1936 s’illustra par l’introduction d’une centaine de moutons qui, après avoir passé la nuit dans les caves, furent montés un par un dans les casernements. pour le réveil ; et également demeuré célèbre en 1937, un rodéo hippique nocturne, dans les petites rues qui entourent l’École, avec les chevaux du Général, dont les écuries voisinaient l’entrée du Pavillon Boncourt. L’excellent Général Dumontier qui commandait alors l’École n’a appris cet événement, avec l’indignation qui s’impose, que 25 ans plus tard, à un anniversaire de promotion auquel il avait été invité.
Promo 1938 : le tandem R T R organise en train spécial un voyage en Côte d’Or : on visite longuement caves et Hospices puis une gerbe et déposée au monument de Gaspard Monge, dans sa ville natale de Beaune. devant un alignement approximatif d’épées ondulantes …
Cette même promotion se retrouvera, en Novembre 1940, à Villeurbanne. confrontée aux mille problèmes de l’exil ; en particulier la Kès organisera le rapatriement à Lyon du Drapeau de l’École – le Zurlin – qui avait échoué – Dieu seul sait pourquoi, c’est bien le cas de le dire – à l’Archevêché12 de Bordeaux : les charmants dessins de Soula (38) décrivent avec précision ce que furent les péripéties de cette opération délicate, à travers la zone occupée en janvier 1941 , et le retour glorieux des trois héros – Dumousseau, Ramadier et Saint-Girons qui, d’ailleurs, suivant une saine logique militaire. sitôt dissipés les premiers instants d’émotion, furent mis aux arrêts de rigueur par le Général Calvel.
Pendant la guerre, à Lyon, les campagnes de Kès furent évidemment attristées par les événements tragiques traversés par le pays mais l’humour demeura : on voit par exemple Main de Boissière, en tandem avec André Turcat, qui trouvera déjà là un avant goût de quelques déboires électoraux – mais il a connu d’autres étincelants succès ! – organiser une descente du Rhône en péniche jusqu’à Pont St. Esprit, essayer d’introduire à l’École le chameau du Zoo de la Tête d’Or et servir le petit déjeuner au lit à ses électeurs, avec un petit pain : incroyable tour de force en cette époque de vaches ultra maigres !
Campagne de Kès 1934
La paix revenue, les traditions renaissent. Très perturbées par la guerre, les promotions présentes en 1945 offrent l’échantillonnage le plus varié, avec des prisonniers de guerre 39⁄40, les promotions 42⁄43 dont certaines avaient déjà une année d’études, les promos issues des concours spéciaux, 44 et 45 ; faute de place, tout ce beau monde se partage entre la rue Descartes (division A et B) et la caserne Lourcine (Division C). Malgré ces difficultès, plusieurs campagnes de Kès sont jalonnées d’évènements mémorables :
- Au cours d’un amphi apparaît inopinément un bataillon d’une cinquantaine d’hôtesses américaines de la TWA qui dansent un french cancan endiablé sur l’immense bureau en quart de cercle qui se trouvait sur l’estrade ; dans le même ordre d’idées, ATA introduit un soir le corps de ballet des danseuses de Tabarin et, le lendemain, un petit train de marchandises.
- Un tandem organise à Lourcine un déjeuner somptueux, servi par des laquais en perruque, qui devait avoir lieu après le salut aux couleurs mais, juste avant cette cérémonie, la « division C » rassemblée au grand complet voit arriver une énorme voiture américaine, battant fanion du Commandement en Chef des Forces US en Europe et précédée de motards, toutes sirènes en action. En descendent, devant la promotion médusée, le Général Matthew Ridgway en personne et, en grande tenue d’X, 2 élèves et deux jeunes filles qui étaient les sœurs de l’un d’eux. Telle était la trouvaille du tandem rival OTT. On envoya les couleurs devant le chef d’escadron de service qui n’eut pas le temps de réagir, sinon plus tard en grand seigneur et on passa à table : la qualité du magnan se trouva, bien sûr, totalement éclipsée par la présence assez extraordinaire d’un Général commandant les forces américaines qui venaient de gagner la guerre et celle, plus insolite encore à l’époque, de deux jeunes filles en uniforme carva, c’est-à-dire en grand U
En dépit de ce savoureux folklore la Kès se débat après-guerre dans les difficultés matérielles les plus graves : elle n’a plus le sou et doit même vendre son piano pour payer les notes de téléphone en retard ! Il faut se procurer des ressources et, au cours d’un amphi mémorable, Arlet et Arbon essaient de convaincre leurs camarades d’abandonner à la Kès 2% de leur solde d’aspirant ; l’opposition est générale mais Arbon décrète que ceux qui sont debout seront réputés avoir voté « oui raquo;, et comme il est l’heure de déjeuner … la proposition finit par être adoptée à une majorité inattendue ! Quelque temps après, renflouée, la Kès parvient même à s’acheter aux surplus américains une Jeep qui deviendra célèbre dans tout Paris car, à cette époque, les voitures qui circulent sont rares.
La promo 1949, après la modernisation du pavillon Joffre, organise une inauguration solennelle sous la présidence du charmant, lunaire et inoffensif Ferdinand Lopp13, gloire du Quartier Latin, qui sera reçu en grande pompe sous une voûte d’acier ; les pancartes brandies proclament Lopp Paiera, ce qui est indiscutable depuis le Second Empire ; une manifestation Anti-Lop se déclenche avec grand tapage : fausses bagarres, faux blessés. civières et faux médecins, ambulances et 3 cars de vrais policiers, préalablement mis au parfum et faussement affaires, qui viennent ajouter à la confusion générale en séparant les combattants.
MERCATE
On éprouve plaisir à fredonner cet air de circonstance, vraisemblablement créé par Nougaro (38) où l’on retrouve à la fois la poésie légère de Charles Trenet, qui était en train de révolutionner la chanson française, et aussi le délire merveilleux de l’illustre Umbdenstock qui, pendant 17 ans, enseigna l’Architecture à l’École. un peu comme Salvator Dali eut pu le faire de la peinture.
Air « Je chante »
Mercate, les mouches prennent leur bain
De pattes dans un grand train
L’escalade en sautant et le passe à moitié
Jodotte les tous du haut de la Tour Umb
La botte, c’est pour les Boums
Fouette : crotaux, l’chemin de fer est là
Mercate et y’a de la joie.
Mercate, les cryptes sont sur les toits
Les Maths sont bien plus bas
Les basoffsi dorment d’un sommeil profond
Les mains sur leur mercas et les pieds au plafond
J’avance sur la tête jusqu’au Belvé
Je m’élance, je vais tomber
Mais pas du tout je peux rester en haut
Puisque quatre = zéro
Mercate, au moment des examgés
Mercate avant de coller :
La lune passe en colle chez Ura
Mais elle va s’éclipser, c’est elle qui le séchera
Arrête un moment de mercater
Et souhaite pour tes caissiers
De voir passer le tandem populaire
Le tandem R.T.W.R.
1941 Main de Boissière avait déjà un penchant
coupable pour le latin
La promo 1952 organise un défilé de vieilles voitures dans Paris conduites par des X, fait venir à l’École Marguerite Long avec son piano, les pompiers de Paris et leur grande échelle, Francis Blanche avec son rire de légende ; d’Elissagaray invite Miss Monde, ravissante Suédoise de passage à Paris, au bal du Cercle Militaire. fait ronéotyper un petit lexique franco-suédois pour ses électeurs, attention inutile en vérité car, en vrai corsaire basque qu’il est, c’est lui qui accapare la ravissante nordique toute la soirée, ce qui ne l’empêchera pas pour autant d’être élu.
En 1962, bal sur un bateau-mouche et, en 1963, les élèves de l’École Polytechnique Féminine viennent servir le petit déjeuner au lit, tradition qui ne semble pas avoir été reprise par Anne Chopinet et ses consœurs.
Enfin, en 1968, où 3 bureaux de 5 membres se présentent, la campagne de Kès est marquée par des rencontres de catch, du karting dans la cour, un réseau interne de télé, la descente en rappel de la Tour UMB et surtout la plus charmante des apparitions en la personne des pulpeuses pensionnaires du Crazy Horse : c’est là certainement que naît la légende selon laquelle Alain Bernardin serait un Antique distingué.
Finalement, que peut-on dire de cette institution ultra centenaire qu’est la Kès ?
Née d’un sentiment chaleureux de camaraderie et de solidarité, elle a maintenu une constante de charité, certes un peu bourgeoise, mais ne faut-il pas se garder de juger des choses et des gens en dehors du contexte de leur époque. Et de nos jours, après avoir veillé pendant un siècle et demi sur des traditions précises, amicales et vivantes, qui évoluent assez logiquement aujourd’hui, la Kès donne surtout maintenant aux élèves la possibilité de gérer eux-mêmes les activités qui leur ont chères.
Et c’est là sans nul doute quelque chose d’assez important : de manière peut-être indirecte et assez involontaire, mais néanmoins bien réelle, la Kès apporte donc à certains jeunes X, déjà fortement marqués par le côté théorique de leurs années de Taupe – et cela ne va s’arranger ni à Palaiseau ni à l’École d’Application – la possibilité du contact avec autrui et la simple confrontation à certains problèmes pratiques. Tout ceci mériterait de plus longs développements auxquels s’attacheront sans doute, un jour, d’éminents esprits : il est, en effet, visible que le jeune X. surtout s’il est, par filière, promis à un avenir prometteur, aurait intérêt à rencontrer, tôt et davantage, le monde du travail, la technologie, la vie tout court : l’intérêt porté depuis peu, dans certains milieux, au seul travail manuel ne comble évidemment pas cette lacune grave.
Point n’est besoin, par ailleurs, d’insister sur le penchant naturel à l’abstraction qui est nôtre : pour bien des Français. la pratique, le concret contrastent défavorablement avec l’abstrait au même titre que le vilain d’antan à côté de son seigneur. Et que dire de l’information commerciale, de l’acte commercial proprement dit, maillon du bout de la chaîne, considéré encore par presque tout le monde, et surtout par trop d’X, comme un épisode secondaire alors qu’il est le ressort premier, la noria chargée d’eau vive, le vrai moteur de l’économie moderne et l’arme absolue des grandes batailles qui s’y livrent : dans une certaine mesure la Kès apporte peut-être à ces préoccupations un embryon de réponse.
Mais ce qui serait le plus positif, en définitive. ce serait peut-être ce côté- farfelu, non cartésien, insolite, insolent. que la campagne de Kès apporte dans la vie des polytechniciens. Les souvenirs s’en bonifient peut-être au fil des années – tout comme le rang de sortie – mais, au fond, le jeune X s’est trouvé subitement en contact avec le comique, l’inattendu, l’irrationnel : il n’est pas impossible que cela l’aide à acquérir – ou à retrouver un jour, sait-on jamais ! – un certain sens de l’humour, même s’il monte haut. et à ressentir que les hommes auxquels il aura affaire tout au long de sa vie auront, certes, besoin de ses connaissances théoriques, de sa science, de son sérieux mais aussi – et ce n’est pas incompatible – de ses qualités d’homme. de a décontraction, parfois d’une apparente fantaisie, en fin de compte de sa gaieté.
Car, « la tristesse est le passage de l’homme d’une plus grande à une moins grande perfection &eaquo;.
Ainsi parlait Baruch de Spinoza et, pour en terminer, nous sommes heureux tous trois de le citer ici, tant la méditation de ses écrits continue d’orienter notre action en nous apportant, de surcroît, mille félicités intellectuelles.
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1. La promo 1932 a, certes, fêté le centenaire de la Kès mais elle était visiblement en retard car, évoquant devant la Chambre des Députés le souvenir de sa vie polytechnicienne, Destut de Tracy (1800) disait « quand nous nous présentions à la Caisse on nous remettait ce que l’on jugeait à propos… on donnait des allocations aux élèves qui en avaient besoin ».
2. Pour « monter » à Paris, les élèves recevaient le traitement de route alloué aux canonniers de 1ere classe, c’est-à-dire 15 sous en assignats ou 4 sous en numérairaire ; à leur arrivée ils touchaient 1 200 livres par an en assignats, (ce qui représentait à peu près 366 F. de l’époque. En 1798, le traitement fut fixé à 40F/Mois ; en 1799, considérés comme sergents d’Artillerie, les élèves ne reçurent que 0,98 F/Jour avec, toutefois, un supplément mensuel de 18 F. pour les élèves nécessiteux.
3. Quelques bourses, toutefois, étaient accordées à condition que l’élève nécessiteux soit classé dans les 30 premiers ; à signaler le geste de Monge, fondateur de l’École, qui abandonna son traitement en faveur des élèves pauvres. Le nombre de bourses sous l’Empire ne dépassa jamais 30, chiffre que les abandons de traitement laissés par les professeurs permirent de porter à 40 ; les conditions d’attribution étaient, d’ailleurs, souvent assez arbitraires.
4. Cette pratique donna naissance, en 1863, à la Société Amicale de Secours des Anciens Élèves de l’X qui fusionnera, en 1963, avec l’AX.
5. Le Bureau de Bienfaisance – qui comportait un Président et un Vice-Président élus par les Anciens ainsi qu’un élève de chaque salle – recevait une somme fixe de la Kès et des dons volontaires des camarades ; il étudiait les demandes de secours et ses membres se rendaient au logis des assistés, pratique qui s’est conservée jusqu’en 1919, de même que la visite des indigents à la boite à claque.
6. La Grosse, élue avec le plus de voix, était réputée « manier la couverture », c’est-à-dire avoir une prédisposition naturelle pour la gaffe, l’initiative malencontreuse, tandis que la Petite avait l’auréole du débrouillard, un peu couard, qui savait « se boccarder », c’est-à-dire se défiler devant toute tâche ennuyeuse ou demandant un effort quelconque.
7. La fête du Point Gamma, inaugurée pour la première fois en 1861, fut supprimée en 1880 et ne renaquit qu’en 1919 sous forme d’une fête de bienfaisance, destinée à attirer le maximum de monde et procurer à la Caisse des ressources accrues pour ses activités charitables.
8. Compagnie Générale Transatlantique.
9. Certaine promotion a aussi disposé en quelque sorte d’une résidence secondaire, en l’espèce d’un petit appartement en duplex., inoccupé dans la boîte à claque., où il était loisible à la Kès de réfléchir en paix aux grands problèmes de l’heure.
10. Jacqué (Caissier de la 19N) a donné à de nombreux Caissiers l’impression que la chimie qu’il professait était leur vraie vocatioll.n, tant il savait les y faire exceller.
11. Il semble qu’avant 1900 les candidats se présentaient individuellement puis apparaît le tandem sous le sigle ATB (pour les candidats A et B) ; à partir de 1968, c’est tout un bureau qui est élu en bloc.
12. Le Cardinal Feltin était, à l’époque, Archevêque de Bordeaux
13. Le « Maître » Lopp, aujourd’hui hélas décédé, avait déjà inauguré, en janvier 1948, pour le tandem TTV, dans la cour de l’École et devant les deux promotions présentant les armes, un monument très particulier « où s’alliaient les raffinements de l’art moderne à une indiscutable nécessité ».
Ferdinand Lopp à l’École (1949).
Que d’ores et déjà, grâces soient rendues à tous ceux dont la mémoire nous a été précieuse : Palle (12), Chail (16), Clogensoll et Mourret (17), Vall Belle (21), Berti (24), Vidal (27), Callol (31), Pallhard (33), Rozès (35), Valloire (36), Saintflou (37), Dumousseau el Rateau (38), Gonon (39), Main de Boissiere (40), Denneri (43), Arboll (45), Delyon (46), Richardet (48), Ink (49), de la Morinerie (51), d’Elissagaray (52), Bongrand (68).
Mais celle modeste saga de la Kès, réalisée en trop peu de temps, pourrait sans doute être complétée un jour si, après l’avoir lue avec indulgence, d’autres anciens Caissiers, délégués de Promo et, d’une façon générale, tous les Camarades, acceptaient de fouiller leurs souvenirs et de communiquer à Domain (36), qui les retournera bien entendu, les photos, documents, archives, récits, qui pourraient présenter un certain intérêt.