Les MOOC, inventer une nouvelle pédagogie
MOOC, Massive Online Open Courses, c’est bien sûr une invention d’origine américaine. En 2006 Salman Khan a lancé la Khan Academy, qui mettait gratuitement à disposition sur YouTube des milliers de courtes vidéos de formation sur des contenus scolaires.
« En quelques années, la Khan Academy est devenue une véritable salle de classe internationale, rassemblant plusieurs millions d’élèves du monde entier3. »
“ Ne travailler qu’avec des enseignants de haut niveau ”
En 2010, ayant assisté en Californie à une présentation de la Khan Academy, Sebastian Thrun, enseignant-chercheur à l’université Stanford où il professe un cours d’introduction à l’intelligence artificielle, décide de l’enregistrer en vidéo et de créer, en accord avec son université, un site sur le Net pour le diffuser.
Alors qu’il espérait au maximum 2 000 auditeurs, il enregistre immédiatement 5 000 inscriptions, puis 50 000 pour atteindre 160 000 en octobre 2011, après la publication d’un article sur le New York Times. Les inscrits étaient « de tous les âges, deux tiers vivant en dehors des États-Unis, représentant 190 pays différents4 ».
Des plateformes de diffusion des savoirs
FOAD
(Formations ouvertes à distance)
Depuis plusieurs années, le CNAM diffuse sur le Net des cours en FOAD qu’environ 2 000 élèves suivent actuellement.
Ceux-ci font acte de candidature ; ils doivent justifier de leur niveau d’études en fonction duquel ils sont admis ; ils paient un droit d’inscription en échange duquel on leur délivre un code d’accès. Ainsi identifiés, ils appellent leur cours quand ils veulent, ils peuvent aussi communiquer avec l’enseignant dont ils connaissent l’adresse courriel.
À chaque cours correspondent des crédits ECTS8 conduisant à un diplôme universitaire, les évaluations étant le plus souvent conduites en contrôle continu.
Devant le succès de son initiative, Sebastian Thrun cesse d’enseigner pour créer Udacity, la première plateforme de diffusion des MOOC.
« Son projet est clair : rester dans le domaine de l’informatique puis des disciplines quantitatives ; développer des cours qui pourront être réutilisés facilement ; ne travailler qu’avec des enseignants de haut niveau, créatifs, qui soient à la fois acteurs et producteurs de formation. Pour lui, d’ici quelques années, il ne restera qu’une dizaine d’acteurs mondiaux dans le domaine de l’enseignement supérieur, et il compte bien en faire partie5. »
En décembre 2011, le MIT s’associe avec Harvard pour créer une nouvelle plateforme, edX, à laquelle adhèrent un certain nombre d’universités et dont le premier cours (Circuits and electronics) démarre en mars 2012 avec 155 000 inscrits6.
De leur côté deux professeurs de Stanford créent Coursera à laquelle adhèrent un grand nombre d’universités américaines et étrangères, notamment l’X et Normale Sup.
« Quelques mois après sa création, Coursera enregistrait déjà 1,7 million de Courserians7. »
Sur ce même modèle, en 2013, le ministère français de l’Enseignement supérieur crée la plateforme FUN (France université numérique), sur laquelle le CNAM diffuse actuellement plusieurs cours.
Pas de sélection
L’inscription aux MOOC est gratuite et s’effectue sans exigence de niveau ; il n’y a pas de sélection, n’importe qui peut s’inscrire s’il dispose d’un récepteur branché sur le Net, ordinateur, tablette ou téléphone, il suffit d’appeler la plateforme dont le site présente le menu. On s’inscrit et on choisit son cours.
“ Ne travailler qu’avec des enseignants de haut niveau ”
La formation est dispensée sous la forme de vidéos de 10 à 20 minutes : l’enseignant, représenté debout ou à mi-corps, dit son cours en l’illustrant de photos ou de graphiques. D’autres vidéos présentent des questionnaires à choix multiples (les « quizz ») qui permettent aux étudiants de vérifier leur apprentissage.
UN FORT TAUX D’ABANDON
Dans les faits, si les MOOC diffusés par Coursera attirent un grand nombre d’inscriptions, la plupart correspondent à des visiteurs ou à des velléitaires, car les taux d’abandon sont très élevés : Coursera estime en moyenne à 10 % le nombre de ceux qui suivent intégralement les MOOC de sa plateforme et Harvard à seulement 5 % pour l’année 2013.
Il est vrai que ces 5 % représentent encore 43 000 personnes9.
Le programme peut aussi comprendre des exercices pour l’exécution desquels ils sont incités à se regrouper de façon à se corriger entre eux.
Les plateformes sont rémunérées par les universités productrices des cours. Il arrive qu’une université achète un MOOC d’une autre université pour l’incorporer dans son programme. Philippe Durance cite l’exemple de la Harvard Business School qui a renoncé à son cours de comptabilité, les étudiants ayant plébiscité un MOOC d’une autre université.
L’accès est gratuit, mais les étudiants doivent payer une redevance pour passer les tests d’évaluation qui permettent d’obtenir des attestations. Une autre source de financement provient des chasseurs de têtes qui, pour trouver les meilleurs candidats, achètent aux plateformes des listes de noms d’élèves performants.
Accéder à l’enseignement des meilleures universités
Dès sa page d’accueil sur le Net, Coursera affirme sa vocation : permettre à tous d’accéder sans sélection et gratuitement aux enseignements des meilleures universités. La plateforme propose 725 cours dispensés par 110 universités partenaires : en invitant les surfeurs à s’inscrire, elle annonce sur son site : « Suivez les meilleurs cours du monde, gratuitement. »
Nous avons vu Sebastian Thrun prédire que les MOOC assureraient aux universités les plus performantes l’audience du plus grand nombre d’étudiants. Il avait en tête l’idée d’un classement des universités sur une échelle de qualité, les meilleures délivrant sur leurs MOOC le meilleur enseignement qui serait sanctionné par les diplômes reconnus les meilleurs.
Une pédagogie active
En septembre 2013, le CNAM lance plusieurs cours diffusés en MOOC : il s’agit d’inaugurer la plateforme FUN que vient de mettre en place le ministère de l’Enseignement supérieur, et aussi, d’après ses promoteurs, de promouvoir la marque CNAM et ses enseignements, notamment ceux diffusés en FOAD.
Le MOOC que je prends pour exemple a été présenté par Cécile Dejoux10. Intitulé « Du manager au leader », il vise un public de cadres, actifs ou demandeurs d’emploi. Il se déroule sur six semaines, à raison de 5 séances par semaine, chaque séance étant composée de 4 à 5 vidéos de 10 à 20 minutes chacune et suivie d’un questionnaire à réponses fermées (un « quizz ») qui permet à l’apprenant de tester ses acquisitions.
Quels résultats d’audience pour le MOOC « Du manager au leader » ?
27 000 étudiants se sont inscrits à la première diffusion, dont 5 000 l’ont suivi jusqu’au bout, soit un taux de fidélité de 18 %.
Un test hebdomadaire récapitule les apprentissages de chaque semaine et un test final permet à chacun d’évaluer son parcours.
Dans le mode d’emploi du MOOC, les vidéos des cours sont prévues pour n’occuper que la moitié du temps d’apprentissage, l’autre moitié étant consacrée à « zapper » sur des sites d’information et sur les réseaux sociaux.
Les étudiants communiquent entre eux et avec l’enseignante sur Twitter, Facebook et LinkedIn, une collaboratrice assurant l’animation sur ces réseaux et aussi sur des sites d’informations et sur des forums.
Pour Cécile Dejoux, il s’agit de dynamiser l’apprentissage en rendant les apprenants actifs dans la recherche des connaissances et de confrontations entre eux et avec des témoins.
Quelques réflexions
Tous les établissements qui produisent des MOOC ont un objectif de marketing : sur Coursera, ils cherchent à être connus et reconnus parmi les meilleurs au niveau international et, de ce point de vue, peu importe le taux d’abandon.
“ Les plateformes sont rémunérées par les universités productrices des cours ”
Le CNAM profite de l’audience des MOOC pour se faire connaître, en visant les adultes demandeurs de formation continue dans l’espace de la francophonie. Mais il s’efforce aussi de retenir son auditoire par une animation pédagogique qui dynamise les apprenants en les incitant à « zapper » entre les vidéos du MOOC, des sites d’informations et les réseaux sociaux.
Un récent rapport du MIT11 révèle des réflexions plus ambitieuses sur l’avenir de l’université, compte tenu des opportunités résultant de son usage de la plateforme edX12.
Infinite classroom
Le rapport met en avant l’idée d’une synergie qui serait à développer entre ceux qui étudient sur son campus de Cambridge (USA) et l’audience de ses MOOC. De par le monde, il existe 860 communautés qui réunissent leurs auditeurs : des étudiants du campus ont été mandatés pour intervenir en tant que coachs ou conseillers auprès de certaines d’entre elles.
Le rapport propose de généraliser la démarche, les MOOC donnant à ces étudiants la possibilité de poursuivre leur propre formation et l’université valorisant la connaissance du monde qu’ils acquièrent dans le rôle d’ambassadeurs du MIT. Et, réciproquement, les très bons apprenants sur les MOOC pourraient se voir proposer un semestre à Cambridge ou même une scolarité complète.
Invoquant la perspective d’une infinite classroom, le rapport évoque l’idée de constituer une communauté globale des « MIT’x learners ».
Reconstruire les contenus d’enseignement
Partant du constat que la durée d’une unité d’apprentissage MOOC est de l’ordre de 10 minutes contre 50 minutes pour un cours en amphithéâtre, le rapport suggère d’explorer l’idée d’une reconstruction des contenus d’enseignement sur la base des unités MOOC.
“ Les très bons apprenants pourraient se voir proposer un semestre à Cambridge ”
Cette modularisation les rendrait plus faciles à produire et à modifier, elle faciliterait les collaborations entre les enseignants, encouragerait l’interdisciplinarité et contribuerait à faciliter l’ouverture vers de nouvelles audiences.
Concernant cette ouverture, le rapport propose d’exploiter le fait qu’en jouant sur la diversité des modes de diffusion, l’université pourrait élargir l’éventail des publics auxquels elle s’adresse (élèves de lycée, étudiants de 1er cycle, adultes en activité ou en recherche d’emploi, enseignants, etc.). Communiquant avec eux par différents canaux (amphis, FOAD, MOOC, communautés de réception, etc.), elle leur ouvrirait la possibilité d’étudier en poursuivant différents buts (intérêt personnel, obtention de crédits ou de diplômes, admission au MIT, etc.).
Le rapport illustre cette possibilité en présentant sept combinaisons de choix effectués entre les canaux par différents publics visant différents buts.
Des ambitions diverses
Ce tour d’horizon montre la diversité des ambitions des producteurs de MOOC. Un premier objectif a été de se faire connaître et reconnaître au niveau international.
Le CNAM, qui s’adresse à un public d’adultes, s’est soucié de le fidéliser en mobilisant les ressources de l’Internet pour mettre en oeuvre une pédagogie active.
Enfin, le MIT a lancé une réflexion qui tend à le situer comme université de référence au niveau mondial.
Il est probable que nos grandes écoles et nos universités conduisent aussi des réflexions sur ce sujet et nous aimerions pouvoir consacrer un article à l’École polytechnique. Mais on peut aussi se demander si l’ensemble du système éducatif français ne devrait pas y chercher des solutions à ses problèmes.
Alors que notre Éducation nationale est confrontée à l’échec des élèves en fin de scolarité obligatoire, le passage par les MOOC pourrait faciliter la remise en cause de la rigidité des programmes dans les matières, français et maths, où se détermine cet échec.
1. Historien de l’éducation et professeur émérite à Paris‑V.
2. La citation provient du supplément « Culture et Idées » du numéro du 30 août 2014 du journal Le Monde.
3. Citation extraite d’un texte intitulé « Les MOOC, entre mythe et réalité » de Philippe Durance, professeur au CNAM. Les données relatives à l’histoire des MOOC proviennent en grande partie de ce texte et d’une conférence qu’il a donnée le 27 janvier 2014 dans le cadre de l’École de Paris du management.
4. Ibid.
5. Ibid.
6. Ibid.
7. Ibid.
8. « European Credit Transfer System » est un système de notation adopté par les universités européennes de façon à permettre des échanges d’étudiants dans le cadre du programme ERASMUS.
9. Exposé de P. Durance à l’École de Paris du management, le 27 janvier 2014.
10. Cécile Dejoux a présenté ce MOOC dans le cadre d’une conférence donnée le 13 mai 2014 à l’Université ouverte des compétences (UODC). Elle est maître de conférences au CNAM, responsable de ce MOOC.
11. « Institute-wide Task force on the future of MIT Education, Preliminary Report », 21 novembre 2013.
12. La plateforme se dénomme MIT’x lorsqu’elle diffuse les MOOC du MIT.