Giuseppe Verdi : Don Carlo
Don Carlo (Don Carlos dans la version originale en français pour l’Opéra de Paris) est un opéra colossal de Verdi, très insuffisamment valorisé.
Le drame de Schiller (1787) dont il s’inspire est déjà à l’origine d’une très grande force dramatique : l’infant d’Espagne Carlos, promis à Élisabeth de Valois, fille du roi de France Henri II, se voit dépossédé de sa promise par son père le roi d’Espagne Philippe II, fils de Charles Quint.
Les deux jeunes prince et princesse ont eu le temps de se jurer amour éternel avant qu’Élisabeth ne devienne la belle-mère de l’infant.
Mais l’intrigue classique d’amour contrarié et d’adolescence rebelle se déroule en surimpression d’une situation politique complexe : révolte des Flandres, influence déterminante de l’Inquisition sur la monarchie et la cour de Madrid, l’émancipation des grands d’Espagne.
Lors de la composition de l’opéra, près de quatre-vingts ans après l’oeuvre littéraire, après la Révolution française et le Printemps des peuples, de nombreux éléments du drame ont naturellement évolué en signification, et les personnages de Verdi sont bien plus subtils que ceux de Schiller, trop simplistes et prévisibles.
Plusieurs versions de l’opéra existent, en français ou en italien. Chaque fois il faut commencer par faire le choix de la version (et de la langue) qui va être montée. La version en italien produite et filmée au festival de Salzbourg en août 2013 est très complète, en 5 actes (et donc quatre heures).
Notamment le premier acte, dit « de Fontainebleau », est absolument complet, avec même un chœur initial de dix minutes rarement donné (coupé avant la création), qui permet de mieux comprendre l’importance de la paix entre la France et l’Espagne, et le choix du sacrifice d’Élisabeth qui accepte d’épouser le roi au lieu de l’infant, pour sauver la paix et les pauvres de France.
La distribution est idéale. Anja Harteros, la soprano la plus demandée aujourd’hui (sauf à Paris !), et Jonas Kaufmann, ténor qui enchaîne succès sur succès (Parsifal, Werther) forment un couple qui se retrouve régulièrement dans les plus grandes productions d’opéra, comme Netrebko-Villazon il y a dix ans et Alagna-Gheorghiu il y a quinze ans.
Ils sont magnifiques, alternant noblesse du chant (et des sentiments) et déchirement. Matti Salminen, grande basse finlandaise désormais en fin de carrière, campe un Philippe II autoritaire, mémorable dans son célèbre monologue « Elle ne m’aime pas » et dans son air de lamentations pour la mort du marquis de Posa, où l’on trouve les thèmes que Verdi réutilisera dans le Lacrymosa du Requiem, composé cinq ans plus tard.
Le célèbre baryton Thomas Hampson est remarquable en Posa, l’ami et confident de l’infant (et du roi), un rôle extrêmement complexe où se sont illustrés les plus grands (Fischer- Dieskau, Cappuccilli, Gobbi). La mezzo qui chante Eboli est moins célèbre que les quatre stars précédentes, mais ne démérite pas.
Les cinq artistes principaux sont excellents et ont de plus parfaitement les physiques de leurs rôles, ce qui, avec les costumes réalistes mais élégants de la production de Peter Stein, rend le spectacle absolument crédible et donc poignant.
Notons également des coiffures et costumes parfaits, par exemple les Dames d’Espagne font en permanence penser aux tableaux de Vélasquez. Et la beauté de la production est renforcée par les très beaux décors (par exemple la forêt de Fontainebleau où a lieu la première rencontre des amants, le tombeau de Charles Quint toujours hanté par le vieil empereur).
L’orchestre (le Philharmonique de Vienne !) est superbe, dirigé avec contraste et finesse par Antonio Pappano, le chef d’opéra le plus actif ces derniers temps, et qui enregistre le plus. Rarement, vous l’avez compris, un opéra aura été ainsi servi, avec une distribution idéale, des décors et des costumes parfaits et d’une très grande beauté, et une mise en scène riche et passionnante.