AIRES MARITIMES PROTÉGÉES : Un moyen de protection à long terme
Le développement des AMP date de quelques années seulement. Quel en a été le déclencheur ?
Peut-être pas un changement décisif dans la culture française, qui reste pour l’essentiel peu tournée vers la mer, mais suffisamment d’événements pour parler d’un tournant dans la prise en compte de la mer dans nos politiques : la loi du 14 avril 2006, qui crée l’Agence des aires marines protégées et les parcs naturels marins, le « Grenelle de la mer » en 2009, l’adoption au niveau européen en 2008 de la directive-cadre sur la stratégie pour le milieu marin, l’adoption au plan international des « objectifs d’Aichi » par la convention sur la diversité biologique en 2010.
Le développement de la dimension environnementale va de pair avec le renouveau de la prise de conscience des opportunités économiques offertes par les océans, comme en témoignait le Grenelle de la mer.
REPÈRES
Fin 2013, la France accueillait à Marseille le troisième congrès mondial des AMP ; en 2014, la proportion des eaux françaises couvertes par au moins une AMP dépasse les 16 %. Le contraste est fort avec un passé encore récent : le premier congrès mondial des AMP, tenu en Australie en 2005, voyait une participation française quasi inexistante, à l’image du développement des AMP dans notre pays à cette époque.
Des réalités très diverses
La définition habituellement retenue en France d’une AMP est la suivante : « Un espace délimité en mer au sein duquel un objectif de protection de la nature à long terme a été défini, objectif pour lequel un certain nombre de mesures de gestion sont mises en oeuvre : suivi scientifique, programme d’actions, chartes de bonne conduite, protection du domaine public maritime, réglementations, surveillance, information du public, etc.
“ L’objectif de protection n’est pas exclusif d’autres objectifs ”
Sur la base de cette définition, l’objectif de protection n’est pas exclusif d’autres objectifs, notamment de développement économique maîtrisé (utilisation et exploitation durables des ressources marines). »
Cette définition se traduit par des réalités diverses : des lieux de protection stricte de la nature (réserves naturelles, coeurs de parcs nationaux, sites du patrimoine mondial de l’Unesco, etc.), en général de dimensions limitées ; des lieux, souvent plus vastes et définis selon une logique d’écosystème, répondant à des finalités de protection de la nature mais aussi d’accompagnement et de développement d’activités économiques durables (parcs naturels marins, aire maritime adjacente des parcs nationaux, etc.).
D’autres catégories existent, en particulier les sites Natura 2000 qui répondent à un objectif spécifique de bon état d’une liste déterminée d’espèces et d’habitats.
Associer les acteurs locaux
CINQ NOUVELLES CRÉATIONS ET CINQ PROJETS
Depuis la création du parc d’Iroise en 2007, six autres PNM ont été créés : Mayotte en 2010, golfe du Lion en 2011, Glorieuses en 2012, estuaires picards et mer d’Opale en 2012, Arcachon en 2014, estuaire de la Gironde et mer des Pertuis en 2015. Les conditions de mise en place diffèrent à chaque fois, mais, par exemple dans le cas d’Arcachon, la création du parc a été fortement soutenue par la population.
Quatre autres projets sont à divers stades d’avancement : golfe normand- breton, Martinique, cap corse, mor braz.
L’histoire de la création de l’Agence des AMP et de l’outil du parc naturel marin est intimement liée à celle du projet d’un parc national en mer d’Iroise.
Ce projet, lancé dans les années 1990, a rencontré une forte opposition locale, notamment de la part des pêcheurs plaisanciers qui craignaient une interdiction de leur activité, au point que l’idée de parc national a été abandonnée au profit de celle de parc naturel marin (PNM), outil nouveau introduit par la loi du 14 avril 2006.
La création de cet outil témoigne d’une évolution de la conception des politiques de protection de la nature : l’approche descendante et très marquée par la réglementation est désormais complétée par une approche qui laisse davantage de temps aux acteurs locaux et fait le pari de bâtir dans la durée une politique cohérente qui inclut la protection de la nature.
Sensibiliser le public
À sa création, le PNM est simplement défini par un périmètre, une liste de grandes orientations et une instance de gouvernance (le conseil de gestion). Le conseil de gestion élabore le plan de gestion qui constitue la vision commune des acteurs du parc (élus, professionnels de la mer, divers usagers, associations, scientifiques, État, etc.).
En Iroise, la mise en oeuvre de ce plan de gestion se traduit par des actions dans des domaines variés : mise en place d’un label « ormeau de Molène », interdiction des jet-skis dans l’archipel de Molène, modification de la réglementation de l’exploitation des algues laminaires, ensemencement expérimental de coquilles Saint-Jacques, aide à la concertation entre pêcheurs professionnels et plaisanciers, avis négatif (et auquel l’État a l’obligation de se conformer) sur l’autorisation d’extension d’une porcherie dans le bassin versant de la baie de Douarnenez, ramassage d’algues vertes, pour ne citer que quelques exemples.
Le parc développe la sensibilisation du public au milieu marin, y compris dans les écoles, il contribue aussi à la connaissance du patrimoine culturel maritime de l’Iroise. Tout cela repose sur des activités scientifiques (cartographie du champ de laminaires, marquage de bars, suivis visuels et acoustiques des mammifères marins, etc.) et une présence significative sur le terrain d’agents pratiquant du suivi scientifique et des contrôles.
Couvrir 20 % de nos eaux
Biodiversité hydraire à Mayotte
Quelques sites exceptionnels préexistaient à ces évolutions, à l’instar de la réserve naturelle des Sept Îles créée en 1912 ou du parc national de Port-Cros créé en 1963.
Mais ce type d’espace protégé n’était pas adapté à l’ambition de développer l’emprise des AMP sur une fraction désormais significative de l’espace marin : la stratégie nationale de création et de gestion des AMP ambitionne en effet de couvrir, en 2020, 20 % de nos eaux par des AMP (c’est-à-dire plus que la cible d’Aichi qui place l’ambition mondiale à 10 % des océans).
Un des changements majeurs réside dans le choix d’une gouvernance adaptée où interviennent toutes les parties concernées, où l’État garde sa place mais ouvre aussi la porte aux collectivités territoriales jusqu’ici à l’écart de la gouvernance de la mer.
Ainsi, conseils de gestion de PNM, conseils maritimes de façade (ou de bassin ultramarin en outre-mer), conseil national de la mer et du littoral sont autant de « parlements de la mer » agissant à différentes échelles, certes dénués de prérogatives réglementaires, mais lieux de débats et d’orientation des politiques, témoins d’une appropriation des enjeux marins par l’ensemble de la société et gardiens de l’acceptabilité des politiques de protection et de mise en valeur de la mer.
Protéger la biodiversité
La stratégie nationale précise quelques enjeux essentiels pour le développement de nos AMP. L’importance de l’outre-mer est une évidence, tant d’un point de vue surfacique (97 % de nos eaux se situent outre-mer) que biologique (la richesse de la biodiversité des fonds marins français d’outre-mer est considérable).
“ Le plan de gestion constitue la vision commune des acteurs du parc ”
La Nouvelle-Calédonie a créé récemment la plus grande AMP du monde, le parc naturel de la mer de Corail ; d’ambitieux projets d’AMP sont aussi en gestation autour de l’archipel des Marquises en Polynésie française ou dans les eaux du large de Kerguelen et de Crozet.
La protection stricte de la biodiversité, incarnée par des outils réglementaires tels que les réserves naturelles, doit aussi se développer pour crédibiliser le volet « protection de la nature » de ce réseau d’AMP en fort développement.
Les parcs naturels marins et les outils similaires, en intégrant l’ensemble des enjeux d’un vaste espace et en permettant la construction de consensus dans la durée, seront certainement les lieux privilégiés pour permettre à de nouveaux sites de protection stricte d’éclore.
Nouveaux métiers
Les AMP voient aussi naître de nouveaux métiers : des équipes de terrain renforcent les capacités de contrôle de la sphère de l’action de l’État en mer et contribuent à la capacité collective de connaissance et de suivi du milieu marin et de ses usages.
“ La Nouvelle-Calédonie a créé récemment la plus grande AMP du monde ”
À leurs côtés, des équipes d’ingénierie conçoivent des projets techniques ou développent la médiation avec les nombreux partenaires locaux des AMP. Ainsi se tissent de nouveaux réseaux, agissant au niveau local mais fortement connectés aux niveaux national et international, à l’image du réseau MedPAN des gestionnaires d’AMP de la mer Méditerranée.