L’océan modélisé, un atout pour la science et la croissance bleue
En 1995, une trentaine de scientifiques océanographes, météorologues, mathématiciens et ingénieurs se réunissent dans un petit village du Périgord. Ils ont une ambition commune : décrire et prévoir l’océan de façon opérationnelle, comme la météo décrit l’atmosphère et prévoit le temps qu’il fait.
“ Le savoir-faire scientifique se lit en temps réel, sur une carte du monde ”
Toutes les conditions sont alors réunies pour la rendre possible : les premiers satellites altimétriques mesurent le « relief » des océans avec une précision remarquable,
les premiers modèles de prévisions s’essaient au temps réel avec succès, et un pool de compétences est constitué au sein de grands organismes publics français. Le pari est pris le 26 juin 1995. Le « projet Mercator » est né.
REPÈRES
La conjonction des progrès en matière d’observation de la Terre par des satellites et des bouées autonomes d’une part et de leur prise en compte dans une modélisation numérique tridimensionnelle d’autre part sont à l’origine d’une discipline scientifique qui a tout juste vingt ans : l’océanographie opérationnelle.
La France est en pointe dans ce domaine, notamment via les activités de Mercator Océan, une société fondée en 2002 par six acteurs français majeurs du domaine : le CNRS, l’IFREMER, l’IRD (Institut pour la recherche et le développement), Météo-France, le SHOM (Service hydrographique et océanique de la Marine) et le CNES, l’agence spatiale française.
Un premier bulletin de prévisions
L’engagement collectif joue à plein, les premiers bulletins de prévisions sont diffusés sur l’Atlantique, les systèmes régulièrement améliorés, et, dix ans plus tard, le 14 octobre 2005, Mercator Océan diffuse le premier bulletin océanique couvrant l’ensemble du globe.
C’est une brèche scientifique de premier plan : le savoir-faire scientifique se lit en temps réel, sur une carte du monde, déclinée en température, courants, salinité, animée des tourbillons d’un océan qu’on parcourt dans ses profondeurs, et dont on prévoit les évolutions.
Modèle de prévision de la salinité à l’embouchure de l’Amazone après la saison des pluies (taux faible en bleu)
Dynamique européenne
Au même moment, une dynamique s’amorce autour du programme européen GMES (Global Monitoring for Environment and Security), renommé plus tard Copernicus, dont l’ambition est de donner à l’Union européenne une capacité autonome et opérationnelle en matière d’infrastructures d’observation spatiale et in situ et d’opérer six services de surveillance de la Terre en lien avec les océans, l’atmosphère, le climat, les territoires, les situations d’urgence et la sécurité.
“ Rendre disponible à tous la meilleure information sur l’état de l’océan ”
En ce qui concerne les océans, les activités se structurent bientôt avec des projets soutenus par les 6e et 7e programmes- cadres de recherche de l’Union européenne : de 2004 à 2014, l’Union aura ainsi injecté 76 millions d’euros dans une suite de projets collaboratifs destinés à faire émerger une capacité européenne de prévision océanique (hors de tout coût lié aux infrastructures, dont les satellites).
Cinq mille abonnés
UN CHOIX RATIONNEL
Le choix de l’Union européenne n’est pas le fruit du hasard. La France est une grande nation maritime de par son histoire et sa géographie : elle occupe le deuxième espace maritime au monde. La Marine nationale a des capacités au meilleur niveau mondial, le poids économique et social de la France dans le maritime est un des premiers d’Europe avec 65 milliards d’euros de valeur de production et plus de 300 000 emplois directs.
La France, représentée par l’Ifremer puis Mercator Océan, a piloté cette série de projets de bout en bout, fédérant pour cela sur l’ensemble du territoire européen une communauté d’une soixantaine de partenaires, tous détenteurs d’une compétence unique et volontaires pour contribuer à l’émergence d’un service européen intégré, le « Copernicus Marine Service ».
L’essai est transformé : fournir en accès libre et gratuit à travers un point d’entrée unique (portail Web) des informations génériques, fiables, scientifiquement qualifiées et mises à jour sur l’océan global et les mers régionales européennes, leur état physique et biogéochimique en surface comme en profondeur : température, courants, salinité, hauteur de mer, glace de mer, couleur de l’eau, chlorophylle, acidité, etc.
Fin 2014, ce nouveau service européen d’intérêt général délivre un service préopérationnel à près de cinq mille abonnés à travers le monde.
L’Union européenne se déclare convaincue, décide de passer à la phase opérationnelle, organise une consultation, choisit d’en confier la responsabilité au centre français Mercator Océan et alloue 144 millions d’euros à l’opération jusqu’en 2021. Cet accord signe la reconnaissance européenne de toute la filière française de l’océanographie opérationnelle, du succès de sa démarche collaborative et ouverte, des compétences qui la soutiennent et de la détermination à créer une nouvelle valeur de service.
Au service de la science, de l’économie et du citoyen
Le Copernicus Marine Service, ouvert début mai 2015, a pour objectif de rendre disponible à tous, de façon libre et gratuite, simple et immédiate, la meilleure information sur l’état de l’océan qu’on puisse élaborer en combinant en opérationnel satellites, mesures en mer et modèles.
Les 4 domaines d’application.
Il met en oeuvre des méthodes complexes pour livrer une information simple d’usage. Il est le fruit d’un effort de mutualisation européen à l’échelle politique et scientifique, au bénéfice des États membres comme des politiques européennes. Dont en particulier la directive « cadre stratégie pour le milieu marin », qui vise à mettre en oeuvre des plans d’action en faveur du bon état des eaux marines d’ici 2020.
Le Copernicus Marine Service a pour ambition de servir l’ensemble des acteurs privés et publics concernés dans les États membres de l’Union européenne. Il est destiné à de nombreux usages, qu’ils soient de nature commerciale, scientifique, ou pour des missions de service public national.
Dépendant en amont des observations de l’océanographie spatiale (satellites) et de l’océanographie in situ (navires), le Copernicus Marine Service va contribuer à dynamiser l’usage de ses données « brutes » sur des filières avales spécialisées dans le domaine de l’environnement, de la pêche, de l’aquaculture, de l’énergie offshore, du routage et du sauvetage en mer, de la recherche, de la défense, etc.
Des usages nombreux
Connaître et prévoir, entre autres, la température, les courants, la salinité, l’épaisseur des glaces de mer de tous les océans du globe, en surface comme en profondeur mais aussi leur teneur en oxygène, en nutriments, en phosphate, en nitrate répond à de multiples besoins.
Donner aux acteurs en charge de la sécurité des biens et des personnes en mer, la marine militaire et les marines d’intervention, une connaissance fiable de leur théâtre d’action ; apporter aux établissements mandatés sur ces missions une description générale qu’ils spécialiseront en fonction des opérations et de leurs propres sources d’information.
Aider la navigation (90 % du fret mondial est maritime), en particulier par des prévisions des courants et de l’état des glaces en zones polaires.
Connaître et protéger le milieu marin
L’exploration offshore en milieu marin, tout comme les énergies marines renouvelables, s’appuie également sur la courantologie sur toute la profondeur de l’océan, les experts en charge de l’énergie thermique des mers sur des historiques de différentiels de température en zones tropicales.
Modèle glace de mer.
Les analyses biogéochimiques du Copernicus Marine Service sont utiles aux scientifiques comme aux services d’aide à la pêche, car elles fournissent notamment la teneur en chlorophylle, présente à travers le premier maillon de la chaîne alimentaire : le phytoplancton.
L’étude de la biomasse océanique, constituée à 98 % de planctons, est capitale dans le cadre de la recherche sur la biodiversité et sur l’impact du changement climatique.
L’océan transporte et transforme la pollution en mer. Calculer la dérive de polluants exige des prévisions de courants. Autre exemple, les pays limitrophes de la mer Noire, qui souffre de la pollution à l’échelle de la densité de son trafic maritime, ont besoin de l’historique des courants, pour retrouver, en calculant les dérives à rebours, les pollueurs qui ont dégazé en haute mer.
Pour la protection de l’environnement côtier et la planification des infrastructures côtières (les zones côtières de l’UE représentent près de 10 % de la surface du territoire), l’information côtière a une valeur stratégique (défense, environnement) et économique (aménagement, activités) déterminante.
La recherche climatique progresse par l’étude des témoins des climats passés mais aussi par les avancées en matière de modélisation climatique qui reposent sur des modélisations couplées entre l ’ a t m o s p h è r e et l’océan. Les modèles d’océan sont donc indispensables aux modèles climatiques.
Miser sur l’économie bleue
“ Les zones côtières de l’UE représentent près de 10 % de la surface du territoire ”
Les mers et les océans sont des moteurs de l’économie française et européenne et offrent un potentiel considérable en matière d’innovation et de croissance. L’économie « bleue » représente 5,4 millions d’emplois et une valeur ajoutée brute de près de 500 milliards d’euros par an dans l’Union européenne.
Préparé depuis dix ans, passé en phase opérationnelle en mai 2015, le Copernicus Marine Service de l’Union européenne concourt à la stratégie de la « croissance bleue », une croissance durable dans les secteurs marin et maritime.