François Nicolas (67), le Monde-Musique
Qu’est-ce qu’un compositeur ? François Nicolas vous convainc que c’est un homme d’ouverture, aux autres, à l’intellectualité, à la musique d’aujourd’hui, pétri aussi de l’histoire de la musique, d’un savoir technique et, surtout, vorace travailleur.
Ne s’être jamais coupé des mathématiques, de la lecture des grands philosophes, de l’animation de séminaires de recherche, en sciences humaines surtout, est le fait marquant de ce penseur, d’une richesse humaine évidente dès la première rencontre.
Il se plaît à dire : « La pensée doit se développer à la lumière des maths, à l’ombre de la philosophie. » Enseignant-chercheur, il travaille à l’ENS-Ulm et à l’IRCAM.
Avec un grand-père maternel et un père ayant appartenu tous deux au Corps des mines, il avait l’X dans le sang. Ainsi, François Nicolas fit une année supplémentaire à Louis-le-Grand (cinq-demi) de façon à entrer à l’X. Cela accompli, il leva le pied : point de Corps des mines, pour lui.
Suivre un appel comme musicien
Suivre un appel comme musicien, plutôt que rester dans la tradition familiale, où « la musique n’était pas une profession, mais une activité en plus, une compensation, un supplément d »âme à l’aride métier d’ingénieur. La musique était pour les soirées et les week-ends. »
Déclare alors à ses parents, après son entrée à l’X, « maintenant, les choses sérieuses commencent ». Le Quartier latin lui était déjà familier par l’internat à Louis-le-Grand, et ses hauts lieux, la librairie Maspéro, le cinéma Le Champo, et des personnages folkloriques, comme Mouna Aguigui.
La prépa l’avait fortement politisé, par la fréquentation des khâgneux althussériens. François Nicolas, alors catholique de gauche engagé, étudia attentivement le marxisme. Il lut aussi Les Cahiers pour l’analyse, édités par des normaliens.
À l’École, qui se trouvait encore sur la Montagne Sainte- Geneviève, le discours élitiste de Raymond Cheradame, directeur des études depuis 1957, le révolta ; Françis Nicolas est foncièrement égalitaire (et fraternel).
Militant tendance Mao
Ce qui se traduisit par un militantisme politique, tendance Mao avec Alain Badiou — dont il restera proche. Déjà politisé en Mai 68, François Nicolas participa avec détermination et lucidité aux principales manifestations, ainsi qu” « aux usines ».
Mai 68 fut pour lui « une singularité politique. Liberté et égalité y ont été rendues momentanément indiscernables. » Il travaille du reste à présent à une œuvre — une célébration —, Égalité ’68, avec comme première esquisse une cantate quadrilingue sur le poème Douze de Blok.
La séduction des mathématiques
Que tira-t-il, pour sa gouverne, des cours de l’X ? Il avait déjà éprouvé la séduction des mathématiques, par la beauté de leur construction intellectuelle : coupures de Dedekind, enseignées en hypotaupe par Jacques Siros. Le cours de Laurent Schwartz lui confirma la beauté de leur architecture, le grand mathématicien pensait tout haut.
En revanche, ni la physique, ni l’économie, telles que ces matières étaient enseignées, ne lui plurent. Faute de mieux, après Mai 68 et sa sortie de l’École en 1970, François Nicolas devint économiste, par raison, à la direction de la prévision du ministère des Finances.
Du jazz à la composition
À la fin des années 1970, François Nicolas fit du jazz dans de petits ensembles (Bobby Few, Alan Silva, François Tusques). La rencontre d’un compositeur américain, Robert Carl, en 1981, décida de la suite : François Nicolas s’élança vers la composition. Il se donna d’abord tout un bagage, en auditeur libre au Conservatoire de 1981 à 1985, avec, entre autres, le cours de composition de Michel Philippot et celui d’orchestration de Marius Constant.
Épousa la musique contemporaine, y contribuant de ses propres compositions, une trentaine de numéros d’opus depuis 1986 : « Une œuvre en entraîne une autre. J’ai besoin d’un “énorme chaudron”, je fais beaucoup de calculs préalables. »
Prime pour lui le moment-faveur d’une œuvre : « L’écoute est – doit être – un ravissement, où se mélange la sensation (d’être ravi) – avec ses délices et ses angoisses – et l’ouverture de pensée qu’elle entraîne vers l’aventure qui s’engage. C’est un peu comme l’enthousiasme en politique : à la fois affect et conviction, assurance et promesse. » Sa musique, savante, est raffinée, délicate, somptueuse même.
Un instrument de musique
L’image qu’il se fait de lui ? Un instrument de musique : qu’on pense aux instruments à vent, un tuyau dans lequel l’air entre, puis ressort. Les trous servent aux doigts à y moduler un chant.
Un homme : générique, banal (les pèlerins d’Emmaüs ne reconnaissant pas Jésus), glorieux dans un incognito à la Kierkegaard, que facilite son patronyme passe-partout, Nicolas.
Une revendication bien éloignée de la réalité de l’homme, avec son charisme, sa constante attention à autrui, et sa joie de penser.
Pour en savoir plus
Le Monde-Musique, tome I, L’Œuvre musicale et son écoute, Aedam Musicae, 2014.
On y trouvera, ciselé, comme tout ce qu’il fait, une admirable exégèse d’un texte de saint Paul.
Le disque Infinis…, Triton (voir la chronique de Jean Salmona, La Jaune et la Rouge n° 672, février 2012).