Pourquoi pas nous ?
Xavier Fontanet, dans un premier temps, nous allons évoquer le constat général que vous faites de l’état de la France. La première question que l’on a envie de vous poser est sur la méthode et les sources utilisées.
J’ai eu une carrière où j’ai fait grandir des petites entreprises qui sont devenues grandes grâce à la mondialisation. J’ai passé mon temps à voyager, par exemple pour Bénéteau où j’ai vendu notamment des bateaux en Nouvelle-Zélande au début des années 1980. Je me suis beaucoup intéressé aux réformes menées dans les pays dans lesquels j’ai travaillé.
“ Il vaut mieux être mauvais avec de très mauvais que bon contre des très bons ”
J’ai maintenant une fondation qui organise des cours de stratégie dans tous les milieux, notamment politiques.
Des jeunes députés m’ont encouragé à faire ce livre que j’ai écrit très rapidement. Je me suis appuyé sur quarante ans de données historiques de la Banque mondiale sur l’économie, la dette, et le chômage, ainsi que sur PricewaterhouseCoopers (PWC) pour réaliser des calculs sophistiqués sur les impôts.
Deux experts internationaux en fiscalité de ce cabinet ont travaillé pendant un mois pour notamment réaliser des tableaux ayant une très grande valeur. Je me suis également appuyé sur des coupures de presse, mes voyages professionnels et les contacts avec les gouvernements. J’ai rencontré la plupart des gens évoqués dans mon livre.
Vous utilisez la métaphore du jockey pour montrer le poids de la fiscalité qui pèse sur les entreprises.
Pouvez-vous nous en dire plus ?
J’ai toujours vécu dans un monde concurrentiel. La stratégie, c’est se débrouiller contre des concurrents intelligents. Tout est donc relatif. Il vaut mieux être mauvais avec de très mauvais que bon contre des très bons.
Sur une longue période, le ratio de sphère publique sur PIB est très différent même pour des pays qui ont des tailles similaires comme la France et l’Allemagne avec le périmètre d’activités publiques semblables. Le ratio de sphère publique sur PIB est de l’ordre de 45–43 % en Allemagne contre 57 % en France.
Rapidement calculé, on pourrait dire qu’il n’y a que 12 points d’écart. Comme, en France, on est colbertiste, j’ai considéré que l’État est le jockey et le privé le cheval. Si on compare les ratios (57÷43 : 1.32 en France) et en Allemagne (45÷55 : 0.8), on constate que la sphère publique française est 60 % plus lourde qu’en Allemagne (1.32÷0.8 : 1.6). Le ratio de fonctionnaire par habitant est 50 % plus élevé en France qu’en Allemagne.
Il y a cinquante ans, toutes les entreprises étaient locales (même dans l’automobile), aujourd’hui, toutes les affaires sont mondiales. Imaginons deux exploitations de cochons en France et en Allemagne. Pour le cochon français, on va rajouter 132 soit un coût de 232 ; en Allemagne on va rajouter 80 pour arriver à 180, soit à l’arrivée un écart de 20 %.
La part de la sphère publique française monde s’est mise à monter après Pompidou où elle était tombée à 27 %. À l’époque de la réunification, la sphère publique allemande était montée à plus de 50 % pour envoyer de l’argent à l’Est, le cochon français tenait alors la route.
Comment les entreprises françaises font-elles pour s’en sortir dans la mondialisation ?
Beaucoup d’entreprises du CAC 40, comme c’est le cas pour les entreprises dont je suis administrateur (Schneider, L’Oréal, Essilor) ou même du SBF 120, car votre métier peut être petit et mondial, font une faible part de leur activité en France ; la sphère publique les pénalise peu. La France a beaucoup de leaders mondiaux.
Pour les Chinois, sur les 100 plus grandes entreprises mondiales, 11 sont françaises, contre 7 allemandes. La France a des leaders mondiaux dans les filières Ponts et Mines par exemple : dans la construction, Total dans le pétrole, dans l’assurance et dans les autres secteurs où les mathématiques sont importantes. Dès que l’entreprise est locale, c’est plus difficile.
Quand elle veut exporter, elle est plombée par la sphère publique. Les Français sont très bons dès qu’on leur lâche les baskets.
Il faut donc se faire confiance.
Oui. Aux États-Unis, 60 000 Français sont dans la Silicon Valley et gagnent beaucoup de prix.
Quels sont les freins les plus marquants à la réforme en France ?
Le premier, c’est de dire « nous, c’est différent », qui mêle arrogance et manque de confiance. J’ai passé beaucoup de mes vingt dernières années de travail en Asie. Là-bas, ils sont curieux : la copie est considérée comme du respect. Il faut apprendre à s’inspirer des bonnes expériences à l’étranger. Il faut humilité et confiance en soi.
L’autre défaut est le fait que l’on attaque la personne et qu’on ne cherche pas l’argumentation : vous êtes X, P‑DG du Cac 40, etc.
On joue sur les préjugés ?
Oui, on attaque les personnes. Autre fausse idée : il y a de l’argent, il suffit de le prendre. Le nombre de milliardaires en France a été récemment divisé par deux. Les classements Forbes ne donnent pas les mêmes résultats, car ils ne comptent pas ceux qui vivent à l’étranger.
Passons à la deuxième partie, le tour du monde des solutions en quatre pays : le Canada, la Nouvelle-Zélande, la Suisse et l’Allemagne. Grâce à vos voyages, vous avez pu voir ce qui marchait sur le long terme : quels sont les points communs des réformes réussies ?
Voyons d’abord de combien le jockey français est trop lourd. L’objectif est de se mettre au niveau de l’Allemagne : passer le ratio de 57 % à 45 % : la masse à gagner est de 250 milliards d’euros.
“ D’autres pays l’ont fait : pourquoi pas nous ? ”
Nous avons environ 80 milliards d’euros de déficit. Depuis 2007, l’économie privée descend, les impôts ont augmenté de 100 milliards de trop. La dette est passée à 2 000 milliards en quarante ans, soit en moyenne 50 milliards par an. On arrive encore environ aux 250 milliards.
La sphère publique pèse 1 150 milliards avec trois paquets : l’État 400 milliards, la sphère sociale 600 milliards, et les collectivités locales 150 milliards. Il faut réformer ces domaines les uns après les autres.
Le champion de la réforme de l’État est le Canada ; pour le social, ce sont l’Allemagne, et la Nouvelle-Zélande, qui a privatisé la sphère sociale en la faisant gérer par des assurances privées mises en concurrence. La retraite est passée en capitalisation. La sécurité sociale a été divisée en trois morceaux vendus ensuite à des sociétés américaine, singapourienne et hollandaise.
Pour la réforme régionale, le champion est la Suisse : presque tout est géré aux niveaux locaux mis en concurrence ; son régalien est le moins cher. Mon raisonnement est que d’autres pays l’ont fait : pourquoi pas nous ?
Pouvez-vous développer l’exemple du Canada ?
Tout part d’une prise de conscience. Des duos comprenant un politique et un entrepreneur ont assuré les réformes. Au Canada, il s’agissait de Jean Chrétien et Paul Martin. Il y a eu une prise de conscience de dette publique (60 % du PIB) et une sphère publique à plus de 50 % du PIB.
Le message au Canada a été de dire que quand l’État monte un impôt et la dépense, il vous enlève une responsabilité ; il déplace le curseur de la sphère privée à la sphère publique, par exemple pour le choix d’un médicament.
Il y avait, de plus, des quantités de gens qui n’avaient plus intérêt à travailler, comme en France avec le RSA. Cela tue les entrepreneurs. Il ne faut ni spolier les gens, ni les mettre dans la dépendance.
Le Canada n’a pas touché à la santé et à la retraite. La dépense publique a été réduite de 20 % en six ans. Les ministères de l’Industrie et de la Pêche supprimés, ainsi que les doublons et subventions pour les régions, ils ont privatisé leur réseau ferré, et cela n’a pas changé l’économie.
Ils ont bien expliqué qu’ils rendaient les responsabilités du public au privé. Des fonctionnaires ont rejoint le privé. J’étais au Canada à l’époque de cette réforme ; cela a marché car il y avait du sens et pas d’impact sur l’économie.