Histoire Climatique
Il est donc temps d’agir !
Pourtant, probablement, la volonté de faire face au défi planétaire fera défaut.
En réalité, il est temps pour nous d’agir depuis bien longtemps. Et l’histoire nous donne ici de grandes leçons, car nous n’avons rien fait.
Dans un ouvrage exceptionnel toujours inédit sur la toile, un rapport brillant écrit en 1953 pour la “US Atomic Commission”, Palmer Putnam, un ingénieur consultant de talent et “poly-technicien” a tenté de répondre de manière prospective à de nombreuses questions portant sur l’ “ENERGY IN THE FUTURE”.
Putnam a essayé d’évaluer la demande mondiale la plus plausible pour les 50–100 ans à venir (soit aux horizons 2000 et 2050). Au début des années 1950, la Commission Atomique américaine souhaite anticiper les questions de politique publique et économiques en regard du développement prévisible de l’énergie atomique. Les quelques 600 pages d’analyse de ce rapport sont si pertinentes et éclairantes sur des sujets comme la démographie ou les ressources énergétiques que la Commission accepte que le rapport soit rendu public.
ENERGY IN THE FUTURE : cette somme très documentée porte principalement sur les différentes sources d’énergie, et d’abord celles d’origine fossile ; sur la démographie ; sur des projections de consommation, leurs ordres de grandeur et extrapolations pour les différents grands pays, en prenant comme hypothèse que ceux-ci vont adopter l’american way of life. Les prévisions pour 2000 sont saisissantes !
On trouve plusieurs chapitres en annexe au rapport. Le 6e s’intitule : “JUSQU’A QUAND POURRA-T-ON VIVRE DE NOTRE CAPITAL ENERGETIQUE ? LES RESERVES ECONOMIQUEMENT RECUPERABLES DE CHARBON, DE SCHISTE ET DE SABLES BITUMINEUX, AVEC LEURS TENDANCES DE COUT UNITAIRE, UNE NOTE SUR LA COMBUSTION DES ENERGIES FOSSILES, LE CLIMAT ET LE NIVEAU DES MERS”, chapitre dans lequel Putnam s’intéresse dans le détail à la raréfaction anticipée des ressources et aux réserves du sous-sol.
Et il y a notamment cette note dédiée 6–1 : “La combustion des carburants fossiles, le climat et le niveau des mers” qui explique (souvenez-vous, nous sommes en 1953 !) :
Jusqu’à très récemment, du moins, le temps1 s’est réchauffé, particulièrement en hiver aux latitudes élevées. Les glaciers reculent. Le niveau des mers monte du fait de la fonte des glaces. (Figs. 6–16N, 6–17N, et 6–18N, et Table 6–32N).
Certains soupçonnent que l’homme pourrait avoir contribué à ces phénomènes par la combustion et par d’autres activités routinières. L’explication est la suivante : les activités de l’homme ont eu tendance à enrichir le contenu en CO2 de l’atmosphère de deux façons. D’abord, il a empêché l’élimination d’une partie de ce CO2 en substituant prairies et cultures aux forêts, et rues et autres zones stériles à celles qui accueillaient de la végétation. Les effets d’une telle substitution sont évoqués dans la Table 6–33N.
Ensuite, il a injecté des volumes croissants de CO2 dans l’atmosphère, principalement par la combustion de combustibles fossiles. La Table 6–34N en donne des estimations par période historique. Il est probable que la réduction par l’homme du volume total de matière verte a « refoulé » dans l’atmosphère plusieurs fois la quantité de CO2 qu’il y a injecté par d’autres activités. Il est possible que l’apport résultant de ces deux facteurs soit au total de 300 ppm pour les 50 dernières années.
Il est vrai que les océans, ainsi que les plantes terrestres, ont une immense capacité à absorber du CO2 additionnel et à maintenir l’équilibre du cycle du CO2 (Fig. 6–19N). Mais, explique-t-on, ces réponses ont tendance à atténuer plutôt qu’éliminer les apports de CO2. Et, dans tous les cas, il peut y avoir un décalage dans le temps.
Les mesures suggèrent que le taux en CO2 a peut-être légèrement augmenté lors des 50 dernières années. Les valeurs avancées sont : de l’ordre de 290 parties par million vers 1900 à environ 320 ppm vers 1935. Cette augmentation possible de quelques 30 ppm est à peine deux fois l’écart type estimé, que certaines mesures situent dans une fourchette de 10–17 ppm (Table 6–35N.)
Cette petite augmentation peut être réelle. Pour autant, peu de météorologues s’accordent sur le fait qu’une augmentation de 10% du taux de CO2 pourrait causer les fluctuations climatiques observées.
Peut-être la récente augmentation des températures s’est-elle déjà inversée. Peut-être n’y a‑t-il pas eu véritablement d’augmentation du taux de CO2 dans l’atmosphère. Peut-être que l’augmentation qu’on a pu avoir n’a eu aucun impact visible sur le climat. Peut-on se permettre d’en rester là sur cette question, sans investigation supplémentaire ?
La demande maximale plausible d’énergie peut nous entraîner à brûler, pas seulement les 40 Q [1Q = 1019 Btu] des réserves en ressources fossiles économiquement récupérables, mais peut être aussi une part des réserves marginales2 .
Autrement dit : dans les 50 ou 100 prochaines années, nous pourrions brûler jusqu’à 10 fois plus de combustible que dans les 50 dernières années. Par toutes nos activités, nous pourrions refouler ‑hors de- et injecter dans l’atmosphère 3000 ppm de CO2 – 10 fois le contenu actuel de 300 ppm.
Peut-être qu’une telle perturbation du cycle du CO2 contribuerait à augmenter suffisamment le contenu en CO2 de l’atmosphère pour impacter le climat et causer une élévation supplémentaire du niveau des mers. Nous ne le savons pas (*). Il faut qu’on sache.
(*) Les dernières expériences et calculs expérimentaux montrent qu’un doublement du taux de CO2 de l’atmosphère entraînerait une montée des températures de surface de 4°F [20/9 °C] toutes choses égales par ailleurs. D’autres facteurs contribuant au réchauffement de la terre pourraient être déclenchés par une augmentation du CO2 dans l’atmosphère. Elle pourrait entraîner une diminution de la pluviométrie par ses effets sur la couverture nuageuse, et une moindre couverture nuageuse pour la terre, les deux tendant à produire un climat plus chaud et plus sec. (Plass (Gilbert N.), 1953) (Wash. Post, May 5, 1953, p.5, citant un papier lu à la session d’ouverture de l’American Geophysical Union à la National Academy of Sciences.)
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1. L’auteur utilise le terme « weather » mais ses exemples tendent à montrer qu’il fait en fait référence au ‘climat’
2. On suppose que l’auteur fait la distinction entre réserves prouvées, probables et spéculatives, ainsi qu’entre réserves et ressources
CONCLUSION
Si une telle possibilité existe, que la croissance potentielle maximale de la demande d’énergie, couplée avec nos autres activités, qui pourrait par mégarde impacter le climat, nous devrions chercher à le savoir jusqu’à ce que le doute soit levé. S’il existe une telle possibilité que la croissance la plus plausible de la demande d’énergie, couplée à nos autres activités, puisse par inadvertance impacter le climat, nous devrions chercher à le savoir jusqu’à ce que le doute soit levé.
1953. Et donc il fallait qu’on sache.
2015. Nous savons.
Et années après années, les questions évoquées par Putnam ont été étudiées, complétées, approfondies et clarifiés par la science. Le GIECC a été créé en 1988. J’ai personnellement été frappé à la lecture du second rapport. Son cinquième rapport affirme en 2014 : “ Il est extrêmement probable que plus de la moitié de l’augmentation de la température de surface moyenne globale observée de 1951 à 2010 a été causée par l’augmentation anthropique des concentrations des gaz à effet de serre en même temps que d’autres forçages anthropiques. ”
Patient travail des scientifiques, écho répété à la mise en garde de Putnam. Mais, donc, à lire le cri d’alerte globale de Putnam poussé dès 1953, nombre d’entre nous le savent depuis longtemps, non ? Du fait des symptômes, du fait des principes physico-chimique de base sous-jacents, les scientifiques, les ingénieurs et les économistes (du type Putnam) nous ont permis d’anticiper l’impérative transition énergétique, depuis le milieu du siècle passé. Fallait-il attendre la confirmation par les études qui ont suivi ?
“Il faut qu’on sache”.
1953. ENERGY IN THE FUTURE
En 2015, “savoir” ne suffira plus … Nous savons que “Le réchauffement du système climatique est sans équivoque, et depuis les années 1950, la plupart des changements observés sont sans précédent depuis des décennies à des millénaires.” (GIECC 2014)
Il nous faut plus de Putnam.
Et il faut maintenant agir.
Cet article n’est pas inclus dans le dossier du journal papier
Le texte original de Putnam est disponible en américain dans le pdf (bouton supérieur ou ici)