Benoît Cœuré (87), un homme de convictions
Benoît Cœuré allie la jeunesse d’esprit, la réflexion lucide et l’expression claire, outre les qualités habituelles aux X, formés à l’analyse et au raisonnement logique. Comme nombre d’autres X, il hésita entre les lettres et les sciences, avant de choisir l’économie, par esprit citoyen et inclination vers la politique, au sens fort, celui d’une bonne organisation de la société.
Une tribu de littéraires
Ses origines familiales le portaient plutôt vers la rue d’Ulm, avec un grand-père normalien et germaniste, une mère normalienne et comparatiste, une sœur aînée normalienne et historienne.
Autre membre de cette tribu de littéraires, sa tante Véronique Schiltz, avec laquelle il traduisit et publia Acqua alta de Joseph Brodsky.
“ Il aime le questionnement des étudiants, que le respect n’étouffe pas ”
De ces universitaires, il hérita plus qu’un talent, une vocation d’enseignant. Ce qu’il en aime ? Le questionnement des étudiants, que le respect n’étouffe pas et qui soulèvent les bonnes questions, de fond. Le rafraîchissement, le réexamen de ce qu’on croyait savoir.
Son père, Philippe, était ingénieur au Centre d’études nucléaires de Grenoble, où il termina sa carrière en dirigeant la division Nucléart, expertisant des objets en bois, dont les fameuses pirogues de Bercy.
Sa mère, Catherine, enseignait à l’université Stendhal.
L’appel de la montagne
Benoît Cœuré eut ainsi une enfance grenobloise, suivant les cours du lycée Champollion, éprouvant les joies de la montagne, restée pour lui « essentielle », le plaisir de l’effort physique durant la randonnée, l’émerveillement devant la beauté du milieu naturel, celle des fleurs dans une prairie d’altitude.
Tous plaisirs aiguisés dans la résidence secondaire familiale, proche de La Mure, puis s’enracinant en des besoins durables.
Maths, mécanique et physique
Ses années de prépa, à Grenoble donc, furent marquées par Jacques Odoux, un prof de maths exceptionnel.
De ses années subséquentes à Palaiseau, Benoît Cœuré garde un excellent souvenir des cours de mécanique de Jean Salençon, et s’enthousiasma pour ceux de Roger Balian, en physique statistique, qui lui firent admirer la fécondation de la physique par les maths.
Il fut près d’en faire son miel, mais ne se sentit pas suffisamment fort en maths pour une carrière de chercheur en physique théorique.
Du japonais médieval
Les mathématiques appliquées lui étant moins ardues, il opta donc pour l’économie.
Avant d’y venir, un dernier mot de ses études à Palaiseau, son initiation au japonais, Mme Ishii Yoko fut son enseignante, puis Maurice Coyaud. Il poursuivit cette formation à Paris-VII-Diderot, avec Jacqueline Pigeot et Jean- Noël Robert, aux cours « lumineux » de japonais médiéval, jusqu’à la licence obtenue en 1991.
Benoît Cœuré a le Japon en affection, une société pour lui « d’entraide et de gentillesse » ; il estime la culture nipponne proche de la nôtre.
Une tradition française
En 1992, il entra à l’INSEE, où il passa trois ans et demi, économiste en charge de la politique macroéconomique et de croissance. Il y eut comme maître Paul Champsaur, autre X lui aussi grenoblois d’origine, qui s’inscrit dans la tradition française (Alfred Sauvy) d’une économie instruite par la démographie et la statistique.
“ Il a horreur des intrigants, de ceux qui ne se privent pas de manipuler la vérité ”
Puis ce fut, de 1995 à 1997, la direction du Trésor. Benoît Cœuré s’y plut, et son goût marqué pour la discussion, le débat et la controverse, la négociation aussi, put s’y donner libre cours. Dans les années ultérieures, il fut l’un des sherpas du G20, en 2008–2009, qui lui laisse un excellent souvenir.
Il fit une ascension rapide des échelons de son administration, où il devint en 2009 directeur général adjoint. Depuis 2012, Benoît Cœuré fait partie du directoire de la Banque centrale européenne.
Le calme dans la tempête
C’est un homme de convictions, attachant par la richesse de sa personnalité, bien informée des arts et des lettres, fervente de poésie (Pierre- Jean Jouve) –, et par la continuité de son parcours depuis l’X.
La principale qualité de Benoît Cœuré, homme ouvert, chaleureux, d’une grande richesse intérieure, est de son propre aveu le calme qu’il conserve, même dans les moments les plus intenses.
Par contre, il a horreur des intrigants, de ceux qui ne se privent pas de manipuler la vérité à des fins personnelles.
Pour en savoir plus :
Avec Agnès Bénassy-Quéré, Économie de l’euro, 3e éd., Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2014.
RETOUCHE
article mis à jour le 14 mai 2020
Benoît Cœuré (87) a quitté ses fonctions de directeur de la Banque centrale européenne à Francfort fin décembre 2019. À présent que Christine Lagarde a succédé à Mario Draghi à la tête de la BCE, et comme deux ressortissants du même pays ne peuvent coexister dans sa direction, il est appelé à d’autres fonctions. Le gouvernement français l’a d’ores et déjà placé à la tête d’une task force sur la thématique des cryptoactifs. Le sauvetage de la Grèce peut lui être crédité.