Optimiser l’organisation du spectacle vivant
Un encore jeune camarade qui quitte une situation confortable pour se lancer dans une édition de logiciel facilitant la gestion quotidienne des gens du monde du spectacle. Il y trouve l’occasion de valoriser son expérience d’administrateur de festival.
Pourquoi as-tu créé Orfeo ?
Cette entreprise est pour moi une forme d’aboutissement. Elle me permet de faire la synthèse entre mes compétences techniques et ma connaissance des métiers du monde du spectacle. À cela s’ajoute le caractère passionnant de l’entrepreneuriat.
C’est aussi une réponse à un besoin du marché : le secteur du spectacle vivant se digitalise et avait besoin d’un outil innovant adapté à ses besoins spécifiques.
Cela n’a pas dû être facile de te lancer ;
quels ont été les principaux écueils ?
La première difficulté a été d’être capable de tout arrêter – une activité de consultant free-lance confortable – pour me dédier à 100 % à Orfeo. Je me suis mis en danger financièrement mais cela a été un moteur formidable : j’ai pu me focaliser entièrement sur le projet, et la pression de la trésorerie m’a obligé à obtenir des résultats rapides.
“ Il y a plus de 40 000 entrepreneurs de spectacles en France ”
La deuxième difficulté a été de convaincre les premiers clients, uniquement sur la base d’un prototype. À ce stade, c’est la vision et la capacité à gagner qui ont fait la différence.
Enfin, ce qui a été complexe – et l’est toujours aujourd’hui – c’est de devoir être à la fois au four et au moulin : noyé jusqu’au cou dans l’opérationnel et en même temps capable d’avoir une vision stratégique.
L’accompagnement du Réseau Entreprendre et les conseils des investisseurs m’ont beaucoup aidé à prendre ce recul nécessaire.
Tu es administrateur de festival :
qu’est-ce que cela change dans ton approche business ?
Tout. Je n’aurais pas lancé Orfeo si je n’avais pas participé à l’organisation du festival Musique à l’Emperi à Salon-de- Provence depuis maintenant près de vingt ans. Cela m’a permis d’exercer les différents métiers sur le terrain – recherche de financement, communication, production, administration – et de bien comprendre les spécificités du secteur.
Et puis cela demande de la conviction et de la passion de développer un logiciel pour le monde du spectacle vivant. « Je n’aime pas votre marché », m’a dit un jour un banquier qui me conseillait de pivoter vers un logiciel métier pour les pharmacies.
Peut-être ignorait-il qu’il y a plus de 40 000 entrepreneurs de spectacles en France, alors qu’il n’y a que 24 000 pharmacies ?
Quels sont les principaux enjeux liés à la digitalisation dans le monde du spectacle ?
Thomas Pétillon est administrateur du festival de l’Emperi
depuis vingt ans. © NICOLAS TAVERNIER
La digitalisation apporte de nombreuses innovations utiles au monde du spectacle : la signature électronique simplifie la gestion des contrats, les paiements cashless facilitent les flux lors des spectacles, les réseaux sociaux permettent de créer de nouveaux liens avec le public, les plates-formes de crowdfunding permettent de diversifier les sources de financements.
Mais il est vrai que cette vague de fond peut faire peur : les données en ligne sont-elles sécurisées ? La signature électronique est-elle valide juridiquement ?
C’est pour cela qu’Orfeo a lancé Coulisses , un magazine en ligne qui décrypte les nouveaux enjeux liés à la digitalisation dans le spectacle vivant. Pour mieux expliquer à nos utilisateurs potentiels comment tirer parti de ces nouvelles possibilités.
Orfeo a‑t-il vocation à se déployer à l’international ?
Oui, absolument. Orfeo est déjà présent dans plusieurs pays francophones et a vocation à se développer à l’international. En effet, notre marché est, par nature, mondial : les artistes se déplacent beaucoup, les producteurs français organisent des tournées à l’étranger. Aujourd’hui, des artistes étrangers (représentés par des agents artistiques français) utilisent déjà Orfeo.
De plus, il y a des parts de marché à prendre, car le marché arrive à maturité et le nombre de solutions concurrentes reste limité. Notre premier objectif est d’atteindre une masse critique en France (100 à 150 clients). Puis de nous développer en Allemagne, en Autriche, au Royaume-Uni et en Europe du Nord dès cette année.
Comment ton produit est-il perçu par les artistes ?
Les artistes sont très friands d’innovations digitales. Ils sont fréquemment en déplacement et cherchent toujours des moyens de mieux s’organiser. À titre d’anecdote, je constate que l’usage des partitions numériques sur tablettes – avec une pédale Bluetooth pour tourner les pages – s’est considérablement développé.
Dans ce contexte, Orfeo est extrêmement bien accueilli car il permet aux artistes d’avoir une visibilité en temps réel sur leur planning depuis leur smartphone et d’interagir facilement avec leurs agents artistiques ou les producteurs de spectacles qui les embauchent, voire de gérer eux-mêmes leur organisation et leur propre promotion.
Quelles sont les qualités pour créer une entreprise, en France, en 2016 ?
J’en citerais principalement trois. D’abord, accepter d’être à l’écoute : un produit ou un service doit répondre à un besoin du marché. Get out of the building, prône Éric Ries dans sa méthodologie Lean Startup.
“ Dans un processus de création d’entreprise, rien ne se passe comme prévu ”
Il faut être à l’écoute des problèmes sur le terrain, afin de pouvoir y apporter une solution concrète qui n’existe pas encore. Et cette écoute, il faut la conserver dans la durée, avec son équipe, ses partenaires, ses investisseurs, etc.
Ensuite, accepter l’incertitude : dans un processus de création d’entreprise, rien ne se passe comme prévu, il y a en permanence des bonnes et des mauvaises surprises. Alors il faut être capable de vivre avec ça.
Enfin, garder le cap : même s’il est important d’échanger, d’être ouvert, voire de pivoter si nécessaire, il faut être convaincu de son idée et être capable de garder le cap, surtout par gros temps.
Est-ce que ton parcours à l’X t’a aidé à créer Orfeo ?
C’est un peu une question piège. En un sens, non : analyse de marché, stratégie marketing et commerciale, recrutement, management, recherche de financements, etc., j’ai tout appris sur le terrain.
Mais fondamentalement, oui bien sûr : la capacité à faire la synthèse d’un grand nombre d’informations et de garder la tête froide en situation de défi, je l’ai acquise pendant mes études. Enfin, les amitiés que j’ai nouées à l’X ont joué un rôle important dans le développement d’Orfeo.
Que conseillerais-tu à un jeune X qui voudrait suivre ta voie ?
D’abord, je lui dirais de ne pas hésiter à se mettre en danger. Qu’il prenne conscience qu’il est armé d’un diplôme qui lui permettra de rebondir si son projet échoue. Et qu’il en profite pour s’investir à fond sur son projet de création.
Puis je lui conseillerais de ne pas être trop perfectionniste. C’est souvent un trait de caractère propre aux ingénieurs. Or, on apprend en marchant, en faisant des itérations. J’aime beaucoup la maxime Done is better than perfect de Mark Zuckerberg.
Enfin, je lui dirais surtout de suivre « sa » voie. Une création d’entreprise, c’est une course de fond, avec des hauts et des bas. Il est primordial que le projet corresponde à une envie profonde, qu’il fasse écho à des valeurs personnelles. Sinon, c’est difficile de tenir dans la durée.
Si c’était à refaire ?
Si je devais tirer un enseignement du passé, je retiendrais l’importance d’être ambitieux dès le départ. Je ne le suis devenu que, progressivement, soutenu et encouragé par mes proches et les personnes qui m’ont accompagné. Alors, vous aussi, soyez ambitieux.