De quoi nos entreprises sont-elles malades ?
Une société est en difficulté lorsque le coût du temps passé est trop élevé, le temps passé est trop long ou que l’activité est en sous-charge. Il faut donc maîtriser sa performance et sa compétivité, se réindustrialiser et flexibiliser le temps de travail.
Quels que soient la taille et le modèle économique d’une entreprise ou d’une activité qui connaît des pertes, trois causes en sont toujours discernables :
- le coût complet unitaire du temps passé à réaliser la prestation vendue est trop élevé par rapport aux prix pratiqués sur le marché ;
- le temps passé à réaliser la prestation est trop long par rapport aux références compétitives du métier ;
- l’activité est en sous-charge.
Souvent, il existe un mélange de ces trois causes. Il faut alors quantifier chacune d’entre elles , car les remèdes immédiats à y apporter diffèrent significativement.
REPÈRES
De multiples causes, autant internes qu’externes, viennent régulièrement perturber le fonctionnement des entreprises, réduire leurs performances et engendrer des difficultés qui deviennent parfois si importantes que l’entreprise se voit contrainte à se restructurer, s’adosser à plus fort, voire disparaître.
Alstom, Fagor-Brandt, Heuliez, Caddie, Alcatel-Lucent, Areva sont autant d’exemples récents de sociétés qui ont vécu ces graves difficultés.
Mais il est tout aussi nécessaire d’en rechercher les causes « racines », qui sont d’une variété infinie et ne peuvent généralement être traitées que dans le temps : problèmes de qualité, modèle économique partiellement ou totalement non rentable, sous-investissement, organisation lourde ou inadaptée, prise de risques non maîtrisée, chute du marché, mutation technologique, etc.
C’est lorsque l’entreprise n’a plus la trésorerie suffisante pour financer les solutions aux causes « racines », qui nécessitent du temps et des investissements pour leur mise en oeuvre, qu’elle se voit contrainte de s’adosser ou de disparaître.
Le coût du temps
Le développement du contrôle de gestion et de la comptabilité analytique par affaire grâce aux fameux logiciels ERP (enterprise resource planning, gestion intégrée) a effacé la culture « comptabilité générale » des entreprises, culture pourtant indispensable si l’on veut suivre efficacement sa performance et sa compétitivité.
LA COMPÉTITIVITÉ DU COÛT DU TEMPS EN FRANCE
Le grand débat de 2014 sur la compétitivité des entreprises françaises en regard de leurs homologues allemandes, qui a conduit à la création de l’usine à gaz qu’est le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) portait précisément sur ce point.
Ce débat s’est focalisé sur les taux de charges sociales. Mais le problème n’est pas là, puisque ces taux n’ont pas significativement évolué en France depuis la mise en place de l’euro en 2001, et qu’en 2001 la France était reconnue comme plus compétitive que l’Allemagne.
L’analyse en comptabilité générale montre qu’en moyenne les salaires ont augmenté chaque année de 2 % en France contre 0,5 % en Allemagne, soit 25 % de différence au bout de quinze ans.
Une réalité politiquement peu audible.
Les activités des grands groupes sont quasi exclusivement pilotées par la comptabilité analytique et nombre de grosses PME sont dans le même cas.
Ce n’est pourtant que par l’analyse de la structure de coût par nature apportée par la comptabilité générale (salaires, charges sociales, loyers, systèmes informatiques, amortissements, etc.) que l’on peut identifier si chaque métier pratiqué dans l’entreprise est dans une situation de coût du temps compétitive ou non.
Chacun peut constater que les artisans auxquels il fait appel facturent du temps selon des taux horaires. Or, les activités ou entreprises en difficulté ont très souvent une structure de taux horaires trop lourde par rapport à leurs concurrents.
Mais elles ne le savent pas.
Réindustrialiser la France
Faire tourner une presse deux fois plus vite divise par deux le coût de fabrication hors matières. Mettre un seul opérateur pilote pour deux presses au lieu d’un par presse a le même effet, car le coût d’amortissement est presque négligeable en regard du coût salarial.
La productivité du temps de l’entreprise est d’abord la productivité du temps humain, à de rares exceptions près. La délocalisation de nombreux emplois industriels en a été la conséquence logique.
Mais ce temps humain de fabrication qui a été une faiblesse et a généré de nombreuses disparitions de sites industriels et d’entreprises au cours des trente dernières années pourrait redevenir une force du fait de l’arrivée de nouvelles générations de machines-outils et robots plus souples et moins chers.
La qualité maîtrisée et totalement reproductible des fabrications robotisées pousse en effet d’une part à l’intégration complète des savoir-faire dans les machines de production et d’autre part à robotiser au maximum les ateliers.
Le temps humain est ainsi de moins en moins au coeur de la productivité industrielle. C’est l’ingénierie et la maintenance des processus et des automatismes industriels qui deviennent l’enjeu central de la compétition manufacturière.
Ce sont nos emplois industriels de demain et ils sont à haut niveau de qualification.
Flexibiliser le temps de travail
Mettre un seul opérateur pilote pour deux machines au lieu d’un par machine divise par deux le coût de fabrication. © KZENON / FOTOLIA.COM
La situation de sous-charge est souvent totalement ou partiellement enfouie dans des temps de réalisation trop longs. Elle est alors plus difficile à déceler. Nous avons même pu voir des usines qui ralentissaient volontairement les processus de fabrication pour occuper les équipes.
Cette sous-charge peut être de trois types : saisonnière, conjoncturelle ou structurelle.
Les sous-charges saisonnières et conjoncturelles doivent être traitées par des accords collectifs d’entreprise qui annualisent le temps de travail avec une amplitude pouvant aller de 0 à 48 heures de travail hebdomadaire, ce que la loi permet.
Il est surprenant de voir que de nombreuses entreprises en difficulté subissant ces types de sous-charge n’utilisent pas encore cette possibilité.
La flexibilisation du temps de travail constitue pourtant un levier fort de renforcement de la qualité de service offerte aux clients, d’optimisation de l’organisation, et donc de pérennisation des activités et des emplois.
Au-delà de ces trois causes immédiatement discernables qui se répercutent sur la rentabilité des activités, on rencontre très souvent deux problématiques qui touchent au financement de l’entreprise et à son organisation générale.
Délais de paiement et autres artiices abusifs
La trésorerie est un point clé, en particulier pour les petites et moyennes entreprises. La bataille pour la maîtrise de la trésorerie fait donc rage entre les entreprises, toujours au bénéfice des plus grosses.
Le délai de paiement moyen dans les pays du nord de l’Europe est inférieur à trente jours, quand il dépasse soixante jours en France, et plus encore dans les pays du sud de l’Europe. © OLIVIER LE MOAL / FOTOLIA.COM
Car seul compte le rapport des forces. Cette situation est culturelle. Le délai de paiement moyen dans les pays du nord de l’Europe est inférieur à trente jours, quand il dépasse soixante jours en France, et plus encore dans les pays du sud de l’Europe.
Or, trente jours de délai de paiement supplémentaires représentent un manque permanent de trésorerie de 1 million d’euros pour une PME de 10 millions d’euros de chiffre d’affaires. C’est énorme. Chacun peut comprendre pourquoi les PME françaises ont tant de mal à devenir des ETI.
Les délais de paiement ne sont cependant que la partie émergée d’un iceberg : de multiples artifices sont mis en oeuvre par les gros donneurs d’ordres pour payer leurs achats le plus tard possible.
Ainsi, dans la filière aéronautique, dont la santé des gros acteurs est actuellement florissante, les PME de rang 2 subissent des besoins en fonds de roulement représentant typiquement six mois de chiffre d’affaires.
Impossible de financer la croissance d’une telle entreprise – sauf si sa rentabilité est très forte, ce qui est rarement le cas.
Le monde de la grande distribution a également inventé d’innombrables artifices pour payer, in fine, moins cher et plus tard. Nombre de PME françaises n’auraient pas disparu si leur trésorerie n’avait pas été ainsi confisquée par les grandes entreprises. La solution ?
Faire déclarer par ceux qui les pratiquent ces artifices et abus qui parasitent le bon fonctionnement économique, puis les taxer. Donner ainsi un prix aux pratiques délétères. Car l’expérience prouve que les interdire ne suffit pas.
Remettre les arbitrages au plus près du terrain
Les grands groupes adoptent très souvent une organisation en silos qui sont autant de centres de pouvoirs jalousement conquis et préservés. Dans cette organisation, les rattachements hiérarchiques sont structurés par les métiers ou fonctions de l’entreprise : commerce, R & D, production, qualité, achats, gestion, ressources humaines, etc.
Il en résulte que chaque métier ou fonction optimise sa performance propre indépendamment de la performance globale de l’entreprise, qui n’est de facto plus pilotée.
QUATRE MODÈLES ÉCONOMIQUES DE FABRICATION
Les fabrications de grandes séries ont été fortement délocalisées. Ne sont principalement restés en France que quatre modèles économiques de fabrication :
-
les produits dont le coût de transport est rapidement prohibitif (goudron, ciment mais aussi réservoirs d’essence, roues de bicyclette, etc.),
-
les produits de création originale dont le prix de vente est décorrélé du coût de fabrication (produits de luxe, produits innovants, etc.),
-
les fabrications nécessitant un savoir-faire industriel rare et très long à acquérir,
-
enfin les fabrications intégrant un fort contenu de services.
Les arbitrages quotidiens ne se font plus car le premier arbitre qui soit commun à tous les silos est le P.-D.G. du groupe, et ce n’est pas son rôle. Le rapport de force qui s’établit après de multiples réunions entre les services devient la main aléatoire qui décide. Et elle décide mal.
Cette organisation génère plusieurs autres graves défauts : des délais de décision trop longs, une forte déresponsabilisation et démotivation des managers dont le bon sens est mis à rude épreuve, la standardisation outrancière des méthodes de gestion et procédures qui est imposée en dépit de la variété des situations et qui produit de multiples dysfonctionnements, un surdimensionnement qualitatif et quantitatif des services, et finalement des coûts de fonctionnement trop élevés.
L’organisation constatée comme étant la plus efficace reste celle où chaque matrice élémentaire « produit/service x marché » est sous une responsabilité hiérarchique unique, la plus basse possible, qui intègre toutes les fonctions de l’entreprise et qui s’engage sur le résultat d’exploitation.
Les fonctions centrales se limitent alors aux rôles de pilotage de la stratégie, de codéfinition des objectifs, de partage des meilleures pratiques, de contrôle a posteriori et de gestion de la trésorerie.
4 Commentaires
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Le coût du travail… l
Le coût du travail… l’inflexibilité du travail.… C’est un refrain connu, mais qui flatte une intuition libérale plutôt que de fournir une explication holistique de la stagnation économique. Quid du coût exorbitant du capital ? Je vous recommande de taper « law of diminishing returns » dans votre navigateur préféré, et de commencer à faire un peu de lecture économique hétérodoxe.
gail tverberg, richard heinberg, ugo bardi, piketti, wolfmann et même adam smith si vous voulez.…
Le coût du travail n’est une
Le coût du travail n’est une donnée que relative : si votre concurrent paie le travail moins cher, votre entreprise doit être plus productive pour compenser cet écart ! Et si votre concurrent est déjà organisé de façon très productive, votre entreprise est en danger. La flexibilité est également une donnée relative à votre marché, à ce que demandent vos clients. Vous devez lui fournir vos prestations à l’heure convenue sans que les salariés se tournent jamais les pouces. Compliqué !… Pensez à la flexibilité que vous réclamez à tous vos fournisseurs quotidiens : l’électricité dès que vous allumez votre lumière, de l’essence dès que votre réservoir est vide, un taxi dès que vous avez besoin, etc…
Le coût du capital n’est pas du tout exorbitant. Il est très facile et très peu coûteux d’en obtenir. Ce qui pose problème et que Piketty a très bien fait ressortir dans son ouvrage « Le capital au 21ème siècle », c’est la répartition entre rémunération du travail et rémunération du capital. C’est tout autre chose, et je suis bien d’accord avec lui !
Causes des difficultés
L’examen des causes me semble limité à un nombre réduit.
Pour moi – et c’est ce que j’ai enseigné aux HEC Entrepreneurs- ce sont
• ACCIDENT
• PRELEVEMENTS ABUSIFS
• ERREURS STRATEGIQUES
• Sommeil
– technologique
– marketing
• Investissement raté (surdimensionné, trop sophistiqué, implantation à l’étranger,etc)
• Division insuffisante du risque
• Diversification hasardeuse
• Mauvais « business model »
• ERREURS DE GESTION
• Faiblesse ou absence du contrôle de gestion
• Poids excessif des frais de structure
• Organisation inadéquate industrielle ou commerciale
• Faiblesse ou absence du consensus interne (social, managérial, …) ou externe (bancaire, actionnarial ou familial, …)
Cette classification m’a été utile pour comprendre plus de 80 dossiers pendant 6 ans passés au CIRI et bien d’autres dans les 30 années qui ont suivi. Et même maintenant
Cordialement
Les causes racines des
Les causes racines des difficultés des entreprises que vous citez croisent mon expérience mais de façon non exhaustive. Vous ne citez par exemple aucune cause de mauvaise structuration du financement du bilan, et/ou de la croissance. Causes pourtant très classiques. Mais l’important est de comprendre que les causes racines possibles sont très nombreuses et qu’il convient de les identifier avant que la trésorerie ne soit asséchée.
Bien cordialement,