Le carve-out : réussir la transformation
Un carve-out correspond à la cession de tout ou partie d’une activité, en principe non stratégique, par un groupe. L’objectif est donc de restaurer une valeur économique durable pour la partie cédée. Cela se prépare très en amont, avec l’adhésion des dirigeants et des employés, et doit s’inscrire dans une vision globale des nouveaux actionnaires.
Les cessions sont motivées par une multitude de facteurs. Elles prennent différentes formes, de l’introduction en Bourse à la cession à un concurrent. Elles concernent aussi bien des filiales autonomes et rentables que des agglomérations de branches d’activités non stratégiques.
“ Pour une équipe dirigeante, vendre est un signe de maturité ”
En cas de situations opérationnelles et financières délicates, ces entités peuvent aussi être cédées à des investisseurs experts de ces situations, souvent des fonds d’investissement ayant l’expertise adéquate.
Ce dernier cas est particulièrement intéressant : la prise d’autonomie impose à l’entité détourée de se réinventer, de manière indépendante, avec un nouveau partenaire de référence. À la clé, le plus souvent, une régénération de l’outil industriel et une évolution du modèle d’affaires, pour permettre d’écrire une nouvelle page de l’histoire de l’entité.
Le cas d’Alteo viendra illustrer par les faits que le carve-out est avant tout une transformation qui se prépare en amont et qui se gère méticuleusement tant techniquement qu’humainement.
REPÈRES
Depuis plusieurs années, près de la moitié des opérations de fusion- acquisition résultent d’une décision par certains grands groupes de céder une partie de leurs activités.
Les récents exemples tels que la cession de Bostik par Total en 2014, rachetée par Arkema – elle-même dans le giron du groupe pétrolier jusqu’à son introduction en Bourse en 2006 –, font même de la France un pays extrêmement actif en termes de cessions d’activités par des grandes entreprises.
Le désinvestissement a de l’avenir
Vendre, pour certains, c’est un peu mourir. C’est une décision lourde que de se séparer d’une partie de soi qui implique le départ de compétences spécifiques ou la sortie de certaines zones géographiques.
Néanmoins, se désengager d’activités non stratégiques permet aussi de trouver les moyens de sa renaissance, en se concentrant sur les activités qui feront la force du groupe à terme. C’est en quelque sorte l’application au niveau microéconomique de la théorie de la spécialisation des économies de Ricardo.
Pour autant, il ne s’agit pas d’opérations de pur arbitrage financier. Chaque groupe doit aujourd’hui mettre en place une réflexion stratégique pour identifier les activités qui produisent l’avantage relatif le plus important et celles dont le désavantage relatif est le plus lourd de conséquences. Pour une équipe dirigeante, vendre est donc le signe qu’un seuil de maturité a été franchi.
L’autocritique sert ici de rampe de lancement pour se renouveler et financer sa stratégie de recentrage ou de redéploiement.
Un passage parfois obligé
“ Imaginez transformer votre salon en un appartement autonome ”
Mais des cessions se font souvent sous la contrainte. Vendre est alors le passage obligé pour renforcer son indépendance ou assurer sa survie.
C’est le cas de groupes fortement endettés, ou ne pouvant affronter tous les obstacles en même temps, et qui utiliseront par exemple les liquidités dégagées pour assainir leur bilan.
D’autres cessions ne sont que la conséquence d’autres opérations capitalistiques : la fusion en cours entre les géants du ciment Lafarge et Holcim par exemple. Les deux groupes estiment à plusieurs milliards d’euros le total des revenus des activités à céder, et les justifient aussi bien par des raisons de doublons géographiques que pour anticiper les demandes éventuelles des autorités de concurrence.
DIFFÉRENTS TYPES DE CESSION
Pour concevoir un carve-out, la première chose est de définir le périmètre de l’entité à céder. Ensuite, il est important d’arrêter l’objectif principal du cédant : ce peut être la maximisation aussi bien de la valeur de l’entité cédée que de la probabilité de bonne réalisation de l’opération.
Il est donc primordial de comprendre les différents cadres de sortie et de choisir le bon, selon la finalité de l’opération.
La scission (par exemple via une introduction en Bourse) a en commun avec la cession une certaine prise de distance de la société vendeuse avec l’entité désinvestie. L’actionnariat demeure souvent le même et reçoit alors des titres de la nouvelle société.
La cession à un concurrent, également assez classique, permet au repreneur de consolider sa position sur le marché et au vendeur d’optimiser la valeur de l’opération.
Enfin, la cession à un investisseur expert (fonds d’investissement ayant le savoir-faire requis) a habituellement pour objectif de donner une pleine autonomie à la société et de permettre au nouvel actionnaire de référence de l’accompagner dans sa transformation.
Ces situations présentent de nombreuses complexités mais aussi de multiples possibilités de développement.
Des prérequis
Imaginez transformer votre salon en un appartement autonome. Il faut définir l’espace, lui donner une existence juridique, valider le projet avec ses occupants, réfléchir à la façon d’organiser son fonctionnement différemment et de manière autonome, sans gêner les voisins à venir et actuels, etc.
Il s’agit de faire des travaux de transformation possiblement lourds, tout en garantissant le minimum de gêne pour les habitants.
L’image s’arrête là, tant les problèmes posés par une opération de carve-out sont autrement plus complexes compte tenu des intérêts opérationnels, humains et économiques à l’œuvre, sans compter l’immixtion de nombreux acteurs (syndicats, clients, fournisseurs, administration, etc.).
L’usine de Gardanne, le principal site industriel d’Alteo, vit une nouvelle aventure sous l’égide de HIG Capital
depuis la reprise de la société auprès de Rio Tinto Alcan.
Se préparer en amont
Un carve-out est la transformation par excellence pour l’activité cédée. La transition vers une situation autonome nécessite de travailler avec toutes les parties prenantes (vendeur, repreneur, dirigeants, employés) avec efficacité et dans le respect de la culture de l’entreprise.
“ L’objectif est de restaurer une valeur économique durable ”
Vendeur comme acquéreur doivent préparer la reprise en amont de manière très précise non sans anticiper les obstacles inhérents à ce type d’opération. Il est primordial, par exemple, que l’outil informatique, la remontée des chiffres, la livraison des clients ou encore les ressources humaines puissent fonctionner correctement une fois le « cordon ombilical » coupé.
L’acquéreur doit ainsi s’assurer de la bonne continuité des opérations de l’entité reprise et limiter autant que possible le retentissement de la séparation sur la société, ses employés et leur motivation, tout en maintenant de bonnes relations avec les clients et fournisseurs.
Pour le vendeur, il ne s’agit pas seulement de réaliser une opération lucrative, mais aussi de choisir le bon repreneur pour l’entité cédée. Il doit valider que le repreneur a la capacité financière et le savoir-faire nécessaires pour assurer la pérennité de l’activité de l’entité après l’opération.
Les conséquences en termes de réputation sont du reste un élément important pris en compte par les grands groupes dans ces situations.
Restaurer la valeur
L’EXEMPLE D’ALTEO
En 2012, HIG Capital a acquis l’activité d’alumine de spécialité de Rio Tinto Alcan basée à Gardanne, et renommée Alteo. Cette activité (300 millions d’euros de chiffre d’affaires) était historiquement dans le giron de Pechiney.
HIG Capital a travaillé étroitement avec l’équipe dirigeante et les employés pour accompagner Alteo dans sa sortie du géant minier et dans son nouveau projet de développement, avec pour objectif l’indépendance, la croissance et la pérennité de la nouvelle société.
Les équipes ont été complétées et le remplacement de chaque service jusqu’alors géré par Rio Tinto Alcan, minutieusement préparé. La culture de la société a été maintenue (le savoir-faire des employés reste souvent l’atout essentiel d’une entreprise et doit être remis sur le devant de la scène lorsque le modèle d’affaires évolue).
Le client a été remis au centre de l’équation (une dizaine de bureaux commerciaux ont été ouverts à l’international), ce qui avait été progressivement perdu au fil des changements d’actionnaires.
Le positionnement a été revu à travers un effort important sur les produits de spécialité, impliquant un changement d’approche fort par rapport à l’ancien actionnaire.
Le fonctionnement industriel a été revu pour redynamiser la performance ; des parties du processus industriel historiquement sous-traitées ont été réintégrées afin de retrouver un savoir-faire propre et d’entièrement maîtriser les produits.
Aujourd’hui, Alteo est une société à part entière qui envisage son avenir avec beaucoup d’ambition. La prudence doit toujours rester de mise, car aucune entreprise n’est à l’abri de risques, qu’ils soient exogènes ou endogènes.
Pour autant, l’exemple d’Alteo permet de mettre en exergue, dans un cas pratique, une approche pragmatique d’un carve-out et de la transformation associée, où l’objectif reste de retrouver une valeur économique durable.
Compte tenu de la complexité de ces opérations de carve-out et de la diversité des sujets à traiter en même temps, et parfois dans l’urgence, il est naturel de faire appel à des ressources externes (conseils spécialisés, dirigeants de transition avec expérience de situations similaires).
Dans le cas d’un rachat par un fonds d’investissement, il est aussi important que le repreneur ait une véritable expérience dans ce type d’opération.
Rien ne doit être laissé au hasard : les deux sujets clés sont d’abord la mise en place précise, complète et coordonnée de la transition avec le vendeur, et ensuite celle du plan de changement stratégique, organisationnel ou opérationnel (ou l’ensemble de ces aspects). L’objectif est de restaurer une valeur économique durable.
Ce qu’il faut savoir
La variété et la complexité des situations nécessitent un travail rigoureux d’analyse tant en amont qu’en aval. Il s’agit d’abord d’appréhender de manière précise les contraintes opérationnelles de séparation de l’entité (services partagés avec le groupe par exemple) ainsi que les problèmes intrinsèques à l’activité qui vont devoir être traités.
Ensuite, il est primordial de prévoir un plan complet afin que, dès le premier jour, la nouvelle société puisse opérer correctement et s’attacher à sa transformation (par exemple, internalisation de compétences historiquement perdues, amélioration de la performance opérationnelle, hausse de la qualité des services aux clients, recrutements additionnels adéquats, etc.).
Enfin, la relation de confiance entre vendeur, repreneur et dirigeants et employés de l’entité reprise est d’une importance extrême. La dimension humaine est un facteur essentiel, tout comme la ténacité et la capacité d’adaptation à des situations compliquées, nouvelles et variées.
Reprendre une activité basée en France, avec un vendeur dont les centres de décisions sont multiples et internationaux, exige une capacité de synthèse et de conviction importante.
Finalement, il faut être en mesure d’apporter un nouveau souffle et de susciter l’adhésion, source du changement et de la transformation.