citiux, altiuX, fortiux
Une série sur les sportifs
Remarque liminaire : ce papier me permet également de prolonger la série sur les X sportifs, série initiée avec Yves du Manoir, avec les X qui sont arrivés, à ma connaissance, au plus haut niveau international depuis Borotra (1920S). Les 5,80 m de Khalid en 1998 le plaçaient en effet, à l’époque, parmi les 50 meilleurs perchistes de tous les temps. Cette série se prolongera avec d’autre rugbymen, un judoka, un joueur de tennis, quelques nageurs, footballeurs et sprinters.
Seconde remarque liminaire : les Lachheb sont SYMPAS ! Et ça fait toujours plaisir d’écrire sur des gens sympas. Pas comme Borotra à qui j’ai un peu de mal à pardonner d’avoir été commissaire aux sports de Pétain…
Corollaire / disclaimer : je ne me fais pas d’illusion, cela commence à devenir une habitude, je suis certain de ne pas me faire que des copains en écrivant ce papier. Certains des lecteurs se reconnaîtront peut-être (commandant de promo, directeur général, entraîneurs). A tout moment, c’est moi qui parle et juge. Pas eux. Merci de ne pas leur en vouloir de mes jugements à l’emporte pièce.
Une brève présentation du contexte
Les Lachheb mènent de front études et saut à la perche. L’année du bac (1993), ils font premier et deuxième au championnat d’Europe juniors. En sup (1994), Taoufik fait troisième aux championnat du monde juniors. Ils arrêtent la compétition pendant deux ans, et recommencent à s’entraîner en 1996. En 1998, Khalid saute 5,80m en plein-air. L’année suivante, Taoufik saute 5,72m en salle. Ils ne feront jamais mieux.
Conseil aux parents
« Notre mère nous forçait mais nous on n’aimait pas ». Khalid ou Taoufik – l’un ou l’autre ou les deux – parle bien sûr de cette idée saugrenue qu’ont les parents de jumeaux de les habiller de la même façon. Je compatis. Ce qui ne m’empêche pas de mettre ici quelques photos qu’ils m’ont aimablement fournies. Vous noterez qu’à l’Ecole on eut l’idée encore plus saugrenue de leur donner un uniforme identique…
Ils ont beau grandir, ils sont toujours habillés de la même façon
Maman, laisse nous nous habiller comme on veut !
Des purs produits de la République. Et pourtant…
Nos amis sont doublement de purs produits de la République. Ce sont tout d’abord les produits de l’école républicaine : venus d’un milieu modeste ils intègrent l’X, tous les deux – et en 3⁄2 qui plus est – parce que leur père leur avait dit « ingénieur, c’est important ».
Mais ce sont aussi, et je ne peux que vous encourager à lire l’ouvrage Le Sport de la République dont je donne les coordonnées en annexe, des produits de l’organisation gaullienne du sport, articulée autour de deux piliers : les fédérations – délégataires de l’Etat – et les clubs – fonctionnant sur le bénévolat.
Nous avons ainsi des personnages emblématiques, symbolisant en vrac l’ascension sociale, l’intégration, la réussite sportive, l’école laïque et obligatoire, et… personne n’en profite.
- L’École ne s’en occupa pas plus que ça,
- L’armée qui, pourtant, distribue de nos jours les contrats de sportifs de haut niveau à tour de bras, et pour laquelle, à la fin des années 90, la reconversion de l’Ecole Interarmées des Sports (le fameux bataillon de Joinville) est un véritable enjeu, n’a pas l’idée de leur proposer un contrat d’ORSA (les Officiers Sous contrat de l’époque).
- Quant à la Fédération Française d’Athlétisme elle semblait, avec le recul, mal à l’aise avec nos amis. Paroles d’officiels de la fédé :
- « Je n’aime pas ceux qui courent 2 chevaux à la fois »
- « en France on a de la mauvaise perche : quand il y a des gars qui sautent haut, il reprennent des études »
- … et paroles de Lachheb :
- « ils ne nous invitaient plus en stage, ils considéraient qu’on n’était pas des gars intéressants »
Des jeunes gens bien élevés
Putain, même Nike nous fait le coup !
« On a été cons on n’a jamais demandé d’aménagement ». Ceux d’entre vous qui connaissent votre serviteur savent que, à leur place, je serais allé voir l’Ambassadeur du Maroc – ils sont binationaux, le président de la Fédération Français d’Athlétisme, le Général commandant les sports militaitres, voire le Ministre des Sports.
Eux non. Un peu timides, introvertis, discrets, mais surtout bien élevés. Je ne connais ni Madame ni Monsieur Lachheb, mais ils ont fait du bon travail. Peut-être un peu trop bon d’ailleurs. Ils ont même fréquenté régulièrement et assidûment amphis et petites classes, sortant dans un rang tout à fait honorable (+/- 250, c’est pas tip top, mais c’est toujours mieux que moi).
Ils auraient pu partir aux Etats-Unis, se payer un entraîneur particulier, comme Abrahams dans Les Chariots de Feu – vous noterez que j’ai tout de même réussi à glisser un juif là où je n’avais aucune raison de le faire, « On n’a pas été courageux ».
La faute à qui ?
Il ne serait pas raisonnable de leur reprocher ce manque de courage. Nous ne pouvons non plus raisonnablement blâmer leur maman qui n’a d’autre tort que d’avoir bien élevé ses enfants. Il est pourtant intéressant de se demander, non pas qui est responsable d’un semi-échec apparent dans une carrière sportive qui est tout de même un véritable succès – j’aimerais vous y voir vous à sauter 5,80 m – mais qui aurait pu contribuer à en faire quelque chose de vraiment exceptionnel n’a pas fait son boulot.
En effet, si vous étudiez attentivement le tableau qui donne la progression de Khalid et Taoufik par rapport à quelques perchistes choisis au hasard (Bubka, Galfione et Lavillenie) vous vous rendez compte qu’ils avaient le potentiel pour être champions du monde. Ils le disent d’ailleurs « 5,90 m, 6,00 m c’était tout à fait possible, il me manquait 5 kilos de muscles et de la puissance, mais à 25 ans on s’est rendu compte qu’on avait bricolé physiquement ». Ils n’ont pas de regret, ils pensent juste que ça aurait pu être mieux « il ne nous manquait pas grand-chose mais nous n’avions pas l’environnement adéquat ».
Je ne répondrai bien entendu pas la question. Ce que je sais c’est qu’aux États-Unis les universités dépensent des millions de dollars pour former des champions et que l’X qui avait ces champions n’a pas su les aider. Par charité chrétienne – de ma part c’est un peu exagéré – je tairai le rôle des professeurs, de la direction des études, pour me concentrer sur celui des militaires
Progression de quelques perchistes de légende
A quoi servent les milis ?
Ami lecteur, tu sais que je milite résolument pour le renforcement du rôle des militaires à l’X. C’est pourquoi, en rencontrant Taoufik et Khalid, j’ai été peiné d’apprendre que les militaires n’avaient pas été à la hauteur – tu remarqueras, à cet endroit du billet, où la tension est à son comble, le jeu de mots d’une finesse diabolique.
Enfin du sport
C’était il y a près de 20 ans et l’armée de 2014 n’est pas tout à fait la même que celle de 1995. Certes. Permets-moi tout de même de remarquer
- que l’armée a été fidèle à elle-même.
- Taoufik a attrapé une tendinite au tendon d’Achille en faisant son footing en rangers. Messieurs les militaires combien de fois vous a‑t-on dit que la ranger est la chaussure la plus inadaptée aux sports qui soit ?
- Il n’ont eu leur poste à l’EIS qu’à la dernière minutie, et encore, il a fallu du piston de la Fédé.
- Que le constat pour l’X est bien sévère
- un encadrement de la section athlétisme inexistant
- un officier des sports qui ne les inscrit pas au championnat du monde militaire
- pas de salle de musculation digne de ce nom
- un commandant de promo qui ne semble pas comprendre qu’il a deux génies dans sa promo, et qui semble avoir oublié que son boulot est de leur permettre de s’épanoir.
- Un Chef de Corps qui ne s’occupe pas, sachant que ce n’est normalement pas son boulot.
Il faut dire qu’à l’époque, un poste à l’X pour un capitaine, ça servait surtout à préparer l’Ecole de Guerre – c’est toujours le cas – ou, pour un colonel, à avoir un commandement alors qu’on n’en avait pas le potentiel.
De mon temps, je confirme que les capitaines, dans leur grande majorité, n’en avaient pas grand chose à faire, et que les commandants de promos, c’était un sur deux. Je le sais, j’ai fait deux promos.
Quant aux Chefs de corps, il y avait beaucoup de régiments à ce moment là. Et il est plus prestigieux de commander le 1er RPIMA que l’X. Avec la réduction du format des armées, les choses ont changé. Par exemple, le chef de corps actuel est vachement bien.)
Lachheb’s hall of fame :
Je me dois de citer ceux qui les ont aidés ou ont tenté de le faire :
- Le Général Marescaux qui n’a, toutefois, pas fait plus que résoudre les problèmes que ses subordonnés leur créaient.
- Maurice Houvion
- Ahmed – et non Julie – Ghayet, conseiller à l’intégration de Martine Aubry
- A la marge,
- Bouygues Off-Shore et Les Chantiers de l’Atlantique, qui leur ont donné un contrat de sportif de haut niveau, à mi-temps, à la sortie de l’ENSTA.
- La Fédération Marocaine d’Athlétisme qui leur a proposé, mais trop tard, de les prendre en charge financièrement.
En relisant mon papier, je me rends compte combien il peut paraître noir. Ne vous méprenez pas. S’ils sont passés un peu au travers de la vie de promo, Khalid et Taoufik sont fiers et heureux, et à juste titre, de ce qu’ils ont fait. Ils sont aujourd’hui mariés, ont des enfants, un job. Ils n’ont pas de regrets. Juste un peu de nostalgie. Mais qui n’en a pas ?
L’encadré Uniformologique : la « Rangeo »
La Rangers, de son vrai nom BJA (Brodequin à Jambière Attenante) ou BMJA (Brodequin de Marche à Jambière Attenante) porte son histoire dans son nom : venus des Etats-Unis avec l’armée de la Libération, elles remplacent avantageusement le couple brodequins + bandes molletières de l’armée de 1914, brodequin qui était tellement confortable que l’adjudant Ducouëdic, en 1940, avait expliqué à mon grand père : « Pour casser les brodequins, il faut pisser dedans ».
Brodequin 1940, dit « Chaussure à clous », l’ancêtre de la Rangeo
Les rangers étaient livrés en cuir naturel, non teinté. Le grand jeu consistait alors à les cirer jusqu’à ce qu’elles devinssent noires. On eut également l’idée saugrenue d’y adjoindre des boucles fort malpratiques, dont les mauvaises langues – je sais ça n’est pas très distingué – prétendent qu’elles servent à insérer les pattes arrières des chèvres.
À l’époque les semelles étaient cousues et l’on pouvait faire ressemeler ses rangers – ce dont ne se privaient pas les sous-officiers de carrière. Ainsi au bout de plusieurs années ils disposaient de chaussures de marche qui épousaient parfaitement leurs pieds et se comportait pratiquement comme des pantoufles.
Au cours des années 90, deux mouvements orthogonaux se firent : le premier, sous prétexte d’économies, consista tout d’abord à fournir des chaussures à semelles collées, semelles qui firent jaser au Mali en se décollant, puis des cuirs non teintés, enduit d’une fine couche de vinyle. Bref des chaussures totalement inutilisables sauf, éventuellement, pour défiler.
Le second mouvement s’initia avec l’apparition de chaussures de sport, en Gore-Tex, parfaitement adaptées au raid et la course d’orientation. Ce sont ces chaussures qui équipent en général les forces spéciales.
L’armée dite conventionnelle (de masse), elle, se doit de faire de l’exercice en rangers avec le modèle TTA. Je rappelle que nous sommes en 2014. Le soldat français a des chaussures de moins bonne qualité qu’en 1944…
Remerciements
A Khalid et Taoufik
Bibliographie et liens
- Alain Loret, Le Sport de la République, trouvable par exemple chez Amazon
- le Wikix qui donne les records d’athlétisme et de natation des polytechniciens.
-
Khalid
- le site de l’IAAF, qui recense toutes les performances du monde
- Wikipedia
- LinkedIn
- Taoufik
-
Divers Google
- Libération 23 août 1997
- L’Equipe Mag 31 mars 2012
- Stade rennais 23 février 1999
- Une recherche générale