Nodule polymétallique

La zone économique exclusive, un atout pour la France

Dossier : LA MER : Énergies et ressourcesMagazine N°714 Avril 2016
Par Jean CHAPON (48)

L’ONU a éta­bli les règles du droit de la mer, en fixant les droits des eaux dites “ter­ri­to­riales”. Les États côtiers ont la pro­prié­té de la bande de 12 milles lon­geant leur lit­to­ral, Ensuite a été créé la notion de “zone éco­no­mique exclu­sive”, de lar­geur géné­ra­le­ment fixée à 200 miles. Avec ses DOM/TOM la France a la deuxième ZEE mondiale.

Les océans relient les conti­nents qu’ils séparent, grâce au trans­port mari­time de per­sonnes et de biens. Si le trans­port de pas­sa­gers inter­con­ti­nen­taux sur longue dis­tance s’est for­te­ment réduit face à la concur­rence aérienne, les trans­ports courts et les croi­sières mari­times ont consi­dé­ra­ble­ment aug­men­té et se comptent par mil­lions pour le plus grand inté­rêt des pays desservis.

Quant au trans­port de mar­chan­dises, la voie mari­time assure plus de 90 % des échanges mon­diaux : en 2012, on comp­tait 50 000 navires sur les mers du globe, trans­por­tant plus de 8,7 mil­liards de tonnes repré­sen­tant 1 500 mil­liards d’euros.

REPÈRES

L’ONU a établi les règles du droit de la mer, notamment celles qui donnent aux États côtiers la propriété de leurs eaux dites « territoriales » : la bande de 12 milles longeant leur littoral.
Mais la volonté de nombre d’États de s’approprier les ressources gisant au-delà a conduit la Conférence des Nations unies sur le droit de la mer à créer la notion de « zone économique exclusive » (ZEE), de largeur bien plus importante (nominalement, 200 milles).

Un immense gisement de ressources

La mer four­nit à l’homme des dizaines de mil­lions de tonnes de pois­sons et coquillages et pro­duit, natu­rel­le­ment ou par aqua­cul­ture, autant que de pois­sons que l’élevage ter­restre pro­duit de pou­lets. Cette res­source est majo­ri­tai­re­ment « récol­tée » par faible pro­fon­deur (moins de 200 mètres) mais les « récoltes » pro­fondes ont vu leur quan­ti­té croître, par­fois au risque de mena­cer les stocks.


Les nodules poly­mé­tal­liques se trouvent à plus de 3 000 mètres.

Les fonds marins contiennent d’importants gise­ments miné­raux et éner­gé­tiques, éga­le­ment exploi­tés sur­tout par faible pro­fon­deur, donc près des lit­to­raux, mais aus­si bien au-delà des 1 000 mètres. C’est en effet dans des fonds de plus de 3 000 mètres qu’il faut aller cher­cher des nodules poly­mé­tal­liques et sul­fures, pro­duits de haute valeur.

Il en est de même pour les matières éner­gé­tiques (pétrole et gaz) : celles qui sont extraites des fonds marins repré­sentent 30 % de celles uti­li­sées par l’homme et des réserves mon­diales. La tech­nique per­met aujourd’hui d’aller les cher­cher par plus de 3 000 mètres de pro­fon­deur, donc bien au large des lit­to­raux. Les décou­vertes off­shore repré­sentent 38 % des nou­velles découvertes.

En outre la masse d’eau peut, par ses mou­ve­ments natu­rels (houle, cou­rants, marées), four­nir de l’énergie, de même que l’air « marin » (éoliennes). La mer est l’élément valo­ri­sant de la qua­li­té de vie sur le lit­to­ral, un apport par­fois gâché par une urba­ni­sa­tion trop intense.

Une chance à saisir

Bien natu­rel­le­ment, les États côtiers ont déployé d’importants efforts pour exploi­ter les res­sources vitales pour leur éco­no­mie que leur offre la mer bai­gnant leur lit­to­ral, et même, depuis quelques décen­nies, sur des dis­tances de plu­sieurs dizaines de milles marins.

C’est tout aus­si natu­rel­le­ment que des États ont recher­ché des res­sources dans des zones sou­vent éloi­gnées de leur lit­to­ral, mais proches de lit­to­raux de pays peu ou pas développés.

Il n’est donc pas sur­pre­nant que ces der­niers aient vou­lu s’assurer la pro­prié­té de ce qu’ils consi­dèrent comme étant « leurs » res­sources, celles que leur donne la géo­gra­phie natu­relle, et pour le moins évi­ter qu’elles soient « pillées » par ceux qu’ils consi­dèrent comme des étran­gers qui pro­fitent de leur aspi­ra­tion au développement.

Une convention définie par l’ONU

En réponse à la demande de nombre d’États côtiers, la Confé­rence des Nations unies sur le droit de la mer a créé dès 1976 la notion de zone éco­no­mique exclu­sive (ZEE). Les négo­cia­tions qui ont sui­vi ont abou­ti à la Conven­tion du 10 décembre 1982, dite de Mon­te­go Bay (voir encadré).

C’est à chaque État qu’il appar­tient de déci­der de la créa­tion de sa ZEE et d’en fixer libre­ment la lar­geur, bien évi­dem­ment dans le res­pect des droits des États mitoyens.

Ain­si, lorsque la dis­tance entre son lit­to­ral et ceux des autres États est infé­rieure à 400 milles, la limite des ZEE doit être fixée par accord com­mun ou déci­sion d’un tri­bu­nal inter­na­tio­nal compétent.

De même, un État côtier peut reven­di­quer l’extension de sa ZEE jusqu’à 350 milles en fonc­tion des carac­té­ris­tiques de son pla­teau conti­nen­tal – lequel peut être exploi­té selon des droits indé­pen­dants de toute reven­di­ca­tion, donc même si l’État côtier n’en a pas fait expli­ci­te­ment la demande. Cepen­dant, les dis­po­si­tions de cette exten­sion doivent être approu­vées par la com­mis­sion de l’ONU com­pé­tente en matière de pla­teau continental.

LA CONVENTION DE MONTEGO BAY

Selon cette convention, qui a repris l’essentiel du texte de 1976, tout État côtier peut créer une ZEE qui s’étend sur 200 milles (374 km) au large de la ligne de base littorale des eaux territoriales ; l’État côtier y est titulaire de « droits souverains », qu’il doit évidemment exercer dans le respect de toutes les règles du droit de la mer international, et des droits des autres États.
La convention a prévu la possibilité d’étendre la ZEE jusqu’à 350 milles en fonction des caractéristiques du plateau continental qu’elle recouvre, lequel est géré selon des règles spécifiques.
Les droits souverains dont jouit l’État côtier dans la ZEE qu’il a créée lui permettent d’exploiter et d’explorer, par ses propres moyens ou des moyens auxquels il décide de recourir, les ressources naturelles – biologiques ou non – de la masse d’eau, des fonds marins, et des sous-sols de sa ZEE, ainsi que l’énergie produite par la mer ou à partir de la mer.
Il peut créer des îles artificielles (flottantes ou fondées), faire de la recherche scientifique et prendre les mesures qu’il juge adaptées pour la préservation de l’environnement de sa ZEE. Mais il doit respecter la liberté de navigation des unités conformes au droit de la mer international, quel que soit leur pavillon.

La première ZEE française en 1976

La France a agi sans retard en déci­dant la créa­tion de sa ZEE dès 1976, avant même la consé­cra­tion de la notion de ZEE au niveau inter­na­tio­nal, mais en ne met­tant en œuvre sa déci­sion qu’après cette consécration.

J’étais alors secré­taire géné­ral de la Marine mar­chande et à ce titre je par­ti­ci­pais à toutes les réunions de la com­mis­sion de la CEE sur la pêche qui se tenaient en géné­ral à Bruxelles. J’avais ain­si des infor­ma­tions qui lais­saient pré­voir l’intervention de la Conven­tion de l’ONU avant la fin de l’exercice 1976 ; et pour que la France puisse effec­ti­ve­ment créer sa ZEE, il fal­lait le déci­der expli­ci­te­ment par une loi nationale.

J’en avais ren­du compte à Mar­cel Cavaillé, le secré­taire d’État char­gé des Trans­ports dont je dépen­dais, qui a lui-même ren­du compte au pré­sident de la Répu­blique et au Pre­mier ministre. Le Pré­sident, Valé­ry Gis­card d’Estaing, a immé­dia­te­ment réagi en deman­dant de lan­cer le pro­ces­sus légis­la­tif, et la loi a pu être votée en juillet 1976 car l’«impôt séche­resse » avait conduit à pro­lon­ger d’un mois la ses­sion du Parlement.

Ain­si, cette loi est inter­ve­nue lar­ge­ment en temps oppor­tun pour que la France puisse mettre en œuvre la pos­si­bi­li­té confé­rée par les dis­po­si­tions inter­na­tio­nales : cela a été fait dès l’officialisation de la notion de ZEE.

La carte des ZEE française
En rouge, l’extension à 350 milles de la zone éco­no­mique exclu­sive fran­çaise. © SHOM

La deuxième ZEE mondiale

Compte tenu de sa pré­sence sur quatre conti­nents (pas l’Asie) et de la com­po­si­tion de son ter­ri­toire qui compte nombre de TOM insu­laires, la France s’est trou­vée titu­laire d’une ZEE de plus de 11 131 000 km2, la seconde au monde après celle des États-Unis (plus de 12 mil­lions de km2).

Puis, comme le pré­voit la conven­tion de Mon­te­go Bay, la France a éten­du sa ZEE en fai­sant recon­naître, par la com­mis­sion du pla­teau conti­nen­tal de l’ONU, son exten­sion à 350 milles au large des Ker­gue­len, de la Nou­velle-Calé­do­nie, de la Guyane, de la Mar­ti­nique et de la Gua­de­loupe : la zone résul­tant du décret du 25 octobre 2015 atteint 11 710 417 km2, en atten­dant de nou­velles exten­sions jus­ti­fiées par la confi­gu­ra­tion du pla­teau conti­nen­tal qui per­mettent cer­tai­ne­ment de dépas­ser 12 mil­lions de km2.

Un intérêt international croissant

La France s’est vite bien ser­vie de sa ZEE, comme les autres États membres de la CEE.

L'ile de Clipperton
La péche autour de Clip­per­ton a fait l’objet de négo­cia­tions com­pli­quées. CC. CLIFTON BEARD En savoir plus sur Clipperton

Cette action a‑t-elle été spec­ta­cu­laire ? On ne peut dire qu’elle ait sen­si­bi­li­sé une grande part de l’opinion publique, ni même mobi­li­sé tous les res­pon­sables poli­tiques, notam­ment autres que ceux direc­te­ment concer­nés par cette ques­tion, les­quels avec le concours effi­cace de leur admi­nis­tra­tion ont rapi­de­ment et bien fait leur métier concer­nant la ZEE dont ils avaient com­pris l’intérêt.

Et les autres États de la CEE ont fait de même. Réunis à La Haye, leurs repré­sen­tants ont déci­dé le 3 novembre 1976 que les États membres pou­vaient, à comp­ter du 1er jan­vier 1977, étendre leurs zones de pêche exclu­sive à 200 milles au large de leur littoral.

Mais c’est la Com­mis­sion qui a reçu la com­pé­tence pour déli­vrer les auto­ri­sa­tions de pêche aux bateaux des États étran­gers à la CEE dans la zone bor­dant les ter­ri­toires des États pro­pre­ment dits et leurs dépar­te­ments d’outre-mer ; en revanche les États membres étaient com­pé­tents pour auto­ri­ser la pêche au large de leurs TOM, ce qui a conduit le Dane­mark à don­ner un sta­tut de TOM au Groenland.

C’était donc à la Com­mis­sion euro­péenne, et non aux États membres, que les pays du bloc de l’Est – qui ne recon­nais­saient pas la CEE – devaient s’adresser pour obte­nir les auto­ri­sa­tions pour pêcher dans les ZEE autres que celles des TOM. Le ministre des Pêches de l’URSS est venu à Bruxelles au siège de la CEE pour obte­nir ces auto­ri­sa­tions, en recon­nais­sant de fait la Com­mu­nau­té euro­péenne, ce que n’avaient jamais pu faire le char­bon et l’acier.

Peut-être parce que les cha­lu­tiers sovié­tiques pêchaient des infor­ma­tions autant que des pro­duits halieu­tiques ? À l’époque, cet évé­ne­ment n’avait pas eu d’écho dans les presses natio­nales de la CEE.

Échanges de bons procédés

L’autre évé­ne­ment tient à la zone de Clip­per­ton : cet atoll de 2 km2 situé dans le Paci­fique, à 1 000 km au large du Mexique, a une ZEE de 440 000 km2 dans laquelle ne pêchaient que des bateaux amé­ri­cains et pas un seul fran­çais. Clip­per­ton étant un TOM, c’est la France seule qui pou­vait auto­ri­ser les bateaux bat­tant pavillon des États- Unis à conti­nuer d’y pêcher le thon.

Iles des mers chaudes
Les mers chaudes per­mettent de déve­lop­per les éner­gies ther­miques marines. © SENAI AKSOY / SHUTTERSTOCK.COM

La France a fait savoir aux États-Unis que les auto­ri­sa­tions néces­saires leur seraient don­nées, mais que les États- Unis devaient se com­por­ter moins sévè­re­ment à l’égard de la RFA concer­nant la pêche que les bateaux ouest-alle­mands effec­tuaient dans les eaux de la ZEE amé­ri­caine au nord-est de leur territoire.

La France avait aver­ti la RFA qu’elle ne ferait cette inter­ven­tion qu’à la condi­tion que, lors des réunions de la Com­mis­sion à Bruxelles, la RFA sou­tienne la demande fran­çaise pour que ses pêcheurs bre­tons aient accès au canal Saint-Georges qui sépare l’Angleterre et l’Irlande. Et c’est ce qui fut fait, pour le plus grand inté­rêt de nos pêcheurs bretons.

Preuve qu’une ZEE peut être d’une grande uti­li­té direc­te­ment ou par rico­chet pour l’État qui la pos­sède, même si aucun pêcheur de cet État n’y exerce son activité.

Un énorme potentiel à exploiter

Pour la France, les pers­pec­tives ouvertes par sa ZEE sont des plus vastes, car « plus pro­fondes ». Notam­ment concer­nant l’exploitation des res­sources miné­rales et éner­gé­tiques, des fonds et sous-sols marins, et la pro­duc­tion d’énergies marines renouvelables.

Même s’il faut opé­rer par grands fonds, on sait le faire à 3 000 mètres de pro­fon­deur et même au-delà. C’est éga­le­ment vrai des res­sources vivantes, sachant qu’il faut tou­jours opé­rer avec sagesse pour ne pas rui­ner les res­sources de ces grands fonds marins, en par­ti­cu­lier par une sur­ex­ploi­ta­tion. On sau­ra donc exploi­ter les res­sources de la mer à des dis­tances de plus en plus impor­tantes du lit­to­ral, effec­ti­ve­ment jusqu’à 200 ou même 350 milles tout en res­pec­tant l’environnement.

Nous devons et pou­vons espé­rer que les pos­si­bi­li­tés de la grande ZEE de notre pays retiennent l’attention de tous nos res­pon­sables poli­tiques, et plus lar­ge­ment de nos conci­toyens, afin que son exploi­ta­tion se fasse de façon directe ou par rico­chet, bien enten­du dans le res­pect des règles natio­nales et inter­na­tio­nales, cela pour le plus grand inté­rêt de l’économie et des condi­tions sociales de la France.

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