Le financement des éoliennes, une affaire de spécialistes
L’investissement dans l’éolien est lourd, mais il peut se faire selon le mode financement sans recours, c’est à dire dont le remboursement ne se fait que par les revenus générés par ce projet. Evidemment il faut au préalable une bonne expertise des acteurs.
En 2006, alors que le secteur n’en était qu’à ses débuts, un petit groupe de banques menées par Dexia et le hollandais Rabobank a monté aux Pays-Bas le premier financement sans recours pour un parc éolien en mer, le projet Q7, d’une capacité de 120 mégawatts pour un montant de 219 millions d’euros.
Cette transaction, aujourd’hui intégralement remboursée, a permis de créer l’écosystème (conseils techniques, juridiques, assurances), les standards de marché et les précédents commerciaux nécessaires au développement d’un secteur d’activité qui pèse aujourd’hui près de 10 milliards d’investissements par an en Europe du Nord.
REPÈRES
En matière de financement des infrastructures, tout particulièrement dans le domaine de l’énergie, la technique financière la plus classique est le financement sans recours (ou “ financement de projet ”).
Elle permet de financer un actif bien identifié, comme une centrale électrique, par un prêt dont le remboursement ne se fait que par les revenus générés par ce projet, sans recours possible aux actionnaires dudit projet.
De gros besoins de capitaux
Les projets du secteur des énergies renouvelables ont une économie similaire à celle du nucléaire : un investissement initial très lourd, puis un coût marginal de production très faible. Le coût (et la durée) de leur financement est donc un déterminant essentiel du coût final des mégawattheures produits.
Leur structure de coût (essentiellement des coûts fixes, en remboursement de l’investissement initial) impose un régime de prix spécifique, d’où les tarifs réglementés fixes sur longues périodes qui permettent d’amortir de manière prévisible.
Autrefois déterminé de manière plus ou moins arbitraire, le niveau de ces tarifs est désormais largement déterminé, dans la plupart des pays d’Europe, par des appels d’offres qui permettent d’éviter les effets d’aubaine pour les producteurs et soulignent la compétitivité des technologies renouvelables.
Économies d’échelle
Le secteur de l’éolien en mer, qui pèse plus de 12 gigawatts installés en Europe fin 2015 (uniquement dans les pays limitrophes de la mer du Nord : Royaume- Uni, Allemagne, Danemark, Belgique et Pays-Bas), présente des risques intrinsèques incompressibles du fait de la nécessité d’installer des éléments électromécaniques de grande taille à des endroits par nature difficiles d’accès, et, du fait du vent, défavorables à toute activité de construction.
C’est donc un secteur qui se prête plus que d’autres énergies renouvelables aux économies d’échelle et encourage les investissements de grande ampleur : un parc typique a une taille de 400 à 500 mégawatts, pour un investissement de l’ordre de 2 milliards d’euros – une échelle plus attractive pour les grands électriciens que les projets de quelques mégawatts et quelques millions d’euros habituels dans l’éolien terrestre ou le solaire.
Coûts en baisse
Le secteur commence tout juste à atteindre une certaine maturité industrielle (utilisation de turbines et de navires de construction conçus spécifiquement pour l’installation en mer) et voit ses coûts baisser de manière significative, tant pour la construction que pour les opérations et la maintenance : le premier parc en mer a été installé en 1991 et fonctionne toujours ; les premiers parcs de taille industrielle – plus de 100 mégawatts – ont maintenant presque quinze ans.
La deuxième partie de la baisse des coûts vient désormais de la baisse du coût de l’argent s’appliquant aux investissements, permise à la fois par la stabilité du contexte réglementaire dans les principaux pays européens, et par le retour d’expérience satisfaisant des actifs déjà construits.
Des revenus prévisibles et des risques à évaluer
Comme d’autres types de centrales électriques ou d’infrastructures, les parcs éoliens sont propices à l’ingénierie financière du financement « sans recours » : il s’agit d’actifs bien identifiés, fonctionnant de manière autonome et générant des flux de revenus financiers prévisibles qui permettent de rembourser les banques sans garantie des investisseurs, avec un niveau de pertes très faible sur longue période, du fait du niveau de détail des analyses faites par les prêteurs.
LES ATOUTS DE LA MER DU NORD
Avec un facteur d’utilisation de 55 % en mer du Nord (à comparer aux 75 % du parc nucléaire français), l’éolien en mer est aussi une technologie dont le profil de production correspond bien mieux à la demande (production maximale en début et fin de journée liée aux changements de température, et production plus élevée en hiver qu’en été).
L’Europe du Nord bénéficie d’une situation idéale pour le développement du secteur avec la mer du Nord, dont la profondeur ne dépasse pas 50 mètres sur des centaines de milliers de kilomètres carrés.
L’éolien en mer est un secteur où les banques doivent prendre un risque de construction réel sans garantie des investisseurs, ce qui exige une analyse technique très fouillée.
Il s’agit notamment d’évaluer l’intervention d’industriels de secteurs très différents (turbiniers, aciéristes spécialisés pour les fondations, équipementiers électriques et spécialistes de la construction maritime) et de prendre en compte les risques liés à la construction en mer, qui exige des navires très spécialisés, une coordination rigoureuse de toutes les tâches et une capacité à absorber les aléas climatiques et les contraintes liées aux exigences environnementales et aux autres usages de la mer (navigation, production pétrolière et oléoducs, zones militaires, etc.).
Plus d’une cinquantaine de navires peuvent être amenés à intervenir en même temps sur le chantier d’un parc éolien. Typiquement, les banques insistent pour que le projet soit capable d’absorber des retards de construction de 9 mois et des surcoûts nets de l’ordre de 15 % sans obérer la capacité du projet à rembourser sa dette à long terme.
Une vision à long terme
Les banques se préoccupent des mesures de vent de long terme, de la disponibilité des turbines à long terme en mer, et du coût éventuel des opérations de maintenance (navires spécialisés légers pour accéder aux turbines en temps normal, et plus lourds pour intervenir en cas de besoin de réparations) ou de l’indisponibilité de l’équipement si le mauvais temps empêche toute intervention.
Plus d’une cinquantaine de navires peuvent être amenés à intervenir sur le chantier d’un parc éolien. © C‑POWER
Les questions de l’adéquation des nouveaux modèles de turbines à leur environnement (pressurisation, redondance de certains équipements critiques) et des garanties apportées par les fabricants sont également étudiées avec soin.
Aujourd’hui, le parc installé en mer fonctionne bien, avec une disponibilité de l’ordre de 95–98 %, et on a constaté que les mesures de vent en haute mer sont nettement plus simples qu’à terre, du fait de l’absence de relief ou d’obstacle.
En revanche, l’effet « d’ombre » des turbines les unes sur les autres (et des parcs entiers les uns sur les autres) doit être bien pris en compte, car il est significatif (de l’ordre de 10–15 % du productible théorique) – l’emplacement relatif des turbines est donc une composante importante de la conception d’un parc éolien en mer.
Au bout du compte, les parcs éoliens en mer arrivent aujourd’hui à un capacity factor de 50–55 % (production nette par rapport au maximum théorique de production à la capacité maximale), à comparer aux 70–75 % du parc nucléaire français.
Finalement, les financiers vérifient les sujets non spécifiques au secteur mais essentiels pour la bonne prise en compte des risques, et notamment toutes les questions réglementaires : stabilité du régime de prix, risques de recours sur les permis, risques de changement des règles de commercialisation en cours de route.
L’existence d’un consensus politique et populaire autour du secteur (comme il existe par exemple en Allemagne) est un élément de décision important.
Un travail d’expert
Certains investisseurs qui utilisent régulièrement cette technique de financement ont leurs propres équipes, mais la plupart emploient des conseils spécialisés, qui sont le plus souvent des équipes dédiées au sein des grandes banques prêteuses ou des Big 4 (Deloitte, EY, KMPG et PwC), ou, plus rarement, des petites sociétés de consultants (souvent de petite taille, et travaillant souvent pour un seul client).
GREEN GIRAFFE
Fondée en 2010 avec dix personnes, la société compte aujourd’hui cinquante employés dans quatre pays européens (Allemagne, Angleterre, France et Pays-Bas).
Elle a accompagné des levées de fonds à hauteur de 10 milliards d’euros et a une part de marché d’environ 50 % dans son secteur. Son chiffre d’affaires en 2015 est de près de 15 millions d’euros.
Mais ceux qui montèrent en 2006 le premier financement sans recours ont choisi de travailler ensemble en créant une société de conseil spécialisée qui a réussi à se ménager une place privilégiée grâce à une connaissance unique au départ, et toujours inégalée, du secteur de l’éolien en mer et des structures contractuelles permettant de répartir le risque de la manière la plus appropriée des points de vue technique et commercial : c’est ainsi qu’est née Green Giraffe.
Il s’agit d’une aventure entrepreneuriale originale depuis le début, avec un caractère multinational affirmé – une équipe binationale franco-hollandaise dès le départ, des implantations quasi immédiates dans quatre pays (Pays-Bas, France, Royaume-Uni, Allemagne) mais un fonctionnement totalement intégré, avec des équipes mixtes sur les grands projets, une politique d’embauche centralisée et focalisée sur de jeunes ingénieurs formés en interne.