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Le financement des éoliennes, une affaire de spécialistes

Dossier : LA MER : Énergies et ressourcesMagazine N°714 Avril 2016
Par Jérôme GUILLET (89)

L’in­ves­tis­se­ment dans l’éo­lien est lourd, mais il peut se faire selon le mode finan­ce­ment sans recours, c’est à dire dont le rem­bour­se­ment ne se fait que par les reve­nus géné­rés par ce pro­jet. Evi­dem­ment il faut au préa­lable une bonne exper­tise des acteurs.

En 2006, alors que le sec­teur n’en était qu’à ses débuts, un petit groupe de banques menées par Dexia et le hol­lan­dais Rabo­bank a mon­té aux Pays-Bas le pre­mier finan­ce­ment sans recours pour un parc éolien en mer, le pro­jet Q7, d’une capa­ci­té de 120 méga­watts pour un mon­tant de 219 mil­lions d’euros.

Cette tran­sac­tion, aujourd’hui inté­gra­le­ment rem­bour­sée, a per­mis de créer l’écosystème (conseils tech­niques, juri­diques, assu­rances), les stan­dards de mar­ché et les pré­cé­dents com­mer­ciaux néces­saires au déve­lop­pe­ment d’un sec­teur d’activité qui pèse aujourd’hui près de 10 mil­liards d’investissements par an en Europe du Nord.

REPÈRES

En matière de financement des infrastructures, tout particulièrement dans le domaine de l’énergie, la technique financière la plus classique est le financement sans recours (ou “ financement de projet ”).
Elle permet de financer un actif bien identifié, comme une centrale électrique, par un prêt dont le remboursement ne se fait que par les revenus générés par ce projet, sans recours possible aux actionnaires dudit projet.

De gros besoins de capitaux

Les pro­jets du sec­teur des éner­gies renou­ve­lables ont une éco­no­mie simi­laire à celle du nucléaire : un inves­tis­se­ment ini­tial très lourd, puis un coût mar­gi­nal de pro­duc­tion très faible. Le coût (et la durée) de leur finan­ce­ment est donc un déter­mi­nant essen­tiel du coût final des méga­watt­heures produits.

Leur struc­ture de coût (essen­tiel­le­ment des coûts fixes, en rem­bour­se­ment de l’investissement ini­tial) impose un régime de prix spé­ci­fique, d’où les tarifs régle­men­tés fixes sur longues périodes qui per­mettent d’amortir de manière prévisible.

Autre­fois déter­mi­né de manière plus ou moins arbi­traire, le niveau de ces tarifs est désor­mais lar­ge­ment déter­mi­né, dans la plu­part des pays d’Europe, par des appels d’offres qui per­mettent d’éviter les effets d’aubaine pour les pro­duc­teurs et sou­lignent la com­pé­ti­ti­vi­té des tech­no­lo­gies renouvelables.

Économies d’échelle

Le sec­teur de l’éolien en mer, qui pèse plus de 12 giga­watts ins­tal­lés en Europe fin 2015 (uni­que­ment dans les pays limi­trophes de la mer du Nord : Royaume- Uni, Alle­magne, Dane­mark, Bel­gique et Pays-Bas), pré­sente des risques intrin­sèques incom­pres­sibles du fait de la néces­si­té d’installer des élé­ments élec­tro­mé­ca­niques de grande taille à des endroits par nature dif­fi­ciles d’accès, et, du fait du vent, défa­vo­rables à toute acti­vi­té de construction.

C’est donc un sec­teur qui se prête plus que d’autres éner­gies renou­ve­lables aux éco­no­mies d’échelle et encou­rage les inves­tis­se­ments de grande ampleur : un parc typique a une taille de 400 à 500 méga­watts, pour un inves­tis­se­ment de l’ordre de 2 mil­liards d’euros – une échelle plus attrac­tive pour les grands élec­tri­ciens que les pro­jets de quelques méga­watts et quelques mil­lions d’euros habi­tuels dans l’éolien ter­restre ou le solaire.

Coûts en baisse

Le sec­teur com­mence tout juste à atteindre une cer­taine matu­ri­té indus­trielle (uti­li­sa­tion de tur­bines et de navires de construc­tion conçus spé­ci­fi­que­ment pour l’installation en mer) et voit ses coûts bais­ser de manière signi­fi­ca­tive, tant pour la construc­tion que pour les opé­ra­tions et la main­te­nance : le pre­mier parc en mer a été ins­tal­lé en 1991 et fonc­tionne tou­jours ; les pre­miers parcs de taille indus­trielle – plus de 100 méga­watts – ont main­te­nant presque quinze ans.

La deuxième par­tie de la baisse des coûts vient désor­mais de la baisse du coût de l’argent s’appliquant aux inves­tis­se­ments, per­mise à la fois par la sta­bi­li­té du contexte régle­men­taire dans les prin­ci­paux pays euro­péens, et par le retour d’expérience satis­fai­sant des actifs déjà construits.

Des revenus prévisibles et des risques à évaluer

Comme d’autres types de cen­trales élec­triques ou d’infrastructures, les parcs éoliens sont pro­pices à l’ingénierie finan­cière du finan­ce­ment « sans recours » : il s’agit d’actifs bien iden­ti­fiés, fonc­tion­nant de manière auto­nome et géné­rant des flux de reve­nus finan­ciers pré­vi­sibles qui per­mettent de rem­bour­ser les banques sans garan­tie des inves­tis­seurs, avec un niveau de pertes très faible sur longue période, du fait du niveau de détail des ana­lyses faites par les prêteurs.

LES ATOUTS DE LA MER DU NORD

Avec un facteur d’utilisation de 55 % en mer du Nord (à comparer aux 75 % du parc nucléaire français), l’éolien en mer est aussi une technologie dont le profil de production correspond bien mieux à la demande (production maximale en début et fin de journée liée aux changements de température, et production plus élevée en hiver qu’en été).
L’Europe du Nord bénéficie d’une situation idéale pour le développement du secteur avec la mer du Nord, dont la profondeur ne dépasse pas 50 mètres sur des centaines de milliers de kilomètres carrés.

L’éolien en mer est un sec­teur où les banques doivent prendre un risque de construc­tion réel sans garan­tie des inves­tis­seurs, ce qui exige une ana­lyse tech­nique très fouillée.

Il s’agit notam­ment d’évaluer l’intervention d’industriels de sec­teurs très dif­fé­rents (tur­bi­niers, acié­ristes spé­cia­li­sés pour les fon­da­tions, équi­pe­men­tiers élec­triques et spé­cia­listes de la construc­tion mari­time) et de prendre en compte les risques liés à la construc­tion en mer, qui exige des navires très spé­cia­li­sés, une coor­di­na­tion rigou­reuse de toutes les tâches et une capa­ci­té à absor­ber les aléas cli­ma­tiques et les contraintes liées aux exi­gences envi­ron­ne­men­tales et aux autres usages de la mer (navi­ga­tion, pro­duc­tion pétro­lière et oléo­ducs, zones mili­taires, etc.).

Plus d’une cin­quan­taine de navires peuvent être ame­nés à inter­ve­nir en même temps sur le chan­tier d’un parc éolien. Typi­que­ment, les banques insistent pour que le pro­jet soit capable d’absorber des retards de construc­tion de 9 mois et des sur­coûts nets de l’ordre de 15 % sans obé­rer la capa­ci­té du pro­jet à rem­bour­ser sa dette à long terme.

Une vision à long terme

Les banques se pré­oc­cupent des mesures de vent de long terme, de la dis­po­ni­bi­li­té des tur­bines à long terme en mer, et du coût éven­tuel des opé­ra­tions de main­te­nance (navires spé­cia­li­sés légers pour accé­der aux tur­bines en temps nor­mal, et plus lourds pour inter­ve­nir en cas de besoin de répa­ra­tions) ou de l’indisponibilité de l’équipement si le mau­vais temps empêche toute intervention.

Intervention sur le chantier d’un parc éolien
Plus d’une cin­quan­taine de navires peuvent être ame­nés à inter­ve­nir sur le chan­tier d’un parc éolien. © C‑POWER

Les ques­tions de l’adéquation des nou­veaux modèles de tur­bines à leur envi­ron­ne­ment (pres­su­ri­sa­tion, redon­dance de cer­tains équi­pe­ments cri­tiques) et des garan­ties appor­tées par les fabri­cants sont éga­le­ment étu­diées avec soin.

Aujourd’hui, le parc ins­tal­lé en mer fonc­tionne bien, avec une dis­po­ni­bi­li­té de l’ordre de 95–98 %, et on a consta­té que les mesures de vent en haute mer sont net­te­ment plus simples qu’à terre, du fait de l’absence de relief ou d’obstacle.

En revanche, l’effet « d’ombre » des tur­bines les unes sur les autres (et des parcs entiers les uns sur les autres) doit être bien pris en compte, car il est signi­fi­ca­tif (de l’ordre de 10–15 % du pro­duc­tible théo­rique) – l’emplacement rela­tif des tur­bines est donc une com­po­sante impor­tante de la concep­tion d’un parc éolien en mer.

Au bout du compte, les parcs éoliens en mer arrivent aujourd’hui à un capa­ci­ty fac­tor de 50–55 % (pro­duc­tion nette par rap­port au maxi­mum théo­rique de pro­duc­tion à la capa­ci­té maxi­male), à com­pa­rer aux 70–75 % du parc nucléaire français.

Fina­le­ment, les finan­ciers véri­fient les sujets non spé­ci­fiques au sec­teur mais essen­tiels pour la bonne prise en compte des risques, et notam­ment toutes les ques­tions régle­men­taires : sta­bi­li­té du régime de prix, risques de recours sur les per­mis, risques de chan­ge­ment des règles de com­mer­cia­li­sa­tion en cours de route.

L’existence d’un consen­sus poli­tique et popu­laire autour du sec­teur (comme il existe par exemple en Alle­magne) est un élé­ment de déci­sion important.

Un travail d’expert

Cer­tains inves­tis­seurs qui uti­lisent régu­liè­re­ment cette tech­nique de finan­ce­ment ont leurs propres équipes, mais la plu­part emploient des conseils spé­cia­li­sés, qui sont le plus sou­vent des équipes dédiées au sein des grandes banques prê­teuses ou des Big 4 (Deloitte, EY, KMPG et PwC), ou, plus rare­ment, des petites socié­tés de consul­tants (sou­vent de petite taille, et tra­vaillant sou­vent pour un seul client).

GREEN GIRAFFE

Fondée en 2010 avec dix personnes, la société compte aujourd’hui cinquante employés dans quatre pays européens (Allemagne, Angleterre, France et Pays-Bas).
Elle a accompagné des levées de fonds à hauteur de 10 milliards d’euros et a une part de marché d’environ 50 % dans son secteur. Son chiffre d’affaires en 2015 est de près de 15 millions d’euros.

Mais ceux qui mon­tèrent en 2006 le pre­mier finan­ce­ment sans recours ont choi­si de tra­vailler ensemble en créant une socié­té de conseil spé­cia­li­sée qui a réus­si à se ména­ger une place pri­vi­lé­giée grâce à une connais­sance unique au départ, et tou­jours inéga­lée, du sec­teur de l’éolien en mer et des struc­tures contrac­tuelles per­met­tant de répar­tir le risque de la manière la plus appro­priée des points de vue tech­nique et com­mer­cial : c’est ain­si qu’est née Green Giraffe.

Il s’agit d’une aven­ture entre­pre­neu­riale ori­gi­nale depuis le début, avec un carac­tère mul­ti­na­tio­nal affir­mé – une équipe bina­tio­nale fran­co-hol­lan­daise dès le départ, des implan­ta­tions qua­si immé­diates dans quatre pays (Pays-Bas, France, Royaume-Uni, Alle­magne) mais un fonc­tion­ne­ment tota­le­ment inté­gré, avec des équipes mixtes sur les grands pro­jets, une poli­tique d’embauche cen­tra­li­sée et foca­li­sée sur de jeunes ingé­nieurs for­més en interne.

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