Les fonds marins nouvel Eldorado
Les océans recèlent dans leurs profondeurs d’énormes richesses minérales. On connaît depuis longtemps les nodules polymétalliques, mais d’autres sédiments semblent maintenant plus prometteurs.
La France est le seul pays à pouvoir proposer la panoplie complète de services industriels nécessaire, pour explorer et valoriser les futurs gisements. Les Allemands ont souhaité développer une coopération avec les Français et ont signé deux accords en octobre 2015.
Les minerais présents dans les fonds marins présentent des caractéristiques variées. Les nodules polymétalliques sont des boules sombres de 5 à 10 centimètres de diamètre composées principalement d’hydroxydes de manganèse et de fer, dont la teneur en cuivre, nickel et cobalt peut être équivalente ou supérieure à celle des gisements actuellement exploités.
“ Treize permis internationaux d’exploration ont été attribués, dont un à la France ”
Ils contiennent également de faibles teneurs de certains métaux rares (terres rares, lithium, thallium, tellure, molybdène, etc.). Ils sont localisés sur de vastes zones à la surface des sédiments des plaines abyssales, entre 3 000 et 5 500 mètres de profondeur.
Les plus fortes densités de nodules ont été découvertes il y a une quarantaine d’années le long d’une ceinture est-ouest dans le Pacifique nord. Cette zone, dite de Clarion-Clipperton, fait l’objet de treize permis internationaux d’exploration, dont un attribué à la France.
REPÈRES
Comme le rappelle la feuille de route de la “ Stratégie nationale pour l’exploration et l’exploitation minières des grands fonds marins ”, publiée par l’État en coopération avec le Cluster maritime français fin 2015, les explorations scientifiques des dernières décennies ont permis de détecter dans les fonds marins (de moins de 1 000 à 2 000 ou 3 000 mètres ou plus) des phénomènes géologiques ou géochimiques favorisant la concentration des métaux.
Certains sont connus, comme les nodules polymétalliques, d’autres le sont moins, comme les sédiments riches en terres rares, ou surtout les encroûtements cobaltifères et les amas sulfurés, mais sont plus prometteurs. Toutes ces ressources nouvelles pouvant représenter des concentrations beaucoup plus importantes que celles des mines terrestres, ouvrant ainsi de nouveaux champs très prometteurs.
Potentiel économique
Les encroûtements cobaltifères sont des croûtes pouvant mesurer jusqu’à 25 centimètres d’épaisseur et localisées au niveau de monts sous-marins (400 à 4 000 mètres) et d’élévations intraplaques.
“ Il faut savoir comment orienter les efforts, et surtout vers quel type de minerai ”
Composés d’hydroxydes de fer et d’oxydes de manganèse, ils présentent de fortes teneurs en cobalt, et parfois en platine et tellure, ainsi que des éléments mineurs tels que les terres rares, titane, thallium, zirconium, molybdène, etc.
Ces encroûtements restent mal connus, même si l’on sait que les dépôts présentant le plus fort potentiel économique sont situés dans le Pacifique.
D’anciennes zones volcaniques
D’une façon générale, les zones pouvant représenter un intérêt économique, au sens fort du développement durable (c’est-à- dire pouvant permettre une exploitation profitable tout en préservant l’environnement), sont principalement d’anciennes zones volcaniques, inactives et dépourvues d’activité hydrothermale.
Ces zones sont en outre d’un grand intérêt pour les industriels du fait de leur plus grande accessibilité et de la moins grande sensibilité de la faune et de la flore, qui y foisonnent moins que dans les zones actives.
Orienter les efforts
Une des questions essentielles, au regard des coûts énormes d’exploration, de recherche, et ultérieurement d’exploitation (au total, des centaines de millions d’euros au minimum), est naturellement de savoir comment orienter prioritairement les efforts, et surtout vers quel type de minerai.
AMAS SULFURÉS
Les amas sulfurés, situés le long des 60 000 km de dorsales océaniques et au niveau de sites volcaniques sous-marins, sont principalement constitués de sulfures de fer. Ils peuvent présenter de forts enrichissements en métaux de base (cuivre, zinc) et métaux rares (or, argent, indium, germanium, etc.). On les trouve à des profondeurs variables, entre 800 et 5 000 mètres.
Or, contrairement à ce que pourraient laisser penser aussi bien des décisions européennes récentes au titre du programme H2020 (consacrant quelque financement aux nodules), que des décisions du gouvernement français prolongeant son intérêt pour la zone de Clarion-Clipperton, les nodules ne sont plus le « premier choix ».
Du reste, la France s’est en fait engagée a minima à Clipperton (en faisant savoir clairement qu’elle n’effectuerait pas la moindre campagne supplémentaire), alors que de son côté la Commission – via la DGMare – écrivait dans un rapport récent : « L’exploitation des mélanges sulfurés des grands fonds semble avoir la meilleure viabilité commerciale, celle des nodules apparaissant douteuse. »
Une filière prometteuse
La France et l’Allemagne, dont les industriels compétents considèrent aussi que les mélanges sulfurés sont la meilleure chance, se sont rapprochées pour constituer une filière nouvelle, spécialisée dans ce type de minerais et respectueuse du développement durable.
“ À Berlin, on a compris que les grands fonds marins constituent un potentiel considérable ”
Mais en fait c’est la France, particulièrement bien positionnée, qui a été sollicitée par l’Allemagne et qui a l’initiative.
Avec l’Ifremer (si cet institut arrive à avoir la visibilité et les moyens nécessaires, au-delà de ses priorités minimales que constitue la zone dorsale atlantique récemment réservée par la France), et des sociétés comme Technip, CGG, Bourbon, Comex, Total, Eramet, Louis-Dreyfus Armateurs, DCNS, Créocéan, Alcatel- Lucent Submarine Networks, mais aussi Dassault systèmes et plus d’une vingtaine d’autres acteurs, son industrie maritime est en effet la seule au monde à posséder des leaders internationaux pour les dix phases de travaux, identifiées par le groupe de travail ad hoc du Cluster maritime français, pour explorer et valoriser les futurs gisements.
De ce fait la France est le seul pays à pouvoir proposer aux autres pays intéressés (Chine, Russie, Japon, Corée, d’autres encore dont certains ont aussi des champions, mais partiels) la panoplie complète de services industriels nécessaire.
© LAURENT33 / FOTOLIA.COM
À Wallis-et-Futuna, les industriels français souhaitent mener rapidement une (troisième) campagne d’exploration, pour mieux identifier les ressources des sols en amas sulfurés et déterminer les conditions du respect de l’environnement marin – projet pour lequel nos professionnels sont prêts à engager la moitié des 22 millions d’euros nécessaires.
Une source majeure de développement
Cette situation pourrait et devrait être pour nous, à l’avenir, une source majeure de développement économique et social. Notre pays possède en outre le second espace maritime mondial et son immense zone économique exclusive (11 millions de km², sans compter les surfaces supplémentaires devant résulter bientôt des négociations dites Extraplac) regorge d’opportunités en matière d’exploitation sous-marine.
Enfin, la France a fait réserver par précaution des zones d’exploration sur la dorsale atlantique auprès de l’Autorité internationale des grands fonds, même si elle ne peut pour l’instant mettre en ligne les moyens permettant vraiment d’avancer.
Coopération franco-allemande
Autant d’atouts en termes de technologie, d’expertise, de géographie et d’obtention de permis qui n’ont pas échappé à l’Allemagne. À Berlin, on a bien compris que les grands fonds marins constituaient un potentiel d’activité et de richesses considérables pour les années à venir (à dix, voire vingt ans).
Pragmatiques, les Allemands ont souhaité développer une coopération avec les Français. Car, s’ils ne bénéficient pas d’un domaine maritime tel que celui de la France ni de l’expertise globale des champions tricolores, ils disposent d’une industrie navale et maritime puissante, à même par exemple de prendre sa part – aux côtés des Français et sous réserve d’apporter eux-mêmes de légitimes contreparties, telles que du financement – dans la conception et la fabrication des futurs outils industriels nécessaires.
Leur intérêt est très marqué, comme l’ont prouvé les visites à Paris de deux ministres fédéraux, pour y rencontrer nos professionnels coordonnés par le Cluster maritime français.
Le 20 octobre 2015, la France et l’Allemagne ont officiellement signé un protocole d’accord liant le Cluster maritime français et la Deep Sea Mining Alliance (DSMA) allemande.
© KATHRIN HELLER – BUNDESMINISTERIUM FÜR WIRTSCHAFT UND ENERGIE
UNE AMBITION COMMUNE
Les choses commencent à bouger côté État, qui a bien résumé l’ambition commune dans sa récente feuille de route : « La France poursuit un triple objectif : valoriser ses atouts dans le domaine de l’exploration et de l’exploitation minières des grands fonds marins ; contribuer à l’émergence d’une filière industrielle d’excellence créatrice de richesses, d’innovations technologiques et d’emplois tout en préservant les écosystèmes marins de grands fonds ; préserver, pour l’avenir, un élément clé de notre indépendance stratégique en métaux et de notre développement économique. »
Leadership français
Dans le même temps, les pouvoirs publics français, très attentistes sur le sujet ces dernières années (malgré trois CIMER depuis 2011 et la recommandation de la commission « Innovation 2030 », présidée par Anne Lauvergeon, de compter les « grands fonds » parmi les sept ambitions stratégiques prioritaires pour la France) semblent enfin prendre conscience des énormes perspectives qu’offrirait une filière nouvelle sous leadership national.
Et cela même s’il apparaît qu’à ce jour seuls de grands principes ont été adoptés tandis que la participation de fonds publics reste problématique (à l’exception de quelques mécanismes fiscaux), comme la résolution des conflits de compétence entre l’État et les pouvoirs locaux dans nos territoires d’outre-mer les plus prometteurs.
Deux accords
C’est en tout cas dans cette perspective que la France et l’Allemagne ont officiellement signé deux accords le 20 octobre 2015 à Bremerhaven. D’une part une déclaration d’intention entre les gouvernements, mais aussi et surtout un protocole d’accord liant le Cluster maritime français et la Deep Sea Mining Alliance (DSMA) allemande.
Et c’est le 2 février 2016 qu’a eu lieu, au Cluster à Paris, la première réunion de travail destinée à étudier les modalités d’une coopération profitable pour les deux pays.