Maréchal Berthier

La devise de l’École polytechnique pour les nuls

Dossier : Traditions 2015 -Magazine N°La devise de l’École polytechnique pour les nuls
Par Serge DELWASSE (X86)

Nous nous sou­ve­nons tous de ce dis­cours inter­mi­nable du géné­ral – video ci-des­sous, à par­tir de la minute 26 – qui, à chaque pré­sen­ta­tion au dra­peau, et quel que fût ledit géné­ral, égrenait :

  • « pour la Patrie, c’est parce que vous êtes mili­taires, et que la patrie vous offre votre for­ma­tion, et que vous êtes l’élite de la France…
  • Les sciences, c’est parce que les sciences c’est bien, et que vous êtes l’élite de la France…
  • La gloire, au choix du DirCab :
    • C’est parce que, élite de la France, vous devez faire de grandes choses pour ne pas gâcher votre talent – Dir­Cab d’inspiration chrétienne ;
    • C’est parce que, élite de la France, vous devez être dés­in­té­res­sés et que l’argent c’est mal – Dir­Cab social ten­dance maoïste.

Inter­lude : un de mes relec­teurs ne se sou­vient pas de l’existence d’un Dir­Cab : c’est nor­mal, ça date des années 90. A l’origine un lieu­te­nant, le DIr­Cab est peu à peu deve­nu contre-ami­ral. aujourd’hui c’est un civil. C’est plus chic !

Reve­nons donc à notre devise. Entre nous, vous y croyez à l’un ou l’autre ou le troi­sième ? Moi pas. J’ai une autre com­pré­hen­sion de cette devise : c’est la Sainte Tri­ni­té – je ne vous donne pas le lien wiki­pe­dia, c’est incom­pré­hen­sible – « au nom du Père ET du Fils Et du Saint-Esprit » ! C’est « Patrie, Sciences ET Gloire », non comme Liber­té, Éga­li­té, Fraternité.

Il ne s’agit donc pas d’énumérer, mais de dire que ce sont bien les trois à la fois. Un de mes relec­teurs me fait d’ailleurs remar­quer que ça marche aus­si avec « ein Volk, ein Reich, ein Füh­rer ». C’est vrai, mais c’est de beau­coup moins bon goût. Tant qu’à faire dans le mau­vais goût, il y a éga­le­ment Tra­vail, Famille, Patrie.


Por­trait par Andrea Appia­ni (1754–1817) : Ber­thier y porte la Légion d’hon­neur (écharpe et grand aigle) et l’Ordre de l’Aigle noir.

Le carac­tère ter­naire des devises est en soi assez banal. Ce qui l’est moins, et qui est l’essence de la Tri­ni­té, c’est quand les 3 items n’en font qu’un.

Reve­nons tout d’abord à l’origine. La tra­di­tion veut que la devise ait été pro­po­sée par le Maré­chal Ber­thier, ministre de la guerre, à Napo­léon en 1804. Ber­thier est un per­son­nage fas­ci­nant, mais je ne suis pas cer­tain qu’il ait eu le temps de réflé­chir à une devise pour l’X.

Nous savons com­ment ça se passe dans les armées. Les chefs décident, mais les indiens conçoivent. Et puis Ber­thier a pas­sé sa vie à faire la guerre, je doute qu’il ait eu la finesse d’esprit pour ima­gi­ner une telle devise. Je pen­che­rais donc plu­tôt pour Lacuée.

On connaît Monge, on connaît Laplace, Lagrange, voire Prieur de la Côte‑d’Or. On mécon­naît Lacuée. C’est pour­tant lui qui a mili­ta­ri­sé l’École, puis l’a diri­gée pen­dant 10 ans. Dix ans c’est long. Cela per­met de lais­ser une empreinte forte, voire indé­lé­bile. De manière sur­pre­nante, il n’apparaît pra­ti­que­ment pas dans les his­toires de l’X, y com­pris – sur­tout ? ‑dans celle de Four­cy. 3 fois en 400 pages ! Comme Moïse qui n’apparaît qu’une fois dans la haggada.

C’était pour­tant un huma­niste, ency­clo­pé­diste et homme de lettres. Pas Moîse, Lacuée… Certes, Four­cy ne pou­vait écrire ce qu’il vou­lait, Charles X cen­su­rait. Tout de même : S’il a ain­si qua­si­ment omis Lacuée, c’est que Lacuée a dû avoir une impor­tance consi­dé­rable. Comme Moïse.

La devise en elle même est inté­res­sante, par sa construc­tion : Si vous visi­tez cette page pas­sion­nante de Wiki­pe­dia, qui liste de manière qua­si exhaus­tive les devises de l’ensemble des for­ma­tions des armées fran­çaises, vous pour­rez consta­ter, en vous concen­trant sur les uni­tés les plus anciennes, qu’il y géné­ra­le­ment deux modèles :

  • la devise latine, sou­vent héri­tée du colo­nel pro­prié­taire du régi­ment « Nunc leo, nunc aqui­la » (13e Dragon)
  • une belle phrase gal­va­ni­sant les troupes : « On ne relève pas Picar­die » (1er RI)

Plus tard, on trouve des locu­tions choc, tou­jours binaires : « Être et durer » (3e RPIMa)

Lacuée
Jean-Girard Lacuée, comte de Ces­sac, pair de France

Enfin, vous avez la phrase des­crip­tive : « Ils s’instruisent pour vaincre ». Apar­té légè­re­ment pro­vo­ca­teur : d’une part je ne suis pas cer­tain qu’ils soient réel­le­ment ins­truits ; d’autre part, je ne les ai pas vus gagner beau­coup de guerres… fin de la séquence « je me fais des copains chez les cyrards ».

Nulle part, on ne trouve cette tri­lo­gie. Sauf sans la devise du génie – hasard – « Par­fois détruire, sou­vent construire, tou­jours ser­vir », mais qui, elle, est plu­tôt sous la forme 2+1. Un peu comme « thèse, anti­thèse, syn­thèse » qui est, on le sait, la devise de SciencesPo.

La devise de l’X, n’en déplaise aux plus mili­ta­ristes d’entre nous – dont l’auteur de ces lImage illus­tra­tive de l’ar­ticle Jean-Girard Lacuéeignes, n’est donc pas une devise mili­taire. exit Ber­thier. vive Lacuée !

D’où la Tri­ni­té. Il ne s’agit pas de choi­sir entre la patrie (je suis corp­sard), les sciences (je fais de la recherche) et la gloire (je monte la star­tup), il s’agit de faire les 3 à la fois :

  • Pour la patrie, c’est le tra­vail pour la communauté :
  • les sciences, c’est pour l’humanité :
  • la gloire, c’est plus compliqué.

Avant, je pen­sais que la Gloire, c’était pour soi-même. Mais ça c’était avant.

La défi­ni­tion de Gloire dans le Lit­tré – j’en pro­fite pour faire un peu de pub pour Rever­so (voir aus­si cet article), qui a été mon­té par un cama­rade – est inté­res­sante : pour Lacuée, en 1804, la Gloire, ça n’était pas que la célé­bri­té ou l’honneur. c’était bien un peu plus… On y trouve une dimen­sion spirituelle.

Et puis c’est tou­jours la gloire de quelque chose ou quelqu’un ; dans le cas pré­sent, la gloire de qui ? la gloire de quoi ? Après la France et l’Humanité, il ne reste que Dieu.

Quel Dieu ?

Note 1 :

Ce billet d’humeur, par dif­fé­rence avec les pré­cé­dents, est très peu backu­pé par des docu­ments prou­vant ce que j’avance. La faute au manque de temps. Je serais donc très heu­reux d’échanger avec mes lec­teurs, en ligne ou par mail, en par­ti­cu­lier avec ceux qui pour­raient pen­ser que je ne suis pas dans le vrai

Note 2 :

;La suite logique de ce billet est le papier – dans le cas d’espèce, il s’agira d’un véri­table papier – sur les logos de l’Ecole. Manque de temps… Mais ça vien­dra. Je le dois à mes deux coau­teurs, aux­quels j’en pro­fite pour pré­sen­ter mes excuses

Remerciements :

  • à celui qui m’a don­né envie d’écrire le papier
  • à celui qui m’a convain­cu de le faire
  • à celui qui m’a aidé à l’améliorer

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