Défense et sécurité nationale :
Le concept sécurité “nationale” est apparu dans le livre blanc de 2008, puis confirmé dans celui de 2013. Mais l’armée, même si son intervention est appréciée, ne peut assurer seul ce rôle et la mobilisation de toutes les ressources de l’État est nécessaire.
Depuis 2008, l’idée de “ sécurité nationale ” a fait son chemin dans notre vocabulaire stratégique. Derrière une définition large (selon le livre blanc de 2008, “ la stratégie de sécurité nationale a pour objectif de parer aux risques ou menaces susceptibles de porter atteinte à la vie de la nation ”), elle correspond bien, il est vrai, à l’environnement stratégique du XXIe siècle.
“ Répondre plus efficacement à la multiplicité des défis sécuritaires ”
Il s’agit ainsi de penser la sécurité nationale comme un ensemble allant bien au-delà de la seule défense.
Via l’inclusion formelle du concept de “ sécurité nationale ” non seulement dans le livre blanc, mais aussi dans le nom d’institutions comme le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), les présidents et gouvernements successifs, depuis 2008, ont souhaité marquer la nécessité de mieux intégrer défense et sécurité et de répondre plus efficacement à la multiplicité des défis sécuritaires.
REPÈRES
À la différence des États-Unis, le concept de “ sécurité nationale ” ne fait pas partie de la tradition stratégique de la France, qui a longtemps tendu à distinguer défense et sécurité. La sécurité “ nationale ” a même longtemps eu mauvaise presse, tant elle semblait associée à des périodes de notre histoire marquées par des tensions internes très fortes ou à des régimes autoritaires.
Son inclusion dans l’intitulé même du Livre blanc sur la sécurité et la défense nationale de 2008 n’allait donc pas de soi, pas plus que la reprise de ce même titre pour le livre blanc de 2013.
Rappelons que les précédents livres blancs étaient un Livre blanc sur la défense en 1994 et un Livre blanc sur la défense nationale en 1972.
UNE APPROCHE GLOBALE
Le livre blanc de 2008 entendait ainsi intégrer “ la politique de défense, en totalité ”, “ la politique de sécurité intérieure, pour tout ce qui ne relève pas de la sécurité quotidienne et individuelle des personnes et des biens ”, “ la politique de sécurité civile ” et “ d’autres politiques publiques, en premier lieu la politique étrangère et la politique économique, qui contribuent directement à la sécurité nationale ” pour répondre aux risques et aux menaces.
Le livre blanc de 2013 explicite et fait sienne cette approche en notant que “ le concept de sécurité nationale exprime la volonté d’adopter une approche globale dans l’identification des risques et des menaces comme dans la réponse qu’il convient de leur apporter ”.
Face aux défis transverses que sont les catastrophes naturelles, les épidémies, les cybermenaces et, bien entendu, le terrorisme, le concept de sécurité nationale apparaît ainsi d’une grande utilité.
Il permet tout d’abord de marquer qu’il ne s’agit pas seulement pour la nation de gérer les risques et menaces militaires traditionnelles relevant de la seule défense nationale.
La sécurité de la nation n’est plus la seule affaire des armées, mais relève d’une nécessité plus globale qui doit mobiliser l’ensemble des forces de l’État, bien au-delà du seul ministère de la Défense.
LES LEÇONS DES ATTENTATS
Les attaques terroristes tragiques de l’année 2015 ont mis cette idée à l’épreuve. Auparavant, l’hypothèse d’attentats de grande ampleur menaçant la nation et le bon fonctionnement de nos institutions relevait, en France, de l’hypothèse d’école, indispensable à prendre au sérieux depuis le 11 septembre, mais théorique.
“ Le seul outil militaire ne peut pas tout ”
La France a même échappé, pendant près de seize ans, au terrorisme international qui n’a, entre 1996 et 2012 (attaques de Mohamed Merah), fait aucune victime en France. Les attaques de janvier et novembre 2015 ont ainsi remis en lumière l’importance de penser la sécurité nationale dans ses dimensions multiples.
Il sera sans doute nécessaire de pousser le retour d’expérience sur ces attaques pour tirer toutes les leçons de ces événements et consolider notre posture alors qu’il est indispensable de se préparer à de nouvelles attaques.
MOBILISER LES RESSOURCES DE LA NATION
Face à ces menaces non militaires, force est de reconnaître que le seul outil militaire ne peut pas tout.
Les attaques de janvier et novembre 2015 ont remis en lumière l’importance de penser la sécurité nationale dans ses dimensions multiples. © GUILLAUME LOUYOT ONICKZ ARTWORKS / SHUTTERSTOCK.COM
Face au terrorisme en particulier, la mobilisation des ressources de l’État en dehors du périmètre de la défense est nécessaire. Nécessaire, dans le cadre de la prévention du terrorisme d’abord.
Combinés au travail de la magistrature spécialisée, les forces de police et le renseignement, intérieur et extérieur, jouent un rôle central dans l’identification des groupes, des réseaux et des individus susceptibles de mener ou de soutenir une attaque terroriste.
Cela permet d’agir en amont pour démanteler ces réseaux et prévenir une attaque avant qu’elle ne se produise, ou, si elle a eu lieu, pour empêcher sa répétition par le même groupe. Ensuite, la question de disposer de capacités d’intervention et de réponse d’urgence est essentielle dans la gestion d’une telle menace.
Il est ainsi nécessaire que les primo-intervenants des services d’urgence (pompiers, SAMU, etc.) soient correctement entraînés et préparés pour répondre à des situations d’urgence mettant en jeu la sécurité nationale.
Cette mobilisation peut s’étendre à d’autres acteurs majeurs du secteur privé (opérateurs de télécommunications par exemple) dont la résilience est indispensable au bon fonctionnement de la nation en période de crise.
UNE COORDINATION PERMANENTE
In fine et avant d’évoquer le rôle spécifique des forces armées, il apparaît que la variété des outils pouvant concourir à la sécurité nationale impose à l’État un travail de coordination permanent afin de mobiliser des acteurs n’appartenant pas à la communauté de défense.
L’introduction de la sécurité nationale dans les préoccupations de ministères non régaliens, de collectivités locales, du secteur privé est l’un des acquis des deux livres blancs de 2008 et 2013, qui participent plus activement aux planifications Vigipirate et autres.
UN CHANGEMENT MAJEUR
L’une des transformations majeures est le développement d’une présence militaire pérenne sur le territoire national dans le cadre des mesures de sûreté prises à la suite des attentats.
Si les armées participent depuis des années par des patrouilles et des gardes au dispositif Vigipirate, les attentats de janvier et de novembre 2015 ont profondément fait évoluer cette posture, décuplant l’engagement militaire sur le territoire national. Ainsi, au-delà des rôles respectifs de la Marine nationale et de l’Armée de l’air dans la sûreté maritime et aérienne du pays, y compris face au risque terroriste, l’engagement des forces terrestres en nombre et dans la durée crée de fait une nouvelle mission majeure et exigeante.
Il est intéressant de noter que cet engagement massif de soldats sur le territoire national pour rassurer nos concitoyens et contribuer à la prévention du terrorisme soulève de nombreuses questions juridiques, politiques et pratiques.
Si l’engagement immédiat des forces armées dans les heures qui ont suivi les attaques est naturel, la décision de pérenniser dans le cadre de l’opération Sentinelle une présence durable suscite plus d’interrogations.
Il paraît difficile d’imaginer que la mission Sentinelle soit interrompue à un horizon prévisible, tant la menace reste élevée. © FREDERIC LEGRAND – COMEO
SOIXANTE-DIX MILLE SOLDATS
Début 2016, soit un an après le début de la mission déclenchée par les attentats de 2015, et selon les chiffres du ministère de la Défense, 10 000 militaires sont engagés dans la mission Sentinelle sur le territoire national : 6 500 en Île-de-France et 3 500 en province.
À cela s’ajoutent les 1 500 marins qui assurent la défense des approches maritimes de la France et les 1 000 militaires de l’Armée de l’air qui assurent la sécurité permanente de l’espace aérien français.
Cela porte donc à environ 13 000 le nombre de militaires qui veillent sur le territoire métropolitain, soit davantage que le nombre de militaires engagés en opérations extérieures. Au total, ce sont près de 70 000 soldats qui ont participé à la mission Sentinelle en 2015.
UN ENGAGEMENT APPRÉCIÉ
Cet engagement est apprécié de nos concitoyens qui saluent la disponibilité de nos soldats. Ses modalités ont été progressivement précisées et adaptées pour faire une plus large place aux patrouilles mobiles au détriment des gardes statiques. Tout cela pose néanmoins une question de fond sur le rôle des forces armées sur le territoire national.
Pour la plupart de nos voisins européens (à l’exception notable de l’Italie et de la Belgique), l’engagement des armées dans une mission de sécurité intérieure reste un tabou. Il s’agit ainsi de penser à la fois les termes et les conséquences de cet engagement durable.
Sur le plan pratique, il crée d’abord une forte tension sur les effectifs et une contrainte forte pour les personnels militaires engagés, d’autant plus que le rythme des opérations extérieures est également très exigeant et pourrait – à terme – menacer l’attractivité du métier militaire.
De ce point de vue, il est à noter que les recrutements annoncés permettront un retour à une situation pré-2012. Plus que bienvenue, l’inversion de la courbe des effectifs militaires décidée en 2015 ne transforme ainsi pas radicalement la situation dans un contexte où les effectifs des armées demeurent resserrés et sans doute appelés à le rester.
UNE DOCTRINE D’ENGAGEMENT DES FORCES
Sur le plan doctrinal et juridique, un travail est mené sur le développement d’une doctrine d’engagement des forces sur le territoire national. Cet indispensable travail militaire devra sans doute être accompagné d’un travail sur le cadre juridique de cet engagement, d’autant plus que sa pérennité paraît, hélas, assurée dans un contexte sécuritaire dégradé.
“ Un engagement apprécié de nos concitoyens qui saluent la disponibilité de nos soldats ”
Sur le plan politique, il paraît difficile d’imaginer que la mission Sentinelle soit interrompue à un horizon prévisible, tant la menace reste élevée. Il conviendra cependant de conserver la capacité de moduler l’ampleur de cet engagement en fonction de l’évolution de la menace.
Enfin, il est nécessaire de penser à la meilleure manière de combiner dans la durée le caractère concomitant des engagements extérieurs et intérieurs, qui impose aux armées de se préparer à des missions d’une extrême diversité allant des conflits de très haute intensité à la poursuite d’opérations extérieures plus classiques, aux nouvelles missions intérieures devenues elles aussi structurantes.