La dissuasion nucléaire, une arme plus actuelle que jamais
Sous un pseudonyme, un de nos camarades démontre l’absolue necessité de maintenir cette arme. Pour qu’elle reste crédible, il faut en continuer les développements, en examinant de façon lucide les menaces qui peuvent compromettre nos intérêts.
Les opinions publiques occidentales peuvent avoir le sentiment d’une certaine obsolescence de la doctrine de la dissuasion nucléaire :
- en raison de son lien historique avec la guerre froide, désormais révolue ;
- parce que d’autres menaces (comme le terrorisme) qui ne relèvent pas de la dialectique de la dissuasion paraissent aujourd’hui plus prégnantes ;
- parce que la réflexion théorique, aujourd’hui moins riche qu’elle ne l’a été du temps des « fondateurs » (Poirier, Beaufre, etc.), intéresse moins les élites ;
- parce que les dirigeants actuels n’ont pas vécu de situation où les intérêts vitaux de leur pays ont été menacés.
La dissuasion deviendrait, selon certains, une habitude à laquelle on n’oserait toucher, mais sans savoir pourquoi.
REPÈRES
La France est signataire du Traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP). À ce titre, toute diminution de la posture nucléaire française doit être considérée comme définitive, que ce soit sur le nombre de composantes, sur le nombre de vecteurs ou sur le nombre d’armes.
Cela exclut donc une diminution conjoncturelle suivie d’une remontée en puissance en cas de détérioration de la situation internationale, sauf à rompre nos engagements internationaux (ce que les gouvernements français ne sont pas prêts à faire).
UNE NUCLÉARISATION CROISSANTE
Cette impression d’inadéquation de l’arme et de la doctrine nucléaires à la situation géostratégique est inexacte.
On doit tout d’abord rappeler que, pour de nombreux acteurs, dans le monde non occidental, l’arme nucléaire constitue un moyen potentiel de régler des problèmes régionaux lourds, ou plus simplement un moyen d’accéder à la puissance et à la reconnaissance internationale.
“ Un moyen irremplaçable pour contrer une menace lourde d’origine étatique ”
Au moment même où les opinions occidentales paraissent se désintéresser de la dissuasion nucléaire, celle-ci fait l’objet de toutes les attentions d’autres puissances, grandes, moyennes ou petites.
Dans quarante ans, il est fort possible que le monde soit davantage nucléaire qu’il ne l’est actuellement, et un renoncement de notre part, aujourd’hui, nous placerait demain dans une situation dangereuse : or c’est maintenant que se prennent les décisions portant sur les moyens dont la France disposera à cet horizon.
DES MENACES QUI S’ADDITIONNENT
Des sous-marins quasi invulnérables car non détectables.
© JAKEZC / FOTOLIA.COM
Il faut observer que, si l’arme nucléaire n’est pas un outil adapté à la lutte contre le terrorisme, elle demeure un moyen irremplaçable pour contrer une menace lourde d’origine étatique : or, ce n’est pas parce qu’une menace nouvelle apparaît (le terrorisme) que les anciennes disparaissent – comme les nombreuses crises actuelles le montrent.
LES CONTRAINTES DU TNP
Du fait du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), des contraintes techniques et des compétences nécessaires, toute diminution des moyens nucléaires serait définitive et donc les décisions prises aujourd’hui engageront l’avenir.
Seule la certitude que le monde de demain verrait disparaître définitivement les menaces sur nos intérêts vitaux pourrait justifier un arrêt ou une baisse de nos forces nucléaires.
Or il n’existe pas d’alternative aux armes nucléaires pour assurer une dissuasion stratégique efficace, c’est-à-dire pour empêcher une guerre qui s’en prendrait à nos intérêts vitaux.
NE PAS BAISSER LA GARDE
Enfin, un renoncement de notre part à nos moyens nucléaires n’aurait aucune influence sur l’envie de certains pays de se doter d’armes nucléaires ou de conserver celles qu’ils ont déjà. Sans chercher le paradoxe, on pourrait même dire que cela pourrait avoir l’effet inverse et les encourager dans leurs efforts pour se doter d’armes nucléaires, puisque ceux qui soutiennent l’application du TNP seraient affaiblis.
Le maintien de nos capacités nucléaires est justifié dans un monde qui reste dangereux, et pas seulement du fait du terrorisme.
LA DISSUASION D’AUJOURD’HUI EST-ELLE TOUJOURS CELLE D’HIER ?
La stratégie française de dissuasion se concevait dans le strict contexte de la légitime défense des intérêts vitaux de la nation.
Cependant, pour couvrir les cas d’intervention extérieure où pourraient être impliquées des armes de destruction massive, on a vu apparaître une évolution de la doctrine nucléaire française selon laquelle certains moyens nucléaires français pourraient être utilisés pour rétablir la liberté d’action de la France face à un petit pays nucléaire proliférant (contre-dissuasion) ou face à un « allié protecteur » du pays tiers où l’on veut intervenir (comme l’URSS protégeant l’Égypte lors de Suez).
SE CONCENTRER SUR NOS INTÉRÊTS VITAUX
Cette évolution de doctrine pose un problème car on n’est plus forcément dans le contexte de stricte légitime défense évoqué ci-dessus. On aurait ainsi avantage à éviter les ambiguïtés et les risques d’amalgame entre la dissuasion stratégique clairement liée à la défense de nos intérêts vitaux et cette autre approche impliquant nos moyens nucléaires.
“ Des moyens nucléaires essentiellement liés à la défense d’intérêts vitaux ”
En particulier si nous intervenons, non pas dans un contexte où nous ou nos alliés sommes clairement agressés sans raison, mais dans un contexte où nous prenons l’initiative du conflit armé et où nous agissons pour défendre notre vision des valeurs et de l’ordre international.
Quel que soit le contexte, il doit être clair que les moyens nucléaires de la France sont liés essentiellement à la défense de ses intérêts vitaux. Cela n’exclut pas d’afficher que des forces françaises engagées sur un théâtre extérieur dans une opération approuvée par la communauté internationale entrent dans le champ des intérêts vitaux couvert par nos moyens nucléaires.
La Corée du Nord est en passe de devenir le 9e pays nucléarisé. © OLEG KHRIPUNKOV / FOTOLIA.COM
HUIT PAYS NUCLÉARISÉS ET BIENTÔT NEUF
Aujourd’hui huit pays, qui représentent presque la moitié de l’humanité, sont dotés de moyens nucléaires opérationnels : cinq pays « dotés » au sens du TNP – Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni et Russie, trois États hors TNP – Inde et Pakistan qui se déclarent nucléaires et Israël qui, de notoriété publique, est nucléaire mais ne le reconnaît pas.
Tous ces pays entretiennent et modernisent leurs arsenaux, aucun n’envisage un abandon de ses moyens nucléaires. À ces pays on peut ajouter la Corée du Nord qui a réussi des explosions nucléaires mais n’a pas encore un système pleinement opérationnel.
INCLURE LES ARMES CHIMIQUES ET BACTÉRIOLOGIQUES DANS LE TNP
Une renégociation du TNP est en cours. Il convient d’assurer la cohérence entre nos choix stratégiques pour la défense de la France et les positions prises par notre pays dans cette négociation. Ainsi, dans le cadre du TNP, la France a garanti de ne pas recourir ni menacer de recourir à ses armes nucléaires à l’encontre des États signataires du traité et ne disposant pas d’armes nucléaires tant que ceux-ci respectent leurs obligations de non-prolifération nucléaire.
Ces garanties (dites “ négatives ”) du TNP devraient être explicitement aménagées pour y inclure le chimique et le biologique (“ ne pas recourir ni menacer de recourir à nos armes nucléaires à l’encontre des États non dotés d’armes nucléaires tant que ceux-ci respectent leurs obligations de non-prolifération nucléaire et ne se dotent d’aucune autre arme de destruction massive – chimique ou biologique).
Cela serait en accord avec le récent discours du président de la République qui parle de garantie accordée aux États ne proliférant pas en matière d’armes de destruction massive (ce terme désigne classiquement les armes nucléaires, chimiques ou biologiques).
NE PAS RÉDUIRE LE NOMBRE DE TÊTES NUCLÉAIRES
Par ailleurs, le développement de systè mes de défense antimissiles (DAMB) impose de maintenir un nombre de têtes suffisant pour opérer les destructions jugées adaptées tout en tenant compte de l’attrition apportée par ces défenses. Cela peut impliquer une saturation des défenses (il est en effet simple de saturer un système DAMB dont la capacité d’interception est limitée : le syst•me de défense de Moscou avait une capacité limitée à 100 têtes).
Il convient donc, dans la renégociation du TNP, de ne pas accepter de réduire le nombre de t•tes nucléaires françaises en dessous de ce qui a déjà été accepté. Dans l’idéal, il faudrait disposer de trois à quatre cents têtes.
ESSAIS ET SIMULATIONS
Dans le cadre des négociations internationales pour le désarmement, la France a arrêté la production de matière fissile pour les armes nucléaires, a démantelé ses usines, a arrêté tous les essais nucléaires et signé tous les traités de maîtrise des armements, de désarmement et de lutte contre la prolifération : le Traité sur la non-prolifération (TNP) et le Traité d’interdiction complet des essais nucléaires (TICE).
Il faudrait inclure les armes biologiques dans le TNP
© SCIENCE PHOTO / SHUTTERSTOCK
Néanmoins, comme les armes nucléaires ont une durée de vie limitée du fait de leur vieillissement, les armes extrêmement optimisées mises au point en s’appuyant sur des essais sont en cours de remplacement. La stratégie de renouvellement de ces armes repose sur le concept d’armes dites robustes, ce qui présente l’avantage de pouvoir garantir, sans essais nucléaires, leur fonctionnement et leurs évolutions.
Leur développement s’appuie sur les derniers essais nucléaires et la simulation, qui consiste à reproduire en laboratoire les différentes phases de fonctionnement d’une arme.
L’ultime campagne d’essais a aussi permis d’amasser les données suffisantes pour la mise en place de ce programme de simulation. Par ailleurs, une cinquantaine d’essais précédents suffisamment instrumentés permettent de valider la simulation via la réinterprétation des essais du passé.
UN ENJEU VITAL POUR LA FRANCE
La dissuasion stratégique française doit être maintenue et elle repose sur quatre idées fortes. La première est que la dissuasion reste nécessaire pour assurer la protection ultime des intérêts vitaux de la France dans un contexte de légitime défense.
“ La menace d’emploi de cette arme doit être crédible ”
La seconde est qu’il convient de conforter la certitude que les dégâts provoqués seront, dans tous les cas, insupportables par l’adversaire ; ce qu’apporte le caractère nucléaire des armes mises au service de notre stratégie de dissuasion.
En effet, les moyens conventionnels restent, eux, parfaitement soumis à la logique du rapport de force, empêchant ainsi de fonder sur eux toute dissuasion du “ faible au fort ”, qui ne peut relever que d’armes nucléaires.
La troisième idée est qu’il faut que la certitude que ces armes arriveront sur leur cible soit évidente pour tous : cette certitude est apportée en dernier recours par les missiles balistiques qui, aujourd’hui et pour longtemps encore, ne sont pas interceptables (en tout cas lancés en salve) et par leur installation à bord de sous-marins quasi invulnérables car indétectables.
Enfin, la menace d’emploi de cette arme doit être crédible. Le doute bénéficiant au défenseur, cette menace est efficace même si l’agresseur estime faible, mais pas nulle, la probabilité d’une décision de tir.
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Vision de la défense nucléaire des années 1950–90
Cet article présente une vision de la défense nucléaire qui me semble dater des années 1950–1990.
Depuis beaucoup d’eau a coulé sous les ponts.
Paul Quilès, ancien ministre de la défense, conteste l’utilité de cet armement comme moyen de dissuasion et plaide pour son abandon total. Pour lui et plusieurs hauts-gradés de l’armée qui le soutiennent, l’existence de l’arme nucléaire représente un danger mortel pour l’humanité que rien ne justifie : voir le site http://www.idn-france.org
Le monde a déjà échappé plusieurs fois « par chance » à la guerre nucléaire par accident : voir l’excellent film « Brume de guerre » de Robert McNamara, ancien ministre de la défense des Etats-Unis. Il est disponible en DVD.
En plus, cet armement ne sert plus seulement à la dissuasion. Depuis les années 1990, en miniaturisant la « bombe » et en se dotant de lanceurs extrêmement précis, les superpuissances la considèrent comme un moyen d’attaque : voir le discours du président Chirac à Brest en 2006 ou d’autres témoignages officiels américaines et russes. Ils se font des illusions sur la possibilité de s’en servir localement sans provoquer un embrasement généralisé.
Curieux que Pierre Lamballe n’en tienne pas compte.