André Turcat (40) pilote d’essai
Né le 23 octobre 1921 à Marseille, André Turcat est décédé à l’âge de 94 ans le 4 janvier dernier à Beaurecueil, près d’Aix-en-Provence. Il restera à tout jamais le pionnier, le pilote d’essai, l’homme du Concorde, ce « bel oiseau blanc » qu’il défendra jusqu’au bout.
Le pilote d’essai du Concorde, et auparavant du Gerfaut et du Griffon, s’est éteint à l’âge de 94 ans.
À la sortie de l’X, en 1942, André Turcat rejoint l’Armée de l’air – mais ne fait son baptême de l’air qu’en 1945 ! Breveté en 1947, il accomplit de nombreuses missions sur C47, notamment en Indochine.
Au cours d’un passage à Brétigny-sur-Orge pour une grande visite de son avion, en 1950, il lui est proposé de devenir pilote d’essai au centre d’essai en vol (CEV). Il accepte.
En 1952 il prend parallèlement la direction de l’EPNER, École du personnel navigant d’essais et de réception. Sa carrière se poursuit en 1954 à Nord Aviation, où il est chargé des essais du Gerfaut puis du Griffon, prototypes devant préparer les futurs intercepteurs de l’Armée de l’air que seront les Mirages de Dassault Aviation.
Il établit alors de nombreux records. Celui dont il était le plus fier était, en 1959, le record du monde de vitesse en circuit fermé sur 100 km, sur Griffon II (1 643 km/h), qui lui vaut le trophée Harmon remis par Richard Nixon, alors vice-président des États-Unis.
DE NORD AVIATION À SUD AVIATION
En 1962, André Turcat est embauché à Sud Aviation (directeur adjoint puis directeur des essais en vol) pour s’occuper d’abord de la mise au point de l’atterrissage automatique (aux instruments) sur Caravelle, puis du développement du supersonique.
C’est la grande aventure technologique franco-britannique qui conduira au Concorde, dont il sera le pilote d’essai en chef – et qui préparera le développement d’Airbus.
Le travail sur Concorde lui vaudra un second trophée Harmon en 1970, avec son alter ego britannique Brian Trubshaw.
ENGAGEMENT POLITIQUE, INTELLECTUEL ET SPIRITUEL
S’il prend sa retraite en 1976, André Turcat ne reste pas inactif. La politique l’appelle. Conseiller pour les affaires industrielles et les technologies de pointe au RPR, il est adjoint au maire de Toulouse de 1971 à 1977 puis député au Parlement européen de 1980 à 1981.
Il se préoccupe toujours de l’avenir du domaine aérospatial en France et, avec d’autres responsables de cette industrie, il fonde notamment en 1983 l’Académie de l’air et de l’espace.
Il se tourne alors vers la spiritualité, devenant docteur ès lettres en soutenant une thèse sur l’art chrétien en 1990, et plus tard s’inscrivant à la faculté de théologie de Strasbourg.
UN HOMME DE CULTURE ET DE CONVICTIONS
À côté de ce grand ingénieur et pilote, André Turcat était un homme de grande culture et de fortes convictions. En 2005, sollicité pour contribuer à la réalisation d’un dossier de La Jaune et la Rouge sur l’aviation civile, il a accepté et m’a demandé de faire la recension de l’un de ses livres.
Un peu étonné, j’acceptai : il s’agissait de l’histoire d’un sculpteur français qui avait vécu en Espagne au temps de l’Inquisition (l’objet de sa thèse de doctorat).
J’ai compris alors l’étendue des talents d’André Turcat, que j’avais perçus en lisant son article « Formes, forces, beauté » (La Jaune et la Rouge n° 607, août-septembre 2005).
LES MÉMOIRES D’UN PILOTE D’ESSAI
André Turcat était également l’auteur de mémoires : Pilote d’essais : Mémoires et Pilote d’essais : Mémoires II (Éditions Le Cherche-Midi). On y retrouve toutes ses aventures comme pilote de DC3 en Indochine, puis comme pilote d’essai de Gerfaut et de Griffon puis de Concorde, et son souci de la rigueur dans ses actions techniques.
Ce qui frappe, dans ses récits, c’est l’esprit d’équipe qui l’anime, et qui se retrouve dans toutes les équipes de pionniers. Il rappelle le rôle des épouses de ceux qui font un métier dangereux : elles sont un facteur d’équilibre essentiel.
Il explique l’importance du détail et de l’analyse fine, et son souci constant de compréhension des phénomènes qu’il observe. Il montre l’obligation, pour les pilotes d’essai, d’être capable de prendre des décisions rapidement.
Il a aussi utilisé ce talent dans sa vie en saisissant rapidement les opportunités qui lui étaient proposées.
LA FOI EN L’IMMORTALITÉ
Dans le dernier chapitre du tome II de ses Mémoires, André Turcat exprime ses convictions religieuses : « Au-delà des atteintes de la raison pure mais sans la contredire, je crois en un Dieu vivant, aimant sa créature et l’attendant au “dernier virage” comme je me suis souvent annoncé en tour de piste, un Fils Christ (= oint comme un roi), incarné et intemporé, dont nous connaissons l’histoire et dont nous savons et ressentons la présence par Son Esprit dit “consolateur”.
Et, en fin de compte, oui, cher interlocuteur ou lecteur, je suis croyant en l’éternité intemporelle et bienheureuse de ceux qui ne refuseront pas ce bonheur, parce que même si notre enveloppe doit finalement pourrir, nous sentons bien que quelque chose en nous est immortel, et pas comme un Académicien. »
Dans son tome II, André Turcat raconte en toute humilité quelques-unes des erreurs qu’il a commises et montre par là que le pilote le plus expérimenté n’est pas à l’abri de petites défaillances. Il s’émerveille devant la beauté de l’univers contemplé durant les vols à haute altitude et lors des voyages dans le monde entier.
Mais son dernier chapitre ramène à la spiritualité : André Turcat est convaincu que l’amour est essentiel pour donner du sens à la vie. « L’amour est invisible comme l’est l’attraction universelle », affirme-t-il.
Nous voyons, derrière le pilote renommé, un homme d’une grande profondeur et un poète sachant transmettre ses émotions.
André Turcat était grand officier de la Légion d’honneur et grand-croix de l’ordre national du Mérite, et également commandeur de l’ordre de l’Empire britannique.