La recherche à l’X : nanosciences, matériaux innovants et procédés efficaces
Un tour d’horizon de trois axes de recherche multidisciplinaires :
• rendre les matériaux « intelligents » (propriétés dépendantes de l’environnement).
• mettre à profit la supraconductivité.
• développer l’électronique organique flexible (écrans courbes).
There is plenty of room at the bottom, tel était le titre de l’intervention de Richard Feynman en 1959 devant le congrès de l’American Physical Society.
Cinquante ans plus tard, cette vision est devenue réalité, en grande partie grâce aux progrès accomplis dans la structuration de la matière aux échelles nanométriques, dans la métrologie associée qui fait appel aux technologies les plus sophistiquées, ainsi que dans la compréhension des phénomènes dominants à ces petites échelles temporelles et spatiales, et leurs couplages multiphysiques.
DE NOUVELLES PERSPECTIVES
Les laboratoires de l’École polytechnique explorent des voies de recherche aussi variées que la synthèse de nanotubes de carbone, de feuillets de graphène, de nanoparticules fonctionnalisées, la nanostructuration de surfaces ou de couches minces aux propriétés extraordinaires, les couplages multiphysiques, etc.
“ Certaines applications modernes requièrent des matériaux aux propriétés multiphysiques ”
Ils conçoivent ainsi de nouveaux matériaux intelligents ou des surfaces actives, des dispositifs et capteurs multifonctionnels, des biocapteurs miniatures autonomes, de nouveaux catalyseurs, etc.
Focus sur quelques-unes des perspectives offertes par les matériaux intelligents, la supraconductivité et l’électronique organique.
DES MATÉRIAUX INTELLIGENTS
Les ingénieurs ont aujourd’hui à leur disposition une grande diversité de matériaux naturels et synthétiques. Le travail des chercheurs en laboratoire vise à améliorer la résistance de ces matériaux tout en diminuant leur poids, un enjeu de taille dans la majorité des secteurs industriels.
Pour cela on les « architecture », ne retenant que les éléments nécessaires à la tenue structurelle requise pour l’application envisagée.
Néanmoins, certaines applications modernes requièrent des matériaux aux propriétés plus complexes, dites « multiphysiques » : une action provoque une réaction dans un autre domaine physique (par exemple une balance fonctionnant par effet piézoélectrique), sans perte d’énergie lors de la transition.
Dans le domaine du biomédical et de l’aérospatial par exemple, les matériaux doivent pouvoir se déformer, non plus seulement sous l’action d’une force, mais aussi sous l’action d’autres stimuli, comme un champ magnétique.
Les matériaux présentant de telles propriétés sont généralement qualifiés de « matériaux intelligents ».
MODÉLISER LES INTERACTIONS
En plus de ceux découverts à l’état naturel, de nombreux matériaux intelligents ont été conçus en laboratoire. Cependant, rares sont ceux qui ont passé le cap de la preuve de concept et atteint le transfert technologique.
“ L’emploi d’électroaimants supraconducteurs de grande taille a révolutionné l’IRM ”
C’est notamment le cas des élastomères « magnétorhéologiques », composites architecturables de silicone et de particules métalliques, qui présentent pourtant un grand intérêt dans le domaine des interfaces actives et du biomédical, en raison de leur capacité à se déformer ou se rigidifier sous l’action d’un champ magnétique.
Ces matériaux complexes mettent en jeu de nombreux phénomènes physiques, qui interagissent à différentes échelles. Pour en tirer des applications concrètes, il est indispensable de comprendre et modéliser précisément ces interactions.
Cette étape, qui couple analyses expérimentales et théoriques, est cruciale car elle permet d’établir les lois de comportement de tels matériaux.
C’est le défi lancé au laboratoire de mécanique des solides : la caractérisation très fine de ces matériaux, car ces lois constituent aujourd’hui le chaînon manquant des simulations numériques impliquées dans la conception de structures efficaces à partir de matériaux intelligents.
LES ENJEUX DE LA SUPRACONDUCTIVITÉ
La supraconductivité est un état particulier de la matière, dans lequel un matériau perd sa résistance électrique en dessous d’une température critique, plutôt basse, pouvant ainsi conduire de l’électricité sans perte d’énergie.
Depuis sa découverte, la supraconductivité a fait son chemin. Elle intervient aujourd’hui dans un très large spectre d’applications. Dans le domaine médical, l’emploi d’électroaimants supraconducteurs de grande taille a permis de révolutionner l’imagerie par résonnance magnétique (IRM).
“ On peut acquérir des smartphones et des télévisions aux écrans convexes et concaves ”
Les matériaux supraconducteurs ont également trouvé des applications dans le secteur de l’énergie, du transport et des télécommunications.
Ils permettent notamment de fabriquer des câbles et limiteurs de courant, de faire léviter de la matière par sustentation magnétique, de développer des dispositifs ultraperformants pour la détection et l’amplification de signaux, ou encore de poser les bases pour la conception de l’ordinateur quantique.
Les chercheurs du LSI oeuvrent pour étendre le périmètre de ces applications et les perfectionner. Ils tentent en particulier de contrôler la dissipation électrique dans les matériaux supraconducteurs soumis à des champs magnétiques.
Élastomères magnétorhéologiques : ces matériaux
intelligents disposent d’une capacité à se déformer
ou se rigidifier sous l’action d’un champ magnétique. © LAURENCE BODELOT
Lévitation d’un bloc d’oxyde d’yttrium-barium-cuivre
supraconducteur, refroidi à la température de l’azote liquide,
au-dessus d’une piste d’aimants permanents en néodyme-ferbore. © KEES VAN DER BEEK
Ils étudient également, grâce à l’irradiation, l’effet du désordre cristallin des matériaux sur la supraconductivité. Les résultats déjà obtenus sont exploités pour élaborer de nouveaux dispositifs d’intérêt. En collaboration avec le laboratoire Imagerie par IRM médicale multimodalités (CNRS / université Paris-Sud), le LSI conçoit par exemple des antennes supraconductrices pour IRM. Celles-ci ont la particularité de pouvoir commuter de manière ultra-rapide entre l’état résistif et non-résistif caractérisant les supraconducteurs.
Dans la même veine, le LSI étudie avec Thales Research & Technology la possibilité d’utiliser des éléments supraconducteurs comme protections pour les circuits électroniques (contre des surcharges de réseau, ou des impulsions électromagnétiques de puissance). Les deux partenaires cherchent également à identifier la limite ultime de résolution de filtres supraconducteurs pour les télécommunications.
Les perspectives de développement des applications sont vastes, pour la médecine, les télécommunications, les transports, le stockage de l’énergie, grâce à des architectures nouvelles des matériaux, aussi bien à l’échelle macroscopique que micro voire nanométrique.
On espère toujours, en outre, voir apparaître un matériau supraconducteur à température critique ambiante.
ÉLECTRONIQUE ORGANIQUE, LA FLEXIBILITÉ EN MARCHE
La microélectronique est l’une des plus belles aventures scientifiques et technologiques de ces cinquante dernières années. C’est grâce aux évolutions de ses composants que nous avons décuplé la puissance de nos ordinateurs, développé les télécommunications et généralisé les écrans plats. Et l’électronique continue sa marche pour aller encore plus loin.
Bientôt, elle pourra être intégrée à tous les objets les plus usuels de notre quotidien, nous connectant par là même toujours un peu plus au réseau.
Flexibilité et réduction des coûts sont les deux ingrédients essentiels qui permettront cette conquête de l’Internet des objets connectés. Sans ces deux conditions, l’incrustation d’écrans dans nos vêtements resterait par exemple impensable.
FABRIQUER SON ÉLECTRONIQUE CHEZ SOI
D’un point de vue technologique, les matériaux organiques semblent être la brique élémentaire d’une électronique flexible, versatile et à faible coût.
Les plastiques intelligents, les nanotubes de carbone ou encore le graphène présentent en effet une structure en couches minces, d’une dizaine de nanomètres à quelques micromètres d’épaisseur, qui leur confère des propriétés intrinsèques remarquables.
Ils sont ainsi naturellement conducteurs, isolants ou semi-conducteurs mais aussi flexibles, enroulables, voire pliables. La mise en solution de ces matériaux sous la forme d’encres imprimables est même envisageable.
Diode électroluminescente organique utilisée dans le cadre de l’électronique organique flexible. © YVAN BONNASSIEUX
Les scientifiques y travaillent ardemment, dans l’optique de rivaliser avec le concept de « FabLab ». Ils tentent ainsi de mettre à disposition du public des « ElectroLab », pour que chacun puisse un jour dessiner, fabriquer, imprimer son électronique chez soi.
L’électronique organique flexible fait l’objet de recherches intenses depuis la fin des années 1980. Elle arrive peu à peu sur le marché, en particulier avec les écrans OLED. Ces diodes électroluminescentes organiques qui les composent brisent pour la première fois le dogme des écrans uniquement plats. On peut désormais acquérir des smartphones et des télévisions aux écrans convexes et concaves. La course à l’électronique flexible est lancée.
Outre les écrans flexibles ou pliables, on pourra développer des lunettes offrant de la réalité augmentée ; des capteurs sur la peau, des « patches », ou sur des stents « intelligents », ou encore coulés dans le béton pour mesurer les déformations d’ouvrages d’art (avec l’Ifsttar) ; des cellules solaires ou des éclairages flexibles, etc