Le secteur des missiles, un nouveau modèle pour l’industrie de défense en Europe
Le Livre Blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 et celui de 2008 l’affirment tous les deux : l’industrie de défense est une composante essentielle de l’autonomie stratégique. En d’autres termes, l’industrie de défense permet à la Nation d’exercer pleinement sa souveraineté en lui apportant des compétences et des matériels performants, qui donnent aux Forces armées la capacité d’intervenir quand les gouvernements le décident, là où ils le décident.
L’industrie de défense contribue ainsi à la liberté de décision et à la liberté d’action de nos Forces armées et assure l’accès direct aux technologies militaires critiques. Ce constat n’est pas propre à la France. En Europe, il est partagé par le Royaume-Uni avec lequel la France a désormais une coopération stratégique très étroite, qui va jusqu’à la mise en commun d’un certain nombre de moyens de soutien à leur dissuasion.
Il est également partagé à des degrés divers par des pays comme l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne ou la Suède si on veut se limiter aux pays qui, en juillet 1998, ont signé la LoI (Letter of Intent) pour faciliter une consolidation de leurs industries de défense.
Hier, comme aujourd’hui, cette consolidation reste la seule réponse à la baisse structurelle des budgets en Europe, alors qu’émergent de nouvelles puissances planétaires et que les budgets de défense croissent partout ailleurs qu’en Europe.
Deux décennies après la signature de cette LoI, il convient de reconnaître que le processus de consolidation européenne est allé beaucoup moins vite qu’espéré. Pourtant cet objectif reste plus que jamais d’actualité.
L’exemple de MBDA montre même qu’il est possible pour une entreprise européenne de défense d’avoir une taille comparable à celle de ses principaux concurrents américains et d’être fortement exportatrice, avec plus de la moitié de son carnet de commandes hors d’Europe. En démontrant ainsi qu’elle est compétitive et pérenne, MBDA remplit les deux conditions essentielles qu’une puissance soucieuse de pouvoir assumer sa souveraineté attend de son industrie de défense.
Mais, dans une Europe où les budgets nationaux permettront de moins en moins de maintenir une taille critique dans un périmètre purement national, ces deux conditions en appellent une troisième : l’acceptation d’un certain niveau de dépendance mutuelle en coopérant sur les programmes et en consolidant dans un cadre européen la base industrielle.
Ce que les Britanniques résument de cette formule lapidaire : « share it or lose it » et qui repose sur la nécessité de partager un certain nombre d’objectifs stratégiques et de capacités technologiques et industrielles.
Le missile d’interception aérienne Meteor, développé en coopération par MBDA pour les six pays de la LoI et les trois avions de combat européens. Le symbole de ce que l’Europe réunie peut faire de meilleur. © MBDA Th. Wurtz.
Entre France et Royaume-Uni, ce processus a débuté en 1996, quand les deux pays ont décidé de lancer ensemble le programme de missile de croisière Scalp. Réalisant à quel point cette capacité, qui permet aux forces d’entrer en premier sur un théâtre d’opérations, est essentielle pour la souveraineté et structurante pour l’industrie, les deux pays ont eu la sagesse de soutenir la fusion des deux industriels nationaux impliqués dans l’affaire : Matra Défense et BAe Dynamics.
Ainsi, lancé en février 1997, le programme a pu être piloté par une équipe unique s’appuyant sur une structure de management intégrée, sans échelons de supervision nationaux risquant d’interférer avec le succès du projet commun.
Sept ans plus tard, en mars 2003, le missile franco-britannique était opérationnel et employé en Irak par la Royal Air Force. Lancé en 1997 le même jour que le missile Scalp, le missile américain directement concurrent, le JASSM, n’est devenu opérationnel qu’en 2009, soit 6 ans après le Scalp. La valeur de l’organisation intégrée imaginée par Matra BAe Dynamics (MBD) était ainsi démontrée.
Lorsque, pour devenir MBDA, MBD absorba en 2001 les activités missiles d’Aerospatiale en France et de Finmeccanica en Italie, cette organisation intégrée a été étendue au nouveau groupe et continue aujourd’hui de régir son fonctionnement
Au sommet de Lancaster House en 2010, la France et le Royaume-Uni décidaient d’aller encore plus loin, de ne plus se contenter de coopérer programme par programme, mais de consolider, au travers du projet One MBDA, leur base industrielle et technologique dans les missiles au prix d’une interdépendance accrue. Cette avancée ne fut possible que parce que les deux pays reconnaissaient que le secteur des missiles était critique pour leur autonomie stratégique1 et que la convergence de leurs objectifs stratégiques permettait d’accepter cette interdépendance en échange d’une meilleure compétitivité de cette filière industrielle.
Le missile d’interception aérienne Meteor, développé en coopération par MBDA pour les six pays de la LoI et les trois avions de combat européens. Le symbole de ce que l’Europe réunie peut faire de meilleur. © MBDA Th. Wurtz.
Cinq ans et un nouveau programme en coopération, le missile Anti Navire Léger (ANL), plus tard, les décisions de Lancaster House se traduisent par la mise en oeuvre par MBDA des premiers centres d’excellence industrielle unifiés entre la France et le Royaume-Uni. Ainsi, créés en 2015, des centres d’excellence spécialisés permettent de maintenir au plus haut niveau les compétences techniques et industrielles au profit des deux pays et de fournir les technologies nécessaires à leurs besoins et développements nouveaux, tout en réduisant au minimum le niveau de duplication industrielle préexistante entre les deux pays.
En 2015, les deux pays signaient ainsi un accord intergouvernemental pour encadrer le pilotage étatique de ces centres et se garantir mutuellement l’accès aux compétences désormais mises en commun. C’est une formule inédite dans l’industrie de défense. Cette étape accomplie, l’objectif pour MBDA est à présent d’en faire un levier d’optimisation pour les futurs programmes et d’élargir à l’avenir le périmètre de ces centres d’excellence à l’Italie, l’Allemagne et l’Espagne.
Plus que jamais, l’objectif pour MBDA est de s’affirmer comme le maître d’oeuvre européen capable de poursuivre la consolidation du secteur des missiles en Europe et susceptible de servir d’exemple pour des initiatives dans d’autres secteurs de l’industrie de défense européenne, comme cela fût anticipé par les gouvernements français et britanniques en 2010 dans le traité de Lancaster House.
En effet, afin d’assurer sur le long terme à la France et aux pays européens l’accès nécessaire aux technologies de souveraineté, la seule solution réaliste passe par la consolidation de l’industrie de défense et la réduction des duplications nationales.
Par le succès de ses programmes, nationaux ou en coopération, par ses succès à l’exportation, par la recherche constante de rationalisation entre ses différentes entités nationales, MBDA démontre qu’il est possible d’avoir en Europe une industrie de défense à la fois compétitive au plan mondial et capable de fournir aux États les technologies différenciatrices sur le plan militaire, celles qui permettront sur le long terme d’assurer la sécurité des Européens.