Droniser un avion : les enjeux et les atouts
Si l’aéronef non équipé ne représente qu’une faible partie de l’investissement d’un drone, la réutilisation d’un avion existant, avec sa mise au point, permet des gains importants dans le cycle de développement. Il ne faut pas oublier cependant d’adapter certaines pièces, les renforcer ou les alléger selon l’usage.
Le choix d’un aéronef issu du monde de l’aéronautique civile s’explique par une contribution significative à la réduction des coûts et délais de développement du système de drones.
“ Une contribution significative à la réduction des coûts et des délais de développement ”
L’effet est notable également sur les coûts de fabrication et de maintenance, puisque l’aéronef et ses composants sont produits dans des volumes plus importants.
La mise au point et la certification sont aussi plus courtes. Ce schéma industriel raccourcit significativement les délais de mise sur le marché.
On considère habituellement que l’aéronef non équipé ne représente que 10 % environ du coût total de production d’un système de drones.
En revanche, son développement et sa mise au point représentent une part beaucoup plus importante, et la dronisation d’un aéronef existant permet de la réduire de plus de 50 %, ce qui peut représenter jusqu’à deux ans sur le cycle de développement complet du système.
REPÈRES
La France fut un pays pionnier dans la dronisation des aéronefs. C’est un concept que l’on doit à la Marine qui souhaitait dès 1920 un engin télépiloté pour délivrer une torpille. Le prototype était un biplan télécommandé. Un pilote était embarqué à bord pour reprendre les commandes en cas de problème.
L’histoire des drones retient aussi le QueenBee de la Royal Navy, dérivé du De Havilland Tiger Moth. Le bruit caractéristique de son moteur a donné le nom drone (« bourdon » en anglais).
UN INTÉRÊT TECHNIQUE ET OPÉRATIONNEL
Disposer d’une machine déjà au point permet à l’industriel de se concentrer sur des éléments essentiels : les systèmes de mission du drone (station de contrôle, charges utiles, liaisons de données, contrôle du vol).
Autre avantage : disposer d’une machine dont le comportement est déjà connu et dont les composants ont déjà été fiabilisés.
Mais alors, pourquoi droniser un aéronef s’il répond déjà au besoin opérationnel ?
« DIRTY, DANGEROUS, DULL »
« Dirty, dangerous, dull » (sales, dangereuses, ennuyeuses) : ce slogan résume bien les missions dévolues à des drones plutôt qu’à des solutions de surveillance pilotées.
La machine dronisée offre des capacités supérieures à la machine d’origine en termes de capacité d’emport de capteurs et d’endurance (l’opérateur est remplacé par du carburant ou des capteurs supplémentaires), sans exposer les opérateurs aux risques de la mission.
Les endurances couramment atteintes dépassent les limites physiologiques acceptables pour un pilote. Par ailleurs, la station de contrôle offre des capacités de traitement permettant l’exploitation et la dissémination des données capteurs, avec beaucoup moins de contraintes qu’une solution embarquée.
STANDARDS DE CERTIFICATION
Le drone Patroller de Sagem.
La démarche de dronisation répond très favorablement aux besoins de certification du système de drones. S’agissant de l’aéronef, les standards de certification des drones définis actuellement s’appuient sur les standards de l’aéronautique civile.
Le standard militaire OTAN de certification des drones, le Stanag 4671, est lui-même directement dérivé du standard civil des avions légers EASA CS 23.
L’utilisation d’un aéronef certifié pour les applications civiles permet de couvrir d’emblée une part importante des exigences du standard de certification des drones, un niveau pouvant atteindre jusqu’à 50 % dans certains cas, cette part étant liée au niveau de transformation apporté à l’aéronef d’origine.
TROIS ENJEUX
Le premier enjeu est de gérer l’intégration des systèmes de dronisation dans l’aéronef, celui-ci n’étant souvent pas conçu dès l’origine pour être téléopéré.
Parmi les différences les plus évidentes entre un aéronef piloté et son dérivé « dronisé », on trouve le système de contrôle du vol, un système électrique renforcé et des systèmes de liaisons de données, des capteurs et équipements spécifiques.
CONTRÔLER LE VOL
Le système de contrôle du vol est constitué de capteurs, de calculateurs et d’actionneurs reliés aux gouvernes de la machine d’origine. Le niveau d’intégration dépend de l’usage du système de drones.
“ Les endurances atteintes dépassent les limites physiologiques acceptables pour un pilote ”
Lorsqu’une utilisation pilotée reste envisagée dans un système OPV, le système de contrôle du vol est installé sur les commandes de vol existantes. Le principal enjeu est alors d’assurer la sécurité des vols pilotés en rendant ce système transparent pour le pilote.
Lorsque l’utilisation OPV n’est pas requise, le système de contrôle du vol peut remplacer en tout ou partie les commandes de vol de la machine d’origine. Dans tous les cas, l’implantation des actionneurs sur les commandes de vol de la machine d’origine doit prévoir les accès pour la maintenance.
RENFORCER LE SYSTÈME ÉLECTRIQUE
DES DRONES PILOTABLES
Certains drones ont la capacité d’opérer avec un pilote à bord. On parle alors d’OPV pour Optionally Piloted Vehicle. Cette démarche n’est pas sans intérêt au regard de la réglementation actuelle imposant aux gros drones de voler dans des volumes aériens ségrégués vis-à-vis des autres aéronefs. Cette approche facilite la mise au point, la validation et la qualification du système de drones en offrant une plus grande flexibilité vis-à-vis des autorisations de vol.
En ce qui concerne les opérations, elle étend le champ d’action du drone aux zones non ségréguées et donc aux espaces ouverts à la circulation aérienne générale dans l’attente des dispositifs embarqués « Voir et Éviter » qui permettront l’évitement automatique.
Les aéronefs légers pilotés n’ont généralement pas besoin d’une importante capacité de génération électrique. Suivant la modernité de ses équipements, le tableau de bord d’un avion léger consomme de quelques dizaines à quelques centaines de watts.
Pour sa part, le dérivé dronisé consommera entre dix et vingt fois plus pour alimenter tous ses équipements électroniques. Le système électrique de l’aéronef d’origine doit donc être renforcé : augmentation de la puissance pour répondre au besoin, mais également augmentation de la fiabilité.
En effet, si une panne électrique n’a généralement pas de conséquences graves sur un avion léger en vol à vue, une panne électrique totale aurait des conséquences catastrophiques pour un drone.
DES ÉQUIPEMENTS SPÉCIFIQUES
Le système de liaisons de données est une composante essentielle du système de drones. Les liaisons de données relient l’aéronef à son système de contrôle au sol.
L’intégration des antennes sur l’aéronef constitue un enjeu important pour éviter les masquages et assurer une bonne disponibilité des liaisons.
D’autre part, les capteurs de l’aéronef d’origine sont généralement insuffisants pour une utilisation sans pilote. En effet, l’environnement ou certaines situations d’urgence peuvent être beaucoup moins bien perçus par un téléopérateur au sol que par un pilote qui, lui, utilise ses cinq sens.
Des capteurs supplémentaires sont nécessaires pour la surveillance de la motorisation (par exemple mesure des vibrations, capteur d’incendie) et on ajoute également des capteurs d’environnement (par exemple une sonde de détection du givrage).
En matière d’équipements de mission, la plupart des drones d’observation sont équipés de caméras orientables stabilisées.
À la différence d’un drone qui peut être conçu autour de la charge utile, l’aéronef dronisé doit veiller à intégrer celle-ci en évitant les masquages qui nuisent à la qualité de l’observation.
L’intégration de ces charges utiles a généralement un effet sur l’aérodynamique. Il faut en tenir compte dans la mise au point du système de contrôle du vol.
GÉRER DES DOMAINES DE VOL DIFFÉRENTS
Les domaines de vol de l’aéronef habité et de l’aéronef dronisé sont assez différents. L’avion léger piloté est conçu pour résister typiquement à des manœuvres à quatre « G ».
Station sol du système Patroller.
En revanche, un drone d’observation limite ses manœuvres à des valeurs bien plus faibles et néanmoins suffisantes, typiquement moins de deux « G ». Alors que le train d’atterrissage d’un avion piloté est conçu pour résister à un atterrissage dur, le système d’atterrissage automatique du drone rend ce cas très rare.
Certaines caractéristiques mécaniques d’origine peuvent ainsi apparaître surdimensionnées par rapport à une utilisation « drone », avec un impact négatif sur la masse et donc sur les performances par rapport à un aéronef conçu d’emblée pour une application drone. Une dronisation réussie doit donc exploiter pleinement ces caractéristiques.
Ainsi, des réserves mécaniques peuvent être converties en augmentation de la masse au décollage, ce qui permet d’augmenter l’endurance ou la capacité d’emport de charges de mission.
De la même façon, des réserves mécaniques sur le train d’atterrissage peuvent se traduire par une capacité à opérer à partir de pistes sommaires.
MAINTENIR LA DOUBLE NAVIGABILITÉ
“ Les domaines de vol de l’aéronef habité et de l’aéronef dronisé sont assez différents ”
Dans le cas d’un aéronef optionnellement piloté, la navigabilité, c’est-à-dire l’aptitude au vol, doit être maintenue pour les deux modes d’utilisation.
Il est en particulier nécessaire de garantir que l’utilisation en mode inhabité ne génère pas de conditions pouvant nuire à la sécurité lors d’une utilisation avec pilote.
UNE APPROCHE PERTINENTE
La transformation en drone d’un aéronef conçu pour une utilisation avec pilote est une approche pertinente et pragmatique dans la conception des systèmes de drones.
Dans le paysage des drones, le cas particulier de l’aéronef optionnellement piloté contribuera certainement à atténuer peu à peu la frontière opérationnelle et réglementaire qui sépare encore le monde des drones du monde des aéronefs pilotés.
LE PATROLLER, UNE DRONISATION RÉUSSIE
Le Patroller est un système de drones multicapteurs destiné à des missions de surveillance de longue endurance pour des applications militaires et de sécurité.
Il a été conçu sur la base de l’expérience acquise par Safran dans le domaine des drones (vingt-cinq ans dans les drones tactiques), particulièrement neuf années d’opérations extérieures de ses clients en Afghanistan.
Il a été développé avec deux objectifs : répondre aux besoins militaires (renseignement, appui à la manoeuvre aéroterrestre par la détection, localisation, identification et désignation d’objectifs) ; remplir des missions de sécurité territoriale (surveillance de frontières et d’approches maritimes, surveillance d’infrastructures ou de sites sensibles étendus, lutte contre les trafics illicites, l’immigration clandestine ou encore la pollution maritime).
Dessinant l’avenir d’une filière industrielle nationale, le Patroller a été retenu par le ministère de la Défense pour le programme de Système de drones tactiques de l’Armée de terre début 2016.
UN CHOIX DICTÉ PAR DES CRITÈRES PRÉCIS
Le Patroller repose sur la plateforme de l’avion léger ES15 de la société Stemme- Ecarys. L’aéronef bénéficie de très bonnes performances de vol et de la compétence reconnue de Stemme dans le domaine des avions de performance.
Les principaux critères de choix ont été :
- la robustesse – c’est une caractéristique des aéronefs légers destinés à une utilisation habituelle à partir de pistes non revêtues – ;
- la facilité de montage, de démontage et de transport ;
- la facilité de maintenance ;
- la certification avion léger EASA CS 23 ;
- la capacité d’emport supérieure à 250 kg et la faible consommation de carburant pour obtenir une endurance en vol de classe 20 h.
D’autres critères ont également joué :
- l’avion est silencieux, ce qui permet d’observer sans être détecté ;
- il offre une grande capacité d’emport de capteurs sous les ailes et un large volume facile d’accès pour intégrer les équipements de dronisation dans le fuselage ;
- son train d’atterrissage rétractable permet de ne pas masquer le champ de vue du capteur optronique intégré sous le fuselage ;
- il bénéficie d’une plage de centrage large, permettant une grande flexibilité pour l’emport d’une large gamme de capteurs.
UN PROCESSUS D’INTRONISATION RAPIDE
Grâce à la réutilisation de briques technologiques existantes, la dronisation s’est déroulée rapidement avec de premiers essais de décollage et d’atterrissage automatique en 2009, juste un an après le début du programme.
Les essais de mise au point du système de contrôle du vol se sont poursuivis jusqu’en 2011 avec deux campagnes sur le site d’Istres de DGA Essais en vol.
La capacité d’opérer de façon optionnellement pilotée a été maintenue. Elle contribue à faciliter grandement les phases de développement et de qualification.
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J’ai même lu récemment qu
J’ai même lu récemment qu’Airbus avait imprimé un drone…stupéfiant