Réseau routier : de l’accès aux territoires à la route intelligente
La route n’a cessé d’évoluer : des routes empierrées aux enrobés bitumineux ; des ponts en maçonnerie à la construction métallique, au béton armé et au béton précontraint. Et maintenant la cinquième génération se développe en laboratoire : la route de demain sera évolutive, coopérative et à contribution environnementale positive.
Si les chemins remontent à la nuit des temps, et au besoin irrépressible de l’homme de se déplacer, les Romains les ont transformés en voies stratégiques pour unifier, desservir et défendre l’Empire.
Ils en ont fait des ouvrages techniques pour résister à l’épreuve du temps, des éléments et du trafic, grâce au pavage, au drainage et à la maçonnerie. Tout au long du Moyen Âge et de la Renaissance, le réseau routier, géré par les seigneurs locaux, grâce au péage et à la corvée, évoluera lentement dans sa consistance et dans ses techniques.
“ Le (premier) grand siècle de la route fut sans conteste le XIXe siècle ”
La création des relais de poste par Louis XI offrira le premier « service » aux voyageurs. Sully, premier « grand voyer de France » puis Colbert commenceront à développer une vision nationale et économique de la route.
Pour autant, ce n’est qu’au XVIIIe siècle, sous l’impulsion du Régent et de Trudaine, que le réseau routier changera vraiment de dimension avec la construction de 24 000 kilomètres de grandes routes royales, pilotée par le tout nouveau corps des Ponts.
REPÈRES
Le réseau routier français est constitué de 1 071 076 kilomètres de voies. Il est constitué de 11 662 km d’autoroutes (dont 9 503 km d’autoroutes concédées), 8 901 km de routes nationales, 377 223 km de routes départementales et 673 290 km de voies communales.
DE LA VOITURE À CHEVAL À L’AUTOMOBILE
Mais, comme le dit Georges Reverdy (44) dans sa très belle et très documentée Histoire des routes de France, le (premier) grand siècle de la route fut sans conteste le XIXe siècle, qui vit se construire des dizaines de milliers de kilomètres de routes départementales et de chemins vicinaux, constituant un réseau d’une exceptionnelle densité, desservant les hameaux les plus reculés, un réseau encore conçu pour la circulation hippomobile.
Au début du XXe siècle, la route découvre l’automobile : il faut lutter contre la boue et la poussière. Le goudron, produit dérivé de la fabrication du gaz d’éclairage, est appliqué à grande échelle, pour mieux résister au trafic et s’adapter aux vitesses et aux charges grandissantes. Le goudron sera remplacé petit à petit par le bitume, sous-produit de la distillation pétrolière.
Après la Deuxième Guerre mondiale, les « cinquante glorieuses » verront la modernisation des réseaux routiers, et la construction accélérée de 9 000 kilomètres d’autoroutes à péage, grâce au système vertueux de la concession introduit par la loi de 1955, dessinant le paysage d’aujourd’hui.
UN RÉSEAU DENSE GÉRÉ PAR DE MULTIPLES ACTEURS
Le partage de la voirie fait partie des priorités actuelles.
Avec plus d’un million de kilomètres de routes et de rues, la France possède un des réseaux routiers les plus denses du monde.
Un réseau géré, après les différentes étapes de la décentralisation, par de multiples acteurs : sociétés concessionnaires d’autoroutes, directions interdépartementales des routes de l’État, départements, communes et communautés de communes.
Tous ces acteurs ont été fédérés en 2010 avec les entreprises et les bureaux d’études, dans l’Institut des routes, des rues et des infrastructures de mobilité (IDRRIM), pour développer et promouvoir le référentiel technique français, historiquement conçu par les Services techniques des routes et autoroutes du ministère de l’Équipement.
LA ROUTE PREMIER RÉSEAU SOCIAL
Le réseau routier assure 86 % des déplacements de personnes et 87 % des transports de marchandises. C’est donc bien, et de très loin, le premier réseau social, le principal support de la mobilité, et notamment celui des nouvelles mobilités (autopartage, covoiturage, autocars longue distance, vélos, etc.) qui se développent rapidement.
Cette part de marché importante est bien sûr liée à l’extraordinaire flexibilité et à la liberté qu’offre la route aux différents modes de transport, individuels et collectifs, qui l’utilisent.
D’ailleurs de tels taux ne sont pas propres à la France : on les retrouve peu ou prou dans la plupart des pays développés ou émergents, selon la densité des réseaux ferroviaires ou des voies navigables.
La gestion du réseau routier est assurée par 100 000 agents publics et fait vivre 1 400 entreprises privées, pour 12 milliards de chiffre d’affaires et 80 000 emplois.
La construction et la modernisation continue du réseau routier ont fait émerger un savoir-faire français incontestable en matière de gestion de projets, de technique routière, de génie civil et d’exploitation.
MODERNISER MALGRÉ LES CONTRAINTES BUDGÉTAIRES
Le réseau routier français est mature ; l’heure n’est plus à la construction massive de nouveaux axes, mais à la modernisation d’un réseau qui vieillit rapidement et dont les points de congestion augmentent en périphérie des villes.
“ Le réseau routier assure 86 % des déplacements de personnes ”
La priorité est aujourd’hui à l’optimisation du réseau, au partage de la voirie, à la maintenance et à la conservation du patrimoine : en effet, sous le poids de la contrainte budgétaire, tous les gestionnaires de voirie, à l’exception notable des concessionnaires autoroutiers, ont réduit leurs dépenses d’entretien de 20 à 30 % en six ans, générant de plus en plus de désordres sur les chaussées et les équipements.
La France, qui était encore classée première pour la qualité de son réseau routier par le World Economic Forum en 2011, a dégringolé à la septième place en 2015. C’est un patrimoine public de 2 000 milliards d’euros, qui est aujourd’hui en danger.
PRISE DE CONSCIENCE
Mais le pire n’est jamais certain, et le triste exemple du réseau ferroviaire, dont l’entretien a été longtemps délaissé, commence à faire réagir.
PARTENARIAT PUBLIC-PRIVÉ
Le savoir-faire français en matière de routes est le fruit d’une coopération exceptionnelle dans la deuxième moitié du XXe siècle entre le ministère de l’Équipement, son réseau scientifique et technique (LCPC devenu IFSTTAR1, SETRA et CETE devenus CEREMA2) et les entreprises qui ont pu développer et expérimenter des innovations économiques, techniques et managériales permettant à certaines de devenir des leaders mondiaux.
Le discours politique change : l’heure n’est plus à l’ostracisme, mais à la prise de conscience de la nécessité d’entretenir et de moderniser un réseau aussi essentiel à la vie quotidienne et au développement économique.
L’État, l’Assemblée des départements de France, l’Assemblée des communautés de France ont créé en janvier 2016 avec la profession un Observatoire national des routes, pour objectiver l’état du réseau et optimiser les dépenses routières des différents gestionnaires. L’État a d’ailleurs triplé en deux ans les moyens consacrés à l’entretien du réseau national qui étaient, il est vrai, tombés très bas.
Sur le plan environnemental, la route a depuis longtemps fait sa mue, pour répondre aux défis de la transition énergétique et du changement climatique.
À travers une charte d’engagement volontaire, signée en 2009 entre tous les acteurs (maîtres d’ouvrage et profession) des progrès considérables ont été faits en matière d’économie d’énergie, d’émission de gaz à effet de serre, de recyclage et d’éco-comparateurs.
La route, qui recycle chaque année plus de 100 millions de tonnes de déchets inertes notamment issus de la déconstruction du BTP, est une des principales filières de l’économie circulaire.
Les utilisateurs de la route ont fait également d’énormes progrès : véhicules hybrides ou électriques, bus électriques, camions Euro 6, régulation de vitesse sur autoroutes, etc.
UN BILAN ENVIRONNEMENTAL EN PROGRÈS
Le prototype de route solaire, expérimenté
depuis quelques mois avec des rendements
encore faibles mais prometteurs.
Toutes ces évolutions contribuent à réduire les externalités négatives (coût de l’insécurité routière, du bruit, de la pollution, de la congestion, etc.) que l’on a souvent reprochées à la route, ou plus exactement aux modes de transport routier, qui d’ailleurs les compensent largement par la fiscalité qui leur est appliquée.
Nul doute que les nouveaux services de mobilité et l’autopartage permettront encore d’améliorer le bilan environnemental et socioéconomique de la route et de ses utilisateurs.
La route s’est donc adaptée, elle s’adapte encore et s’apprête à vivre de nouvelles révolutions.
UN FUTUR RICHE DE PROMESSES
Comme toutes les industries et les services, la route est confrontée à de multiples défis sociétaux et techniques : la transition numérique qui impacte les méthodes de travail et génère de nouveaux services de mobilité (autopartage, information trafic, etc.), le changement climatique, la transition écologique et énergétique et ce d’autant plus que le secteur des transports génère près de 28 % des émissions de gaz à effet de serre.
Et bien sûr la contrainte budgétaire restera très forte pour les gestionnaires de routes, État et collectivités locales.
Plusieurs réponses font l’objet de travaux de recherches et d’expérimentations. Il y a, en premier, la mobilité intelligente, dite mobilité 3.0, qui passera par des véhicules connectés et des véhicules autonomes dont d’ores et déjà de nombreux prototypes fonctionnent dans le monde.
Cette mobilité intelligente nécessitera des routes plus standardisées, au niveau de la géométrie, de l’uni, de l’adhérence, de la signalisation horizontale et verticale.
L’infrastructure devra être numérisée (balises de chantier et marquages intelligents, unités de bord de route) pour assurer les communications entre les véhicules et l’infrastructure.
Les véhicules équipés de nombreux capteurs pourront ausculteEncart jauner en temps réel l’état des chaussées et fournir aux gestionnaires des informations précieuses.
MOINS DE CO2
Les autres expérimentations concernent la mobilité décarbonée et la route à énergie positive.
“ La route s’apprête à vivre de nouvelles révolutions ”
La réduction progressive des motorisations thermiques au profit des nouvelles motorisations hybrides, électriques et à hydrogène permet de développer une mobilité sans rejet de CO2. Il faudra répondre aux besoins de recharges électriques ou à hydrogène voire d’alimentation des véhicules en marche par conduction ou par induction.
Les chaussées et les parkings représentent une surface de 17 000 km2 qui pourraient servir à stocker de l’énergie, ou à produire de l’électricité en les transformant en panneaux photovoltaïques.
Ce rêve est en marche, comme le montre le prototype de route solaire, expérimenté depuis quelques mois avec des rendements encore faibles mais prometteurs.
UNE CINQUIÈME GÉNÉRATION DE ROUTE
UN RÉSEAU PLUS SÛR
En matière de sécurité routière, la construction du réseau autoroutier, l’amélioration continue du réseau et de ses équipements, la construction des giratoires, le renforcement de la sécurité des véhicules et les mesures réglementaires (limitation de vitesse, port de la ceinture, contrôle technique, permis à points, etc.), modifiant les comportements des usagers de la route, ont permis de baisser fortement la mortalité, celle-ci passant de 16 212 morts en 1972 à 3 461 en 2015, avec un trafic multiplié par plus de 2.
C’est ainsi qu’une nouvelle génération de route se prépare dans les laboratoires publics et privés.
Après le chemin, la route pavée romaine, la route revêtue et l’autoroute, la route de cinquième génération, selon le concept développé par l’IFSTTAR, sera évolutive, coopérative et à contribution environnementale positive.
Cette route de cinquième génération va faire l’objet dès l’année prochaine de démonstrateurs en vraie grandeur grâce à l’appel à projet route du futur, lancé en 2015 par l’ADEME dans le cadre du Programme des investissements d’avenir.
La route se renouvelle donc comme elle l’a toujours fait et la route a encore de beaux jours devant elle, si l’on en croit l’International Energy Agency qui estime qu’il faudra construire d’ici 2050 25 millions de kilomètres de routes nouvelles dans le monde pour satisfaire les besoins de développement.
Nul doute que les ingénieurs des Ponts, des Eaux et des Forêts y contribuent encore et continuent de développer l’excellence routière française dans le monde.
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1. IFSTTAR : Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux.
2. CEREMA : Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement
La route de cinquième génération sera évolutive, coopérative et à contribution environnementale positive © IFSTTAR